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Yanowski : « L’Amérique du sud est un continent, où on est toujours à l’orée du rêve »

Yanowski : « L’Amérique du sud est un continent, où on est toujours à l’orée du rêve »

28 January 2014 | PAR La Rédaction

Yanowski chante en solo, voici le premier récital de ce grand musicien expressionniste, chanteur de cabaret, compositeur, mais avant tout un homme fait de mots, de poésie et d’amour. Les 29 et 30 janvier prochains, Yanowski va chanter pour la première fois sans son compagnon de scène de toujours, Fred Parker et le Cirque des Mirages. Cela se passera à la Salle Gaveau, à Paris, en compagnie de Cyril Garac au violon et Samuel Parent au piano, avec des arrangements de Gustavo Beytelmann. Rencontre avec un artiste aux influences argentines et tziganes, mystérieux et poétique, qui nous emmène dans un imaginaire encore une fois, infini.

Yanowski-La question que beaucoup de monde se pose, est : Le Cirque des Mirage continue ? Et pourquoi ce choix de partir en solo ?

Yanowski : L’aventure du Cirque de Mirage continue, puisqu’on est en train de créer une Trilogie de Contes Fantastiques avec Vagabond des Mers et qu’on a des projets pour après.
Mais il y a aussi peut être à travers ce récital de Yanowski Solo, une certaine émancipation, l’envie de choisir mes propres thèmes, mes propres musiques et mes propres influences. Quand on écrit pour un duo, on le pense par définition pour deux. Il y a des choses qu’on n’écrit pas, tout naturellement parce qu’on sait qu’elles ne seraient pas dites par son partenaire. Mais pour le solo, il y avait une envie de parler de choses plus intimes, plus personnelles et non plus universelles, car plus on va dans l’intime plus on s’éloigne de l’universel.

On pourrait presque faire un parallèle avec la chanson “un Jour je partirai” qui figure dans l’album Fumée d’Opium du Cirque des Mirages ?

Yanowski : Le parallèle est intéressant entre la chanson “un Jour je partirai” racontant l’histoire d’un homme las de sa relation amoureuse qui menace sa femme de partir en Argentine, et tout d’un coup cette “Passe Interdite”. Le tango, l’Argentine, Buenos Aires et les cabarets, font partie d’une inspiration et d’un fantasme. Ce n’est pas tant un goût folklorique pour la musique du tango, mais c’est plus pour l’univers poétique que cela génère. On pense aux ruelles obscures, la passion amoureuse brûlante et l’ouverture aussi à la littérature fantastique. L’Amérique du sud est fondamentalement fantastique, et d’ailleurs, elle est tellement fantastique qu’on ne parle pas de littérature fantastique mais de réalisme magique ; on laisse la dichotomie entre fantastique et rationalité pour la France. L’Amérique du sud est un continent, où l’on est toujours à l’orée du rêve.

Mais ce fantasme il existe dans la chanson “Un jour je partirai” ça ne parle que de ça …

Yanowski : Ça ne parle que de ça, c’est une aspiration, une attirance pour ça.

Vous êtes devenu un chanteur non seulement reconnu mais admiré. Cette admiration, comment est-ce que vous la percevez ?

Yanowski : En réalité, c’est toujours touchant. Elle confirme le fait que ce qui se passe réellement dans la vie d’un artiste se passe sur scène dans le partage avec le public. Et non pas, même si c’est un apport, dans tout l’arsenal médiatique qu’il peut y avoir autour d’un artiste. La vérité, l’authenticité, elle est là, dans cette relation très particulière avec le public et donc je la perçois avec beaucoup d’émotion, de reconnaissance. Elle suscite beaucoup d’énergie, donnant sens à ce que l’on fait. C’est à dire qu’il peut arriver dans la vie d’un artiste qu’à un moment il se pose des questions comme : « Pourquoi je passe pas la journée (je dis ça en toute sincérité) auprès de patients dans un hôpital avec le sentiment d’aider vraiment les gens et d’apporter quelque chose véritablement aux gens, alors que je reste chez moi soit pour répéter soit pour écrire ? » Et au bout d’un moment cela devient un peu abstrait. Et tout d’un coup, le sourire d’une personne, la chaleur d’une personne à la sortie d’un spectacle redonne sens à ce que l’on fait. Et là, je me dis alors que j’ai apporté quelque chose.

Ce n’est pas une rupture d’univers que vous proposez avec Yanowski. Je pense que les artistes ont toujours un lien avec ce qu’ils ont fait par le passé. Beaucoup voudraient que ce ne soit pas le Cirque des Mirages parce que ce n’est pas le Cirque des Mirages. Mais en restant le même personnage comment est-ce que vous êtes  parvenu à ce qu’il survive de l’absence de Fred Parker ?

Yanowski : C’est vrai que ce n’est pas évident, que ça vous colle, c’est une identité et puis il y a un jeu de ping-pong avec Fred Parker qu’admire et respecte beaucoup le public. Souvent je suis assez étonné quand on me parle de personnage parce que je n’ai pas l’impression d’incarner quelque chose. J’ai plutôt l’impression que c’est véritablement moi et que c’est plutôt le personnage de la vie de tous les jours qui serait un peu faux en tout cas qui a porté son masque. C’est un dévoilement où j’ai l’impression de rentrer sur scène et d’enlever un masque. Donc même s’il y a quelque chose d’excentrique et même si c’est extravagant, c’est peut-être une excentricité que je cache à ma vie de tous les jours.

Il a fallu trouver, malgré tout, des musiciens qui ont du corps. Des musiciens qui accompagnent non pas le mental mais l’énergie qu’il y a sur scène. Et j’ai eu la chance de rencontrer Cyril Garac au violon et Samuel Parent au piano qui sont fougueux et qui répondent à la pulsion qu’il y a sur la scène. On a tâtonné un petit peu, comme dans la vie on est un peu comme des aveugles à essayer de trouver sur scène la solution. Et c’est vrai que la première fois j’étais un petit peu perdu.

Hier, on avait plutôt l’impression que Yanowski n’était juste qu’un pseudo aujourd’hui il est réellement un individu, pourquoi ?

Yanowski : Parce qu’il faut du temps pour se comprendre. C’est le chemin de toute une vie. Aujourd’hui il m’apparait clairement qu’il y a deux entités qui coexistent, un individu social à qui on attribue un nom, Yann Girard, avec sa vie, avec tous les liens familiaux socioculturels qu’il peut avoir, et puis à un moment donné quand on ouvre la porte des interdits sociaux, par l’intermédiaire de la création, il y a l’autre individu. Ce « je » qui est un autre qui surgit et qui sort de sa boîte. Aujourd’hui cela m’apparaît assez clairement. Il faut du temps pour échafauder tout ça et pour comprendre ce à quoi on a le droit et où sont les limites. Aujourd’hui un océan infini s’ouvre parce que presque tout est permis.

Mais alors qui écrit les poèmes Yanowski ou Yann Girard ?

Yanowski : C’est toujours Yanowski, car tout ce qui est de l’ordre de la création c’est Yanowski, c’est évident. On me dit souvent “En fait Yanowski ce n’est pas votre vrai nom!”, comme si le vrai nom était Yann Girard. Or, pour moi c’est un peu l’inverse. La vérité, l’authenticité, le dévoilement de l’homme qui se met à nu, l’homme qui parle de la fragilité des choses avec ironie, c’est Yanowski.

L’autre, il est léger parce qu’on ne peut pas dans la vie de tous les jours s’exprimer comme un poète sans passer pour un pauvre fou ou un pauvre diable ; ou évoquer la mort en société sans faire trembler tout le monde, l’autre est obligé de se masquer.

Dans ce Récital vous nous emmenez en Argentine, d’où viennent vos inspirations tanguera ?

Yanowski : Elles viennent de la littérature, elles viennent de Julio Cortazar, elles viennent de Roberto Arlt, elles viennent des bas-fonds du rêve, elles viennent d’Ernesto Sabato, elles viennent de tous ces gens là. En fait, elles sont toutes des influences davantage poétiques et littéraires que musicales. J’aime beaucoup le Tango.

Oui mais si on s’interroge sur les origines de la création de l’artiste, qu’est -ce qui, dans votre jeunesse vous a emmené au tango et en Argentine ?

Yanowski : Alors, en fait j’ai eu un grand -père qui était espagnol, anarchiste, issu d’un père Catalan et une mère de Murcia. J’ai été bercé par le Flamenco de Paco Ibanez, dont je connais les paroles par cœur. Et puis je me suis pris d’amour très vite pour l’époque Génération de 27. J’ai peut-être trouvé mais alors là vraiment je le découvre au moment où je le dis, dans l’Argentine dans l’Amérique du sud, les espoirs qu’il pouvait y avoir dans l’Espagne d’avant 1936, tous les espoirs politiques, les élans révolutionnaires, la démesure.

Cette époque c’est le deuxième âge d’or en Espagne de l’avant Franco au niveau de la littérature, au niveau de la musique, au niveau des relations entre les artistes. Au niveau de l’ouverture à l’Europe aussi, c’était le surréalisme, c’étaient les Dada etc. Et c’est un peu comme si tout ce monde s’était écroulé sous la main froide de Franco, et avait fui en Amérique du Sud.
Donc Il y a une évidente affinité par la langue, par les origines espagnoles et puis après par la littérature, et c’est étonnant car j’ai l’impression que la musique le goût pour le tango au niveau musical arrive après.

Le tango en lui-même est une musique qui n’a pas forcément besoin qu’on parle, qu’on chante qu’on raconte une histoire parce que, à l’écoute, elle raconte quelque chose. La rencontre entre le tango et votre art parait presque normal …

Yanowski : Parce qu’avec le tango, il y a une vraie filiation. Parce que la particularité de ce que je fais en tout cas dans l’ordre de la chanson c’est que chaque chanson est une histoire.
J’imagine toujours un récital un peu comme l’art de la nouvelle en littérature c’est à dire un livre de nouvelles qu’on ouvre, avec un fil conducteur entre chaque chanson qui certainement représente la folie, la démesure ou l’interdit, le franchissement du cap de l’interdit. Mais l’expressionnisme, le cabaret expressionniste tel que je le conçois c’est l’art du conteur.

L’art du conteur de raconter des histoires et là pour le coup comme vous dites si bien, aussi bien dans le texte mais aussi dans la musique, il y a une histoire à chaque fois qui se raconte. Il y a une vraie fraternité avec cette musique là.

Avez-vous conscience de l’imaginaire que vous créez chez votre public pendant vos récitals ?

Yanowski : Je ne peux pas en mesurer toute l’importance mais je peux m’en rendre compte parce qu’il s’ouvre un espace particulier avec le public, qui n’est plus le public d’un côté et le chanteur de l’autre. Souvent on me dit que je fais voyager le public mais c’est autant le public qui me fait voyager.

Je crée aussi ce type de projection en fait, sur les chansons les plus contées, je vois des mondes qui surgissent, je me promène dans des décors, je les vois véritablement. Ils surgissent devant moi, je les vois, je me fais peur sinon ça ne marche pas. Il faut vraiment les donner à voir pour que ça marche, pour que le spectateur voit il ne faut pas lui donner trop à voir au sens scénographique. Il faut qu’il n’y ait rien sur scène. Plus il va y avoir d’objets et plus cela va lui cacher la vérité, plus ça va être une obstruction à son imagination parce que chacun imagine quelque chose de différent et si on veut un imaginaire universel…

Après je ne sais pas à quel point ça suscite l’imagination chez les spectateurs mais je crois qu’il y a une certaine façon d’aller voir un spectacle de Yanowski. Si on s’accroche trop aux paroles et que l’on veut comprendre chaque mot, on est foutu, parce qu’on intellectualise trop, par contre effectivement, si on se laisse aller et qu’on reçoit juste des impressions sonores, des mots, des mélanges de mots sans essayer de comprendre le sens c’est là que ça démarre. J’ai l’impression que la première chanson du tour de chant est toujours difficile parce qu’on n’a pas tout de suite la clé. Au début on essaye de comprendre ses paroles et puis après on est fatigué on lâche, et c’est peut-être en lâchant que la magie s’opère.

Le Cirque des Mirages est plus irrévérencieux que Yanowski seul, pourquoi ce choix ?

Yanowski : Je ne sais pas si c’est un choix en fait, quelque chose apparaît dans la création et on le constate. J’avais envie peut être de plus d’universalité, de parler plus de l’intime, de me dévoiler un peu plus et donc je laisse de l’irrévérence pour le Cirque des Mirages et je me dis que le prochain Cirque des Mirages sera encore plus irrévérencieux. Mais en même temps c’est difficile d’être irrévérencieux et de se dévoiler en même temps. L’irrévérence est souvent un masque, et là, j’avais envie d’enlever le masque. Dans ce récital, il y a plus de tendresse, plus de douceur (rire).

Quelles sont les étapes d’un créateur comme vous par rapport à sa poésie ? Par exemple est -ce que “l’homme au miroir” a été écrite en même temps que la chanson “mon Ombre”?

Yanowski : Non absolument pas, en fait déjà comme chez tout créateur, il y a une obsession et là en l’occurrence l’obsession du double (rire complice). Dans ce tour de chant il y a des chansons que j’ai écrites il y a deux ou trois ans pendant le Cirque des mirages. Mais je savais que certaines n’allaient pas correspondre forcément à l’univers de Fred Parker, comme l’Auberge des Adieux, C’est fragile la vie d’un Homme, je suis Saoul. Et ensuite toutes les autres chansons je les aie écrites cette année dès le début de notre collaboration avec Gustavo Beytelmann, il y a deux ans. Quand on commence à tirer un tout petit peu, il y a plein d’autres chansons qui apparaissent. Mais ceci dit il y a une ou deux chansons à caractère politique qui commencent à advenir, que je chanterai bien en rappel, une envie de chanter “l’Etranger” cet étranger qui hante la société toujours, qui fait peur, sur lequel on fait constamment tomber la responsabilité. Quand on apprend que quatre-vingt cinq personnes sur terre qui pourraient nourrir trois Milliards d’autres qui restent, je me demande pourquoi ça tombe toujours sur l’étranger et pas une de ces quatre-vingt cinq personnes, c’est une façon de résumer un petit peu la folie, et on a envie de dire qu’il faut que ça cesse cette histoire, qui ne cesse de recommencer et cet aveuglement, donc ça peut être une des thématiques qui pourrait venir autour de ce tour de chant.

Donc ce récital Yanowski aura lieu quand ?

Yanowski: Il y a deux beaux concerts le 29 et 30 Janvier à la Salle Gaveau et ensuite une tournée pour aller jusqu’ au Festival d’Avignon et certainement après sur une grande scène à Paris. Et l’envie d’un grand d’album Symphonique avec des inédits.

Ce projet n’aurait pu se faire sans Armelle Hédin votre productrice, Qu’est ce que cela fait d’être aux petits soins ?

Yanowski: C’est très agréable, je mesure et je connais les difficultés de ce métier où l’on ne mange pas tous les jours à sa faim, donc quand tout d’un coup après avoir traversé (comme tout le monde, il n’ y a rien d’exceptionnel) des difficultés, c’est Bon, parce qu’on éprouve une certaine joie à être bien accompagné, par Avril en Septembre ( la boîte de production) parce qu’elle se donne vraiment dans le travail, elles imaginent vraiment un plan de carrière plus que simplement un coût financier, ce qui est de plus en plus rare aujourd’hui, elles ont confiance, et elles ont fait un choix difficile, elles auraient très bien pu faire tourner une pièce, avec deux têtes d’affiche et être assurées d’avoir quatre-vingts dates de tournées derrière. Elles font un choix très particulier car c’est de la poésie chantée, c’est un univers très caractérisé. Il y a une vraie prise de risque de la part d’Avril en Septembre et je leur suis gré et reconnaissant chaque jour. On ne peut travailler avec des auteurs qui sont engagés artistiquement que si on prend des risques.

Victor Quezada-Perez

Visuels : (c) Victor Quezada-Perez

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

2 thoughts on “Yanowski : « L’Amérique du sud est un continent, où on est toujours à l’orée du rêve »”

Commentaire(s)

  • Yanowski en concert à La Menuiserie le 3 mai 2014

    April 18, 2014 at 17 h 09 min
  • alpha

    bravo

    October 15, 2015 at 20 h 33 min

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