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Omar Souleyman : l’électro kitch d’un animateur de mariages syriens à Brooklyn

Omar Souleyman : l’électro kitch d’un animateur de mariages syriens à Brooklyn

13 February 2013 | PAR Bastien Stisi

Depuis les années 1990, un troubadour avant-gardiste et inédit balaye les sentiers ensablés et bétonnés de Damas et de la globalité du territoire syrien, à la recherche de mariages indigènes à animer et à endiabler grâce à la furie de son dabke personnalisé. Ce chanteur, c’est Omar Souleyman, prophète électronique en son pays et animateur émérite de noces hypes et baroques, récupéré depuis quelques années par les clubs huppés d’Europe et du territoire américain…

Dans un pays traumatisé et ravagé par la terreur et par la guerre civile depuis des mois, la vie tente tant bien que mal de résister, de persister, de combattre, et parvient encore parfois à suivre un semblant de normalité illusoire. En Syrie, d’aucuns parviennent même encore à tomber amoureux, et à organiser par filiation les célébrités logiques de leurs noces. Le patronyme d’Omar Souleyman, absolument indissociable de cette union sacrée et endimanchée, accoste dès lors irréversiblement dans l’esprit des futurs époux au moment de songer à la concrétisation festive de leurs épousailles…

Il est vrai qu’en vingt ans et depuis les premières performances du chanteur dans des mariages environnant son village natal de Tel Amir, le succès d’Omar Souleyman n’a cessé de grimper. À en croire l’artiste, plus de cinq cents cassettes différentes, relatant ses performances au sein des cérémonies syriennes, auraient même été recensées. Une incontournable star locale et autochtone, de toute évidence, dont la postérité et l’audience ont pris une telle ampleur depuis quelques années que sa popularité s’est délocalisée et mondialisée. On a pu voir l’artiste se produire aux Eurockéennes de Belfort, au festival de la Villette Sonique 2009, aux Instants chavirés de Montreuil, ou sur une scène en plein air du prestigieux Central Park de New York…

Synthés nasillards, moustache opulente, thématiques surréalistes

Un ambianceur kitchissime de mariages du nord-est de la Syrie, vêtu d’un keffieh, d’épaisses lunettes noires et d’une opulente pilosité entre le nez et les lèvres, dont les morceaux circulent sur les platines d’un dj branché de Brooklyn ? Le tout n’aurait sans doute jamais été qu’une vague rêverie farfelue sans l’intervention de Mark Gergs, un musicien californien, qui, en 2006, ramène d’un fructueux voyage en Syrie un disque sur lequel il a notamment compilé quelques morceaux d’Omar Souleyman, son immense coup de cœur du séjour. Publié chez le très avant-gardiste label Sublime Frequencies de Seatles, spécialisé dans les découvertes de musiques world exotiques, la compilation, devant le succès engendré par l’électro loufoque du syrien, donne bientôt naissance à un cd exclusivement consacré à Souleyman, conçu à partir des fameuses cassettes de mariage. Le début d’un succès aussi jouissif qu’inattendu.

Synthés nasillards, boîte à rythmes aux percussions désuètes et déjantées, productions méchamment lo-fi, Omar Souleymane confectionne une fusion d’électro et de dabke, musique traditionnelle et enjouée du Moyen-Orient qui se danse frénétiquement épaules contre épaules. Au-dessus de cet oxymore sonore s’étend la voix de ce syrien né aux frontières de la Turquie et de l’Irak, tantôt hyper vitaminée, tantôt suave et emplit d’une gravité décalée plus conforme aux normes séculaires du dabke originel, une voix qui décline quelques vers improvisés ou soigneusement pensés. L’amour fou surréaliste y est alors glorifié, les mariages arrangés soigneusement condamnés, la poésie lyrique portée à son apogée.  Selon la tradition séculaire de l’atabat, intimement lié aux rites du dabke, le chanteur se doit également d’intégrer au sein de ses chansons des éloges adressés aux mariés et à sa famille.

À Paris, à Soho, à Brooklyn, les hipsters raffolent littéralement de cette frénésie exotique et alambiquée, sans doute sensibles aux similitudes des rythmiques vitaminées de cette « électro-dabke » avec les sonorités technoïdes extatiques qui se rapprochent des références culturelles obligatoires de la caste la plus branchée du moment. Comble d’honneurs et de reconnaissance internationale, la chanteuse scandinave Björk a même confié à Omar Souleyman le remix, hyper orientalisé, de son tube psychédélique « Crystalline », issu du très controversé Biophilia.

Malgré la vague hybride et arti qui déferle désormais sur les productions de l’artiste, ce dernier n’envisage pas pour autant de renoncer à l’essence même de son univers, et de délaisser les mariages orientaux qui l’ont rendu célèbre. Fort de son succès, Omar Souleyman avoue même transporter depuis quelques temps sa musicalité sinoque et son ultime tube phare “Leh Jani” par-delà les frontières syriennes, en Jordanie, en Iraq, à Dubaï…mais pas encore en Occident. Dès lors, n’oubliez pas de jeter une oreille aux morceaux de cette formidable fusion fanfaronne : vous pourriez bien reconsidérer la playlist de vos futures épousailles, et vous libérez une bonne fois pour toute de la vision nauséabonde des sirènes du port d’Alexandrie. Pour être branché, vous l’aurez compris, c’est du côté Damas qu’il convient plutôt de porter le regard…

Visuel © : pochette de Leh Jani d’Omar Souleyman

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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