Rap / Hip-Hop
[Chronique] « Scarifications » d’Abd Al Malik : album hypnotisant entre rap brut et électro sombre planante

[Chronique] « Scarifications » d’Abd Al Malik : album hypnotisant entre rap brut et électro sombre planante

08 November 2015 | PAR Gilles Herail

Né de l’association avec Laurent Garnier, Scarifications mélange le rap renouvelé et acéré d’Abd al Malik avec une ambiance électro sombre et planante. Un album très différent de ce que l’artiste a pu proposer précédemment, plus intimiste, plus noir, et souvent hypnotisant malgré l’aridité de certains titres. Notre critique.

[rating=4]

Abd Al Malik est un artiste complet, rappeur, écrivain reconnu, désormais cinéaste prometteur depuis la sortie de Qu’Allah bénisse la France (lire son interview en tant que réalisateur). Sa carrière musicale est marquée par une envie profonde de métissage d’influences. Commençant dans le rap pur et dur au sein du groupe strasbourgeois N.A.P (« Demain fera le reste »). Revenant en solo dans Gibraltar, un disque passionnant porté par la qualité de ses textes (« 12 septembre 2001 » « Saigne ») et une interprétation slam. Dante emmenait Abd al Malik vers d’autres horizons, dans un patchwork de styles et d’ambiances. Une ouverture musicale que l’on retrouvait dans Château Rouge, allant explorer les rythmes et les sonorités de la pop africaine (« Dynamo » « Guantanamo »). Scarifications s’inscrit dans cette recherche permanente de renouvellement, d’expérimentation, de rencontres artistiques inattendues. L’association avec Laurent Garnier, qui avait déjà accouché de la bande originale d’Allah bénisse la France, donne au projet toute son originalité. Réunir le monde du rap avec celui de l’électro sombre, ses rythmes sourds et lourds. Avec un résultat détonnant, qui déconcerte mais passionne.

La plume d’Abd Al Malik s’est fait également plus noire, plus intimiste, revenant sur son adolescence dans le quartier du Neuhof, ses inquiétudes sur les tensions de la France contemporaine. La poésie déclamée du slam est mise de côté au profit d’un flow ultra saccadé, brutal, haché, collant aux sons répétitifs et entêtants de Laurent Garnier. On est bien loin de l’ambiance joyeuse et entraînante de Château Rouge et ce retournement radical n’est pas pour nous déplaire. Certains morceaux scotchent par leur intensité  (« Allogène j’suis un stremon », « Love you »). D’autres nous emmènent dans un univers quasi hypnotique  (« Daniel Darc » « C’est comme ça »,  « Rain Man »). Scarifications est un album de cicatrices, de combat, de conflit intérieur, résumé par le refrain de « Contre temps» : “c’est pas le rue qui te blo-que, blo-que, blo-que. C’est pas l’Etat qui te blo-que, blo-que, blo-que. C’est pas l’argent. Les profs. Le temps. Mais c’est toi même qui te blo-que, blo-que, blo-que”.

La noirceur est partout, le phrasé mécanique et sans relâche, ne cherchant pas l’harmonie et la variation. On met donc plus de temps à apprivoiser certains titres, asphyxiants (« C’est comme ça », « Stupéfiant» « Initiales CC »). Les chansons (un peu) plus légères, moins désabusées, s’apprécient d’autant plus et la lumière vient parfois s’immiscer dans l’univers de cauchemar éveillé qui définit le disque. Le nostalgique « Red Skin » revient sur les débuts du rappeur. L’introspectif et faussement mégalomane « Roi de France » s’autorise une forme de détachement et un arrière-plan musical plus effacé. Le magnifique « Juliette Gréco » conclut l’album sur une note planante de près de 7 minutes, liant l’hommage à l’artiste au destin d’Abd Al Malik et qui laisse une large place à de longues séquences instrumentales. Le nouvel album d’Abd Al Malik ne plaira surement pas à tout le monde et met un peu de temps à se dévoiler et donc à s’apprécier. Pour découvrir ses textes toujours aussi pertinents et creuser derrière le rideau de fer de son ambiance musicale étouffante. Un projet hypnotisant, qui prend des risques, et nous fait aimer plus que jamais un Abd Al Malik qui ose surprendre et proposer à son public un objet inhabituel.

Abd Al Malik, Gibraltar, 2015, [Pias] le Label, 51 minutes.

Visuel : (c) pochette de l’album

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Gilles Herail

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