Rap / Hip-Hop
Solidays : J’ai assisté à un concert de Georgio avec Laurent Ciboulette, 14 ans

Solidays : J’ai assisté à un concert de Georgio avec Laurent Ciboulette, 14 ans

30 June 2017 | PAR Antoine Couder

Retour sur un moment fort de l’édition 2017 du festival avec un Georgio à domicile, face à un public de (très) jeunes gens complètement en transe.

imageOn a fait la moue lorsqu’on nous a dit qu’il fallait arriver en avance. Quand même, Toots and the Maytals jouaient à côté, mais visiblement le jeune n’adhérait pas. Et puis, en fait, il avait raison : la scène du Dôme était remplie un bon quart d’heure avant le début des hostilités. Dans la foule, l’âge moyen tourne autour de 16 ans; une sorte d’immense cours de récré où se seraient glissées dans un mélange d’effroi et de jubilation de grosses grappes de collégiens. On respire à plein nez ce qui ressemble à un premier concert sans les parents, tailles 34/36 pour les filles qui portent des soutiens-gorges serrant très fort leurs petits seins… Intensité de la soirée en  bande et hyperprudence de celle-ci face à l’autre que l’on ne connaît pas. On est en 2017, tout est possible et en même temps on hallucine si quelqu’un a un mot de travers. Il faudra attendre le dernier tiers du concert pour qu’enfin ça se lâche et que la liesse électrise le public, bien après que les appareils dentaires se soient mélangés avec la première Heineken.

Au départ, tout le monde est sage… On est surpris par les quelques drapeaux tricolores qui flottent dans la foule puis, par sa soudaine impulsion à chanter en chœur… «La Marseillaise» pour prier la star d’enfin entrer sur scène. Pourtant non, ce n’est pas un rassemblement bleu marine et il est dommage que les observateurs politiques ne soient pas là pour constater à quoi ressemble la nouvelle culture populaire. Florent Maréchal, responsable des programmes santé et solidarité pour Solidarité Sida introduit sur la scène un militant d’Act Up qui tente quelques punchlines. Il est question d’un jeune gay isolé qui se noie de like sur les réseaux sociaux sans avouer sa souffrance intime. Et ça fonctionne modérément.
Enfin, Georgio, 24 ans, de son vrai nom Georges Édouard Nicolo, surgit comme un petit félin monté sur ressorts, dans le genre «le plus grand cabaret du monde». Popopopop ! Une clameur puis des cris. On a compris que c’est “un mec qui compte”, une sorte d’esquisse un peu street de la star Nekfeu. Plusieurs albums, beaucoup de chansons très connues. Dès le premier morceau, on reconnaît l’ancestrale formule : des couplets qui font monter la tension, avant que les refrains ne la libèrent en laissant résonner la joie. On sait d’avance que l’on va s’ennuyer, mais c’est normal (ma collègue, à La Rochelle a tenu trois morceaux, j’ai promis d’aller jusqu’au bout). Et puis, là n’est pas la question.

Au fil du concert, le jeune homme insiste sur le fait que l’on est ici «chez nous» comprendre dans ce Paris où nous vivons. Il alimente ainsi une sorte de concept local, fleurissant de ces métaphores footballistiques dont raffole la jeune société masculine (on joue à domicile, mon responsable lumière est le meilleur des milieux de terrain, mon pote depuis l’âge de 12 ans, etc.). Mais, encore une fois, rien de tout cela n’a la signification politique qu’en donnent les médias. Le public de Georgio n’est pas celui de la France crispée. Ces allusions renvoient plutôt à la musique, au hip-hop en particulier puisque c’est de là que le jeune homme tire sa crédibilité. Et le style existe depuis suffisamment longtemps en France (fin des années 80) pour être autre chose qu’un simple copié-collé US. C’est d’ailleurs paradoxalement ce qui fait le succès mondial du genre : son extrême plasticité, sa capacité à intégrer toutes les influences locales pour dominer la scène. On est frappé ce soir par ces «ouais» en forme de râle qui contaminent également le babil féminin. Georgio réserve à près un tiers de sa set-list à ses chansons «dures et profondes». Les fameuses rimes qui font vibrer de sens tout ce qui brûle derrière le quotidien adolescent. Ouais… Dans ta face, comme on dit. Et la musique, en effet, prend alors une fonction «faciale»,  rocky/slappy, lorsque le chanteur produit un commentaire non pas social, mais «dans le social». Il n’est d’ailleurs jamais aussi intense que lorsque son flow s’ancre profondément, concrètement dans la réalité, à la façon dont l’avait inauguré Orelsan, mais avec quelque chose d’un peu plus tourmenté.

Le hip-hop made in France apparaît aujourd’hui constitué de ce bois hétérogène, à la fois facial et oral (guttural et tout en modulations hormonales) et comme on l’a déjà dit, «local». Le «on est chez nous», sorti de son contexte patriote s’inscrit dans une liesse simple et joyeuse (cette fameuse Marseillaise) et s’hybride avec la variété, l’enrichissant de chansons à texte qui font aujourd’hui sa marque de fabrique. Entendez bien que si la majorité des très jeunes écoutent du rap, c’est parce qu’ils en comprennent les paroles. Mieux, que ces paroles leur parlent très directement. Et c’est bien l’équation gagnante, du français ratissant de la simple variété jusqu’au brûlot psychosocial. Avec Georgio on navigue dans ce que la presse appelle un univers «d’énergie et de mélancolie» (le Monde). Toujours ce système couplet-refrain agrémenté d’influences rock (le groupe compte un guitariste chevelu qui apporte un tempo heavy métal à pas mal de chansons). Le garçon s’est d’ailleurs illustré en début de carrière avec le groupe Fauve, en 2014, pour le titre «Voyou» — le décor ado-collège était déjà bien planté. Avons-nous précisé que le public est non seulement jeune, mais également homogène, essentiellement «petit blanc» ce qui encore une fois ne doit pas être mal interprété. Pas de crispations communautaires, mais plutôt une indifférence bienveillante. Et puis, les origines italiennes du jeune homme bousculent sans doute les clichés : ni blacks ni maghrébins ni pieds-noirs et pourtant fils d’étrangers… Tout un pan de mémoire des ouvriers italiens débarquant à la gare Saint-Lazare : campagnards souvent analphabètes et mal fagotés que l’on s’amusera à appeler «macaronis». Et c’est peut-être ce lien implicite entre les parias d’hier et ceux d’aujourd’hui qu’établit sans le vouloir la musique de Georgio.

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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