Musique

Rencontre avec le trompettiste virtuose Ibrahim Maalouf

17 May 2010 | PAR Amelie Blaustein Niddam

30 ans, une trompette à quatre pistons inventée par son papa, un oncle écrivain, une maman  pianiste.  La barre fut haute, mais  Ibrahim  a réussi à se faire un grand prénom grâce à deux albums bijoux,”Diasporas”(2007)  puis  “Diachronism” (2009) et des colaborations hors normes notamment avec Sting. Nous avons rencontré cet artiste à la sympathie aussi belle que son talent dans le café du théâtre de Coutances, quelques minutes avant un solo magistral et mystique dans l’imposante chapelle du diocèse.

Tu es né au Liban, dans une famille d’intellectuels, la musique a-t-elle été une évidence pour toi ?

Non, j’ai longtemps voulu être architecte ! J’ai décidé tard de faire de la musique mon métier.  J’avais 17 ans, je passais mon bac et  je déposais des dossiers pour entrer en prépa avant de concourir pour intégrer une école d’architecture.  En parallèle, j’avais passé le concours d’entrée au conservatoire de Paris, sans grande conviction. Coup de chance, j’ai été sélectionné. J’ai  fait le choix de foncer, au lieu d’une mauvaise prépa et d’ études moyennes, je rejoignais tout de suite l’élite de la musique classique.

Comment as-tu été formé à la musique ?

Mon père m’a tout appris, j’ai fait 10 ans de trompette à la maison, avec une vraie rigueur à l’ancienne.  Au moment de présenter le conservatoire,  à 17 ans, j’avais un très bon niveau.

Et le choix de l’instrument ?

J’ai fait comme Papa… ! A cette époque là,  je n’avais pas l’esprit critique. Je  l’ai fait pour lui faire plaisir et, il faut dire que  j’avais des facilités.  Comme je prenais des cours tous les jours, en sept jours j’avais l’équivalent de 7 semaines de cours de celui qui va au conservatoire. Très vite, j’ai gagné un niveau qui me permettait d’accompagner mon père en concert. Cette petite satisfaction me procurait une certaine confiance,  mais, j’ai découvert plus tard que je n’aimais pas trop la trompette.

Tu touches à d’autres choses ?

Oui je joue du piano, des percussions, je chante…je touche à tout.

J’aimerais parler de l’influence du Liban sur ta création. Quand as-tu quitté ton pays ?

Ni moi, ni mes parents n’avons ce souvenir. J’avais entre 3 et 5 ans. Pendant la guerre, mes parents sont partis pour échapper aux bombardements, puis ils sont rentrés, il y a eu des allers-retours  avant notre installation durable en France.

Est-ce que ta famille a quitté le Liban car en tant qu’intellectuels ils ne pouvaient plus exister ?

Pas du tout. Ils sont partis car ils ne voulaient pas élever leur enfant au milieu de la mort. Sans sortir, sans pouvoir faire les courses.

Ton premier album s’appelle “Diasporas”, quelle est la traduction de cet exil sur ta musique ?

Le terme d’exil ne convient pas car j’ai toujours fait des allers-retours. Nous allions au Liban tous les ans, au mois de  juin,  juste avant la fin des cours car les billets d’avions  étaient moins chers. Nous revenions en septembre, et,  parfois quand la guerre reprenait, nous restions plus. Je connais très bien ce pays, j’y ai mes repères, de la famille et des amis.

Alors, comment se traduit cette relation aux allers–retours ?

C’est encore plus compliqué, je crois,  que de quitter un pays définitivement. J’ai longtemps été partagé  par l’existence même de la question du « retour». J’ai décidé de ne pas choisir et de vivre à la fois en France et au Liban, j’ai la double nationalité. Je veux aussi me sentir libre de vivre où je veux.  Ma seule nation c’est la bulle musicale.

C’est  cela que tu as voulu raconter dans “Diasporas” ?

J’ai voulu parler à toutes les personnes qui se sentent métissées. C’est un peu prétentieux, mais j’avais envie de créer un genre de peuple, qui s’appellerait  “diasporas”.  Je  veux proposer une culture musicale  commune.

Avec le second album, un double album, «Diachronism», tu choisis de parler de ton mix culturel ?

Avec « Diasporas », je posais une  interrogation. Le disque est sorti, je me suis endetté pour le faire, aucune maison de disque ne voulait de moi, c’était une économie très difficile.  J’ai monté mon label, « Mis’ter » et  trouvé un distributeur in extremis pour les concerts.

Je remercie régulièrement ceux qui m’ont  soutenu. Dans cette interrogation d’ordre économique, je me posais une question culturelle, savoir si le public allait comprendre ce que je voulais raconter.

«Diachronism» c’est encore une autre question,  deux albums sont réunis. J’ai fait les deux en même temps. Si j’ai pensé un temps les  sortir séparément , je me suis vite résolu à les sortir comme je les avais crées,  ensemble.  Si les personnes comprennent ce double album, alors ils pourront appréhender le monde dans lequel je vis. Et je suis très heureux, car l’accueil est aussi bon que pour “Diasporas”.

Deux ans séparent les deux albums , deux ans pendant lesquels tu as acquis une grande notoriété. Comment s’est passée la production de ce second opus ?

Il y a eu moins de contraintes. Nous avons dépassé les 10.000 ventes ce qui fait partie des meilleures ventes jazz en France.  Pour le troisième album, que je prépare en ce moment, je peux me permettre enfin de me payer un studio.

Comment  as tu enregistré les deux premiers ?

C’était de bric et de broc, j’ai eu de la chance. Pour  les voix et les trompettes, Armand Amard (Le concert), m’a prêté son studio. Aujourd’hui, je peux travailler dans son studio de façon professionnelle et avoir un son professionnel.

Il faut comprendre qu’un jazz man est disque d’or à 15.000 album vendus. Il est impossible d’en vivre.  Je m’en sors surtout grâce aux concerts. Beaucoup de jazz men rament en France.

Et ton troisième album?

J’y travaille de façon instinctive depuis plus d’un an,  je me laisse le temps. Il sortira quand il sera prêt.

Nous sommes à Jazz sous les Pommiers où tu participes à un genre de performance, que vas-tu jouer ?

On joue à trois, séparément, un triple plateau, trompette, tuba , et trombone. Je vais jouer en solo. L’idée est de me faire participer au festival différemment, sans mon groupe.

Pour moi il s’agit de partager quelque chose que je fais seul, c’est-à-dire improviser. C’est la première fois que je le fais en public. C’est comme ça que je compose, je m’enregistre, et après je garde des choses. Une note peut être vraie ou fausse, elle est vraie s’il elle vient du cœur, fausse si on l’a préparée.

J’aime me confronter avec le silence, c’est une note pure, qui ne manque pas, jouer avec le silence, c’est jouer avec le temps , cela permet d’inventer des choses, même si il m’arrive de rejouer des choses déjà faites…C’est un réflexe.

Comme tu l’as vu La boite à sorties a comme logo une jolie Tour Eiffel,  alors, quels sont tes lieux parisiens préférés?

Mon lieu favori c’est la rue, c’est aussi en marchant dans les rues des grandes villes que j’écris mes musiques. Pour « Diasporas », j’ai  intégré ses sons piochés dans la rue.  La veille du mixage, je n’ai pas dormi, il manquait quelque chose, j’ai annulé  et le lendemain j’ai enregistré les sons de Paris, je suis allé à Paris, à NYC, puis je les ai intégrés à mon album.

Diasporas, 2007- Mis’ter Production, Diachronism, 2009, Mis’ter Production

Prochain concert le 29 mai 2010 à 20h à La Cigale, 120 Boulevard de Rochechouart, 75018 Paris, France.  30 Euros. Billetterie habituelle

 

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Amelie Blaustein Niddam
C'est après avoir étudié le management interculturel à Sciences-Po Aix-en-Provence, et obtenu le titre de Docteur en Histoire, qu'Amélie s'est engagée au service du spectacle vivant contemporain d'abord comme chargée de diffusion puis aujourd'hui comme journaliste ( carte de presse 116715) et rédactrice en chef adjointe auprès de Toute La Culture. Son terrain de jeu est centré sur le théâtre, la danse et la performance. [email protected]

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