Musique
Qu’est-ce qu’être « Un homme » ?  Interview d’Albin de la Simone

Qu’est-ce qu’être « Un homme » ? Interview d’Albin de la Simone

20 February 2013 | PAR Yaël Hirsch

« Un homme », le quatrième album d’Albin de la Simone est sorti cette semaine chez « Tôt ou Tard ». Avec la collaboration de JP Nataf à la guitare et aux arrangements, et d’Alexandre Tharaud au piano, ce virtuose des mots propose dix chansons entre introspection et humour, parfaitement calibrées et ouvertes sur un plus large public que le travail de ses trois derniers disques. Le titre « Mes épaules » a déjà pris d’assaut les ondes et certaines chansons sont déjà gravées dans les esprits de ceux qui ont écouté l’album, comme le terrible « Ici Hier » sur la fin d’un foyer ou « Ma crise » qui pousse vers les chemins de l’auto-dérision. Le lendemain de la sortie du disque et une semaine après une date parisienne triomphale, Albin de la Simone nous a reçus dans son studio du 104, alors que le lieu vibrait d’activités, sous un soleil printanier… Une rencontre forte et toute en nuances…

Comment se passe une résidence dans un lieu comme le 104 où vous travaillez maintenant depuis 2 ans ?
Oui je suis un gros profiteur, mais c’est malheureusement bientôt fini, les travaux dont je parle dans la chanson « Mes épaules » ont finalement commencé et je suis en train de m’organiser pour avoir mon matériel chez moi. L’idée au départ c’était de me fournir un espace pour me permettre d’écrire et le 104 m’a offert ça, ce que j’ai accepté avec grand plaisir, parce que déjà l’espace, c’est bien d’en avoir. En plus c’est un endroit très inspirant. On se stimule de passer dans les couloirs et d’entendre les gens bosser, c’est très stimulant ? C’est un genre de Villa Médicis en plein Paris, cool, relax, sans pression. C’est un privilège dément, une espèce d’énorme aide.

Donc le pari du lieu de mêler voisinage parisien et amateurs d’art pointus fonctionne ?
Regardez par la fenêtre (du studio d’Albin on peut voir la grande halle du 104, ndlr) tu voix des gamins qui viennent faire de la danse de rue, des comédiens du cours Florent qui déclament des textes. Ailleurs dans les couloirs un atelier d’une autre résidence avait l’air de monter un opéra rock. Il y a même une librairie. Il y a un côté vivier, en même temps très pointu et très populaire. C’est un équilibre qui est rare je trouve et qui est très typique du directeur du lieu, José-Manuel Gonçalvès, qui était auparavant à la Ferme du Buisson. Quand le 104 a ouvert au début, c’était beaucoup plus snob, beaucoup plus fermé et puis c’était raté. Ça faisait vide. Très malin, Gonçalvès a fait la soirée VIP d’inauguration en n’ invitant que les gens du quartier. Symboliquement c’est dément. Du coup aujourd’hui, on voit des parents avec les poussettes au cœur du 104 qui promènent leurs bébés, d’autres qui viennent danser. C’est super ouvert…

Pouvez-vous nous parler de l’exposition et des happenings « Films-Fantômes » que vous avez proposés au 104 ?
Tous cela, tous les tableaux que vous voyez derrière-vous, ce sont les tableaux des « Films-Fantômes ». La première grosse sortie des films fantômes, c’était une rétrospective à Montréal en octobre, et carrément dans un festival de cinéma. J’ai fait une proposition d’imagination en demandant au public d’imaginer les films. LE public sait très bien que tout est faux, je n’essaie pas de duper les gens ! On est tous d’accord : on va jouer à imaginer ces films qui n’existent pas. Mais chaque chose est faite en essayant d’aller le plus loin possible. J’ai écrit les synopsis des films imaginaires, et les musiques. Quand on joue tout avec cordes, batteries, guitare et basse en  spectacle, avec les comédiens qui parlent de leurs rôles, qui lisent des extraits de textes des dialogues, des scènes, parfois émouvantes ou drôles, tout est là pour qu’on puisse y croire, croire qu’on est vraiment à une rétrospective. Il y a des costumes de 3 mètres de géants. Ou ici (Albin montre l’objet plié dans un coin du Studio), c’est une robe d’une duchesse amputée des bras et des jambes et j’ai demandé à Karine Viard de passer un faux entretien avec un vrai directeur de casting qui est un de mes amis pour ce rôle de la duchesse, il y a de fausses critiques des films … On a vraiment poussé le truc très loin, mais j’adore, c’est une façon d’accomplir des choses que je ne fais pas dans la musique ou dans la chanson. C’est l’occasion pour moi de remplir un hangar de bonus et de faire un jour une immense exposition qui pourrait remplir tout le 104… C’est un processus de démesure dans l’imaginaire. Oui, cela commence comme un jeu ou une blague, mais comme elle prend des proportions immenses, à un moment, cela devient troublant…

Avec son titre simple et ses jeux de mots permanents, ce nouvel album ironise-t-il sur les clichés encore vivaces sur ce que « doit » être un homme ?
Dans toutes les chansons, je dis décrire « Un homme » mais en fait ce sont plein d’hommes différents. Qui existent à travers divers détails physiques ou plein de petites sensations. Je me sers d’expressions ou d’images pour dire sans dire. Par exemple, « le doigt sur la couture » ou « le double menton fier », moi j’imagine ce mec qui rentre le cou, tente de se tenir au garde à vous, se tenir droit. Quant au cliché de l’homme qui met les pieds sous la table sans faire de tâches ménagères, qui trompe sa femme, qui ne sait pas parler, ne sait pas pleurer, un dur… Ce cliché là existe, et l’homme qu’il décrit existe aussi, quand même. Je ne suis pas et je ne veux pas être cet homme-là, mais il est très présent dans la société, il est presque valorisé, alors qu’il n’est pas super. Comme on valorise la femme fatale qui fait du mal aux hommes, qui fait souffrir les hommes, elle n’est pas super cette femme, dans l’absolu. Je suis troublé et perplexe, je ne me reconnais pas dans cet homme souvent valorisé et décrit, comme je ne reconnais pas dans les femmes que j’aime le modèle souvent mis en valeur de la femme fatale. J’ai l’impression qu’on pourrait faire des nuances dans tout ça. L’album essaie de nuancer ce que c’est qu’être un homme, en demandant où se situe la masculinité inévitable : est-ce que tous les hommes trompent leur femme ? Vivent-ils tous une double-vie ? Est-ce une fatalité d’avoir la crise de la quarantaine ?

Il y a beaucoup de questions dans cet album, une certaine tristesse aussi mais pas d’angoisse. L’impression qui se dégage est celle d’une grande douceur…

Je suis assez calme comme mec. Pas toujours à l’intérieur, mais il paraît que d’apparence, je suis assez calme. Musicalement, je me suis rendu compte que ce qui me va, c’est la douceur, la coolerie, quand c’est détendu. La tension, l’électricité, l’agressivité ne me vont pas dans mon rapport avec les autres- je suis très angoissé par la violence physique. Donc j’ai besoin d’un rapport doux avec les autres. Je déteste les situations tendues. Et cela doit avoir un lien avec le fait que mes chansons marchent mieux si elles se font dans le calme et si je suis détendu. La douceur, c’est une relation que je veux avoir tout le temps avec les gens, donc j’imagine que si je m’exprime en chansons, forcément j’y mets le même ingrédient.

Et ce tempo doux est aussi ce qui va le mieux avec votre voix, non ?

Ça marche mieux, je crois. Oui, bien vu. Quand il y a des guitares électriques et des cymbales, mon timbre n’est pas mis en valeur, alors que quand il y a très peu de choses d’un coup, il y a plus de place pour ma voix.

Il y a pas mal de chœurs dans l’album. Quel est leur rôle ?

C’est un instrument, qui fonctionne un peu comme les cordes, mais humain. Les cordes comme les chœurs me servent à insuffler un lyrisme que ma voix ne peut pas mettre. Je ne suis pas un chanteur qui tout à coup peut faire exploser la mélodie. Cela me permet d’accrocher la voix à la musique et d’exprimer plus.

Comment avez-vous rencontré Emiliana Torrini ?
C’est ma chanteuse préférée. Je l’ai connue d’abord comme un auditeur. C’était à l’époque de son album « Fisherman’s Woman », donc en 2003. Depuis je n’ai pas cessé de l’écouter, et j’ai un rapport très fort avec cette artiste, c’est vraiment une voix que j’entends à l’intérieur. J’aime profondément ses chansons. Et donc quand j’ai décidé que « Moi, moi » serait un duo, quand je me suis rendu compte que la chanson serait plus forte si c’étaient deux personnes qui disaient la même chose, et que la chanson dépasserait ainsi la plainte du mec, pour montrer que dans un couple si les deux ont besoin de la même chose en même temps, ils ne sont pas capables de se donner d’attention, je me suis demandé avec qui j’allais chanter ça. Et puis comme j’ai décidé d’arrêter de me poser des limites, artistiquement, quitte à voir plus tard les contraintes de budgets ou d’organisation, je me suis demandé « Avec qui tu rêverais de chanter ça ? Avec Emiliana Torrini qui chanterait en Français ? Mais je ne sais même pas si elle parle français ni comment la joindre… » Donc je lui ai écrit une longue lettre et je lui ai envoyé ma chanson par quelqu’un qui connaissait quelqu’un et par chance elle aime la langue française, elle a aimé ma chanson et elle a même aimé mon timbre de voix. On a arrangé une rencontre, elle est venue à Paris, on a travaillé ensemble et en plus on est devenus copains. Ca a vraiment créé quelque chose d’humain et de fort. Mais au début c’était une perche tendue dans l’absolu vers la personne qui m’attire le plus.

Vous avez aussi fait appel au pianiste Alexandre Tharaud…
On se connaît depuis 20 ans, on est copains et on fait plein de choses ensemble, on a fait plein de concerts, notamment au Québec. Je suis incapable de jouer une note de classique et quand on le connaît lui, pianiste prend un autre sens et je ne me dis plus pianiste. Chanter mes chansons accompagné par Alexandre Tharaud, c’est un chamboulement de mes chansons, qui me retourne et me plaît. Je voulais profiter d’une de ses plus grandes qualités, c’est son toucher. Il n’est pas du tout question de virtuosité mais de délicatesse quand il s’agit de faire  sonner ce meuble de 4 m de long. Quand c’est Alexandre qui joue, on a l’impression que les touches font 10 cm de plus de long, qu’il y a plus de nuances, plus de subtilité… Je suis vraiment très heureux qu’il ait accepté de participer à ce disque.

Les premiers échos de l’album dans la presse sont unanimement dithyrambiques, une de vos chansons est pour la première fois diffusée régulièrement sur France Inter, d’après vous « Un homme » est-il l’album de la rencontre avec le grand public ?
J’ai l’impression que les gens qui aiment ce que je fais sont au courant que j’ai sorti ce disque et j’espère qu’il va leur plaire. Après, cet album va-t-il en séduire d’autres ? Je n’ai pas vraiment le rêve du « succès », si ce n’est pour pouvoir faire plein de choses : jouer dans des théâtres incroyables, vivre des aventures folles que seul le succès permet. Après, ma vie est super telle qu’elle est : je passe mon temps à jouer sur scène, à faire des disques, avec d’autres gens, avec moi-même… En tout cas ce qui est sûr c’est que je ne veux rien perdre… J’ai fait trois disques, aucun n’a jamais « marché » au sens commercial et pourtant chacun m’a amené de nouvelles choses superbes dans ma vie et m’a emmené là où je suis. Tout ce que je veux, c’est de ne pas perdre ce formidable acquis, et les premiers échos de la presse et du public au disque me rassurent : je suis parti pour ne pas perdre.

Albin de la Simone sera en concert les 19 et 26 mars pour deux dates intimes au Ciné 13, à Paris.

Photo  : Albin de la Simone sur la passerelle du 104 (c) Yaël Hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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