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[Interview] La Route du Rock : « avec notre public, une relation passionnelle »

[Interview] La Route du Rock : « avec notre public, une relation passionnelle »

30 July 2016 | PAR Bastien Stisi

L’année dernière, à 10 jours du 25e anniversaire du festival dont elle devait être l’incontestable tête d’affiche, Björk annulait son passage à La Route du Rock. Pas de feu d’artifice, mais des bougies quand même soufflées avec panache (et avec Foals) : une affluence tout de même très bonne, quelques concerts d’anthologie (Savages, The Soft Moon, Girl Band, The Notwist), et pas trop de remords à l’heure d’engager cette 26e édition que les circonstances rendent a priori moins aguicheuse, mais qui invitera tout de même sur son sol moins boueux d’années en années une programmation exigeante, de Belle & Sebastian à Tindersticks, de Battles à Savages, de La Femme à Suuns, de Kevin Morby à Fidlar. Comme l’an passé et depuis Paris, entretien avec son directeur (François Floret) et son programmateur (Alban Coutoux), avec pinte de bière sur la table et marinière sur les épaules :

Avec un an de recul, vous la jugez comment, cette dernière édition de La Route du Rock ? 

François Floret : C’est mitigé, forcément. Y a de très bons souvenirs et d’autres un peu plus douloureux…Mais commençons par les bons ! Troisième meilleure fréquentation de l’histoire du festival (avec 23 300 entrées payantes). Le record est à 27 000 avec la venue de The Cure en 2005. L’autre bon côté c’est qu’on avait mis en place un dispositif d’accueil public renforcé. Les gens pensent que l’on n’écoute pas lorsqu’ils nous parlent des conditions un peu difficiles sur le festival, mais au contraire, je peux vous assurer que l’on écoute beaucoup les revendications des gens sur le festival. Le problème jusque-là était financier. On savait très bien que depuis quelques années on n’était plus à la hauteur niveau « accueil du public ». De notre côté, on réclame des travaux depuis notre arrivée dans le Fort de Saint-Père. L’année dernière on a donc fini par pouvoir avoir ces travaux de drainage que l’on espérait depuis longtemps, et qui permettaient au public d’avoir les pieds, à 80%, au sec. On a aussi un nouveau local technique, des canalisations pour les eaux pluviales aux normes. Ça compte beaucoup.

Avec ces travaux, et comme c’était les 25 ans, on s’est dit qu’on allait marquer le coup. C’est pour ça qu’on a voulu inviter Björk, dont la venue devait nous aider à financer tous ces travaux. On a dû aussi augmenter un peu le prix du camping parce qu’on voulait améliorer l’accueil des gens là-bas. 2 euros la journée et 5 euros les trois jours. Les gens ont un peu râlé, mais je les comprends aussi. Ça nous a permis d’augmenter le nombre de sanitaires aussi, ce qui n’est jamais négligeable en festival. Et puis on a maximisé le nombre de navettes aussi, en changeant notamment son circuit. Ça nous a couté beaucoup d’argent.

Et évidemment, tout le monde le sait, Björk a annulé 10 jours avant. Ça nous est tombé dessus comme ça et à l’heure d’aujourd’hui on a toujours pas de raison officielle. A priori elle ne voulait plus jouer son show, c’était trop douloureux pour elle (ndlr : Vulnicura, le dernier album de Björk, racontait les différentes étapes de sa séparation avec son ancien mari).

Et invoquer une telle raison, a priori, ça ne permet pas de faire fonctionner l’assurance qui vous aurait permis de rentrer dans vos frais dans cette affaire…

F. F. : Effectivement, ce qui ne nous a pas permis notamment de pouvoir rembourser les gens qui voulaient être totalement remboursés. On avait augmenté le billet de 10 euros pour la journée qui devait accueillir Björk. Du coup on a juste pu rembourser ces 10 euros aux gens qui souhaitaient se faire rembourser. Ça nous a couté environ 38 000 euros cette affaire. Alors même si on a réussi à boucler à l’arrache Foals, qui a fait un concert super et dont les gens étaient plutôt contents, ça reste quand même forcément une grosse frustration. On aurait bien aimé voir le show qui était prévu pour les 25 ans. Après Nick Cave et Portishead, Björk. On montait d’un cran. C’était, le cas de le dire, un feu d’artifices : il y avait carrément de la pyrotechnie de prévue.


Björk, c’est vrai que c’était « l’absente hyper présente » de l’année dernière. Ça paraît l’être encore aujourd’hui d’ailleurs. Son « forfait » au dernier moment et l’argent qui a été perdu en conséquences a-t-il eu des incidences sur la programmation de cette année ?

F. F. : Je t’avoue que Björk c’est un running gag pour nous, et encore aujourd’hui ! Régulièrement, y en a un qui arrive au bureau et qui balance avec un air hyper inquiet : « hey les mecs, Björk annule ».

Alban Coutoux : L’an passé, je sais pas si tu te souviens, le guitariste de Spectres avait un tee-shirt à l’effigie de Björk lors de son concert…C’était effectivement une obsession pour tout le monde ! Mais c’est vrai que son annulation a été une très grosse incompréhension pour tout le monde. On a reçu un mail hyper laconique qui ne disait quasiment rien, et même le programmateur de l’Iceland Airwaves, qui connaît forcément bien Björk et qui l’avait également programmé, n’a pas été vraiment au courant de la raison qui l’a fait annuler…Après bon, on a quand même eu quelques magnifiques concerts l’an dernier : Spectres, Father John Misty, Flavien Berger, Savages, Girl Band, Jungle, qui nous ont permis d’avaler un peu mieux la pilule.

F. F. : Après niveau prog, ça ne nous a pas refroidi pour autant cette affaire : on ne s’est pas dit qu’on allait faire un truc pointu parce que y’en a marre des têtes d’affiches capricieuses.

A. C. : Et honnêtement je ne pense pas que la programmation soit beaucoup plus confidentielle que celle des années précédentes. On a des belles têtes d’affiches indie-rock avec notamment la venue de Belle & Sebastian, Tindersticks, le retour de Savages, la curiosité Minor Victories, des formations plus électroniques avec Battles, Pantha du Prince, Gold Panda

Faire venir Savages un an plus tard – qui fut à mes yeux le meilleur concert de l’an passé – c’est une opportunité de calendrier ou c’était absolument voulu ?

A. C. : C’est effectivement une question d’envie et de booking. Et puis on a une histoire un peu particulière avec ce groupe : le premier gros festival en France qu’elles ont fait c’était avec nous. Leur live a cette année encore gagné en intensité par rapport à l’année dernière, elles ne sont pas hyper visibles en France puisqu’elles privilégient plutôt leur carrière internationale…

F. F. : Après bien sûr hein tu as raison, ça reste un peu casse-gueule : est-ce qu’elles arriveront à provoquer le même effet de surprise qu’elles ont provoqué l’année passée ? La programmation tu sais c’est toujours un pari.

Cette année, ça sera qui l’équivalent de Savages l’an passé alors ?

F. F. : L’année dernière tu vois j’avais parié sur Girl Band. Et c’était vraiment génial en effet ! Après sinon moi j’attends beaucoup les Fat White Family, mais ce n’est plus tellement une surprise !

A. C. : C’est vrai que l’enchaînement du dimanche avec Fidlar, Fat White Family, Sleaford Mods et Savages, on risque d’en prendre plein la gueule !

F. F. : Sur cette date-là notre régisseur loges risque de nous maudire : tu mets tous ces gens-là au même endroit, ça va être une sacrée scène !

A. C. : Julia Holter, qui passe le même jour, risque de se sentir un peu seule dans les backstages ouais…

Va falloir lui mettre une loge privée peut-être oui !

F. F. : Ou alors faudra qu’elle soit très ouverte d’esprit !


Et Kevin Morby aussi d’ailleurs, il était déjà à l’affiche de la version hiver de La Route du Rock… 

F. F. : En fait déjà, Kevin Morby, on adore. On se passe l’album en boucle, c’est l’album de l’année ! Et en fait on gère son booking en France, et on savait qu’on le programmerait cette année depuis longtemps. Il est venu aussi cet hiver parce qu’on a eu une annulation au dernier moment, et qu’il était justement en promo en France à ce moment-là…Il est venu nous rendre un coup de main, si on peut dire ! Niveau obsession, Suuns vient aussi pour la quatrième fois…On est des gens fidèles ! Même si je sais que cette année on prend un risque : leur dernier album est quand même super radical, je sais pas trop ce que ça va donner en live…

Parmi les têtes d’affiches de cette année, y a aussi notamment La Femme, dont on n’a pas encore parlé. Et ce n’est pas si fréquent de voir une tête d’affiche française à La Route du Rock ! 

A. C. : Personnellement je trouve ça génial d’avoir La Femme. On a tous envie de découvrir le prochain album sur scène qui sort en septembre. C’est un groupe également pas mal taillé pour les festivals : y a une part importante de folie chez eux qu’on a vraiment hâte de voir ! Ils ont un des meilleurs spots du festival cette année : samedi soir, 23 heures, a priori, ce sera plein à cette heure-là !

Le record de fréquentation, vous pensez le battre cette année ?

F. F. : Ah non, pas du tout. On est lucides. On espère plutôt ne pas battre l’autre record plutôt, le mauvais !

A. C. : Mais effectivement, comme tu le suggérais en début d’interview y a pas un artiste qu’on a programmé qui a une notoriété équivalente à une Björk ou à un Portishead, on sait que l’on fera beaucoup moins que les années précédentes.

F. F. : Oui, si on fait entre 16 et 18 000 spectateurs payants, à nos yeux ce sera déjà pas mal. On est bien conscients qu’il nous manque une très grosse tête d’affiche cette année. Le genre de groupe qui rien qu’à lui seul peut ramener 5 000 personnes, ou plus. À La Route du Rock il y a deux types de public de toute manière : y a le mec hardcore qui va venir parce qu’il aime le festival et sa cohérence, et l’autre c’est ceux qui vont venir pour le ou les grands noms. Et comme il n’y a pas ce grand nom cette année, on se méfie.


Je trouve le public de La Route du Rock assez dur. On vous reproche tout le temps plein de trucs. Un public vraiment exigeant, qui n’aime pas tellement le changement, et qui vivrait presque un amour passionnel avec son festival… 

A. C. : Oui tu as raison c’est un bon terme « passionnel ».

F. F. : C’est vrai, ils vont parfois nous faire comprendre qu’ils sont « déçus »…

Ouais, et y a rien de pire que d’entendre l’autre dire qu’il est « déçu » dans une histoire d’amour…

F. F. : Ouais tu as raison. C’est un peu dur parfois. Mais si les gens savaient à quel point on écoute ce qu’ils nous reprochent…On discute énormément avec des prestataires, qui ne comprennent bien souvent pas nos manières de penser et de considérer notre public. D’une manière générale, dans l’organisation des événements, les mecs ont un peu tendance à prendre les gens pour des veaux. « Si on augmente ça, les gens vont gueuler ». « Oui ben les gens gueulent tout le temps de toute façon ». En gros c’est ça. L’année dernière on s’est fait taper sur les doigts parce qu’on avait augmenté des choses, et bien c’était légitime et on a assumé.

A. C. : Bon et après on essaye de pas devenir schizophrène non plus. On nous reproche tellement de choses contradictoires ! « Vous programmez les groupes trop tard, moi je bosse le lendemain je peux pas tout voir ! » ou alors « pourquoi vous avez pas fait de DJ set après Jungle ? Tout le monde était chaud, c’est dur de finir comme ça ! » C’est impossible d’écouter tout le monde…

F. F. : On essaye de prendre compte de tout ce qu’on nous dit, et ensuite de retenir ce qui est légitime. C’est crevant mais c’est important. De toute façon ça fait 10 ans que je le dis : La Route du Rock c’est un peu un festival Wikipédia, dans le sens où tout le monde participe à son évolution !

Et toi tu es un peu le modérateur de la page Wikipédia de La Route du Rock ?

F. F. : Voilà, c’est un peu ça oui ! Tu vois quand on embauche des stagiaires, ils doivent aussi nous donner des idées, bonnes ou mauvaises mais ça peut amener des plus ! Tout le monde participe, et continuera à participer !

Jeudi 11 août

USÉ – LA COLONIE DE VACANCES (Nouvelle Vague)

Vendredi 12 août

AQUAGASCALLO (La Plage) – PSYCHIC ILLS – HAELOS – RIVAL CONSOLES – GOLD PANDA – KEVIN MORBY – MINOR VICTORIES – BELLE AND SEBASTIAN – PANTHA DU PRINCE

Samedi 13 août

REQUIN CHAGRIN (La Plage) – ULRIKA SPACEK – LUH. – EXPLODED VIEW – THE FIELD – SUUNS – BATTLES – TINDERSTICKS – LA FEMME

Dimanche 14 août

HALO MAUD (La Plage) – MORGAN DELT – JULIA HOLTER – SLEAFORD MODS – LUSH – FATH WHITE FAMILY – FIDLAR – SAVAGES

Visuel : (c) DR

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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