Pop / Rock
[Interview] Keren Ann : “Le blues, c’est le confort dans la mélancolie”

[Interview] Keren Ann : “Le blues, c’est le confort dans la mélancolie”

10 March 2016 | PAR Yaël Hirsch

Alors que son nouvel album You’re gonna get love sort en ce joli mois de mars chez Polydor, que Yuksek vient de remixer le très beau titre qu’elle y dédie à son père “Where did you go?” et qu’un Olympia est prévu pour le 15 octobre, la fascinante Keren Ann nous a reçus dans le cadre cosy et végétal de l’Hôtel Particulier pour nous parler de ses inspirations et de ses aspirations musicales. Rencontre avec une artiste exigeante, qui explique aussi bien le blues qu’elle le chante…

Dans You’re gonne get love, dites vous au-revoir à la “bad girl” qui s’affichait en couverture de l’album 101?
Dans 101, le côté bad girl était plus dan la forme de l’album que dans le fond. Parce ce qui m’intéresse toujours le plus dans le fond, ce sont les relations humaines. J’aime apprendre à les accepter, les sublimer. Je suis quelqu’un qui écrit avec du recul. C’est pour cela que ce serait difficile d’écrire des chansons sur ma fille ou directement à elle, parce que j’ai besoin de beaucoup de recul et d’acceptation pour pouvoir créer cette empathie qui m’intéresse dans le songwriting. Donc, bien sûr la Bad Girl ne disparaît pas, elle fait partie de moi. Je pense qu’il y a un lien très fort entre le côté sensuel, organique de cet album et la Bad Girl. On le voit sur la couverture de l’album : il y a à la fois le papillon et le soleil mais aussi les vers et les fourmis. Il faut accepter à faire la part des choses et trouver la lumière avec le bon et le money. Donc il y a forcément un côté un peu street et blues où je laisse parler le mauvais garçon comme dans Easy Money, mais ca reste toujours là dans la forme.

Il y a donc un laps de temps long entre votre vécu et sa mise en musique?
Il faut en tout cas que je digère. Parfois je digère très vite et j’arrive à écrire très vite. Mais parfois quand j’arrive à inconsciemment les analyser et les accepter comme dans « Where did you go ». Le fait que la fille n’aura pas la possibilité de rencontrer mon père et que ce sont deux personnalités très fortes de ma vie qui ne se croiseront jamais, c’est une situation. Où est le sens, où est la beauté dedans, où est la mélancolie, comment je la vis cette situation ?

L’inspiration de la chanson “You’re gonna get love” date de quel moment de votre vie?
C’est peut-être la chanson la plus actuelle, celle qui est destinée à la personne qui partage ma vie. C’est un peu mettre le doigt sur ce qui fait fonctionner une relation, c’est dire tout ceci j’accepte des détails où l’on ne se comprend pas l’on est paumés. Tant que je suis la personne que tu as choisi et que tu viens vers moi les bras grand ouverts, ca va te revenir dessus. « You are gonna get love, this is what we have »

L’album a un côté “grands espaces”, “grand ouest américain”. Y-q-t-il y lien entre ce côté cowboy et la tradition du blues?
y a un très grand lien du Western au Blues. Ce n’est pas Cowboy en tant que je suis là avec ma guitare. J’aime l’émotion dans la banalité et j’aime son côté simple, mais parfois j’aime le grandiose dans les sentiments et le côté épique qu’il peut y avoir dans une relation. Pour moi cet album est très blues dans le renversement de l’écriture et dans le côté répétition des accords, on retrouve des structures du blues, qui permettent d’écrire des histoires dans une formule très précise, après on choisit de réaliser et d’habiller d’une certaine manière. Mais pour moi, le blues, c’est très fort, c’est le confort dans la mélancolie. Il y a un côté laid back, il y a un côté : c’est la situation et il faut la vivre. Il faut trouver la beauté dans les choses. Dans l’écriture, c’est important d’accepter les choses qui peuvent faire du mal et les intégrer dans ma vie d’une certaine forme. Il faut accepter certaines situations et accepter de les décrire avec une certaine forme de sublimation.

Il y a aussi pas mal de fantômes dans ce disque…
C’est vrai qu’il y a la chanson où je parle des twins c’est forcément un homme avec qui j’ai eu un lien amoureux. Mais Wheree did you go ce n’est pas un hommage, c’est comme une lettre un peu. C’est pas tellement une histoire de fantômes, c’est quelqu’un qui est là ou a été là en chair et en os. Mon père est encore là avec moi tous les jours. La chanson, c’est pour essayer de comprendre la logique de cette situation à travers l’écriture.

Dernièrement, on a pu vous voir sur scène avec une autre chanteuse jeune maman, Yaël Naïm. Vous faisiez un très joli duo à Radio France (lire notre article). Vous vous sentez proches?
Je l’adore. Notre famille musicale n’est pas si proche mais en même temps on a plein de références en commun, notamment Nick Drake et Joni Mitchell. Moi je vais plus vers les songwriters américains comme Leonard Cohen ou Bruce Springsteen, elle va plus vers le jazz, on a nos trucs différents mais en tout cas on a un amour pour la mélancolie et pour la musicalité. On retrouve des sensibilités en commun. Et c’était très chouette de faire cette chanson en commun, parce qu’elle ne la fait pas souvent, je ne l’avais même jamais entendu la chanter et j’ai trouvé cela très beau, il y a avait un côté presque reggae dans l’écriture, le côté répétitif. Et puis cette rencontre de deux femmes musiciennes qui ont un rapport aux accords et à l’accordage, avec beaucoup de sensibilité, c’est passionnant. A cause de notre rapport à la musicalité, c’est un peu comme si nous avions été mères avant de l’être. Notre maternité existait avant la naissance de nos filles dans l’approche musicale, dans le rapport aux instruments. Moi j’ai beaucoup de mal à me souvenir de moi non maman, parce qu’il y avait la création, qui crée un continue même si les sentiments ne sont pas tout à fait comparables.

A part Leonard Cohen et Billy Holliday, qui sont vos maîtres?
Tous les gens que j’ai écoutés et qui m’ont donné des repères fonctionnent comme des fréquences qui permettent de réparer des éléments de mon corps. Avec des voix et des instruments qui nous remettent à zéro.

On dit souvent de vous que vous êtes une musicienne “délicate”. Mais il y a aussi beaucoup de puissance dans vos chansons. Comment liez-vous les deux?
La délicatesse et l’énergie ne sont pas pour moi incompatible. La délicatesse est plus dans le côté esthétique des choses. C’est important pour moi, la forme de ms sons, le choix du son de la guitare de la basse, si on joue avec le doigt ou le médiator. Ca a une importance dans mes chansons, dans le paysage sonore que je suis entrain de créer. Il peut y avoir beaucoup d’énergie mais le choix des sons et des mots sera toujours fait avec délicatesse. Dans la poésie qui me touche, chez Sylvia Plat ou Emily Dickinson, même quand elles parlent de choses brutales, la sensualité existe dans le choix des mots. Même la rage, elle vient avec une certaine forme de délicatesse. Pas par peur de se dévoile mais plus par attention d’être écouté. Het baker parfois crie énormément alors qu’il chante tout doucement et avec délicatesse. Et c’est cela qui m’intéresse beaucoup dans la musique.

Quel a été l’impact de l’enregistrement live sur le texture de You’re gonna get love?
Le trio basse, batterie, guitare et chant, oui on l’a enregistré d’une manière très Motown live et après on a habillé autour. Souvent j’enregistrais à la guitare voix dans une pièce toute seule seule et j’habillais après. Mais là la batterie résonne aussi dans la pièce, cela permet de marier les sons et d’avoir un côté très instinctif ou la pièce joue un rôle. Elle est un instrument à part entière et ca donne un effet organique, presque soul. En général je réalise, mais là j’avais besoin d’un regard extérieur, un peu comme on prend un deuxième réalisateur pour un film.

On vous attend le 15 octobre à l’Olympia. Vous serez aussi à l’affiche de certains festivals de l’été 2016?
En France, la tournée sera cet été. Mais je suis toujours en tournée, je n’ai jamais arrêté de tourner. J’étais encore en Asie en été dernier. Où on ne parle pas la mêm langue mais ils chantent toutes ls chnsons en anglais et en français. Ils adorent les chansons en français les conorités les musent et ils les fredonnent.

La couverture de l’album est hypnotisante. Quel est son message?
Avec Antoine Leroux, ce qu’on a essayé de faire c’es d’emmener tous ces éléments: autant les fleurs fraiches que les fleurs fanées, les papillons que les vers. Apporter à la fois les choses attractives et les choses qu’on regrette. You’re gonna get love, c’est tout ça. A la fois les choses qu’on a l’instinct d’aimer et les choses qu’on rejette au départ et qu’on peur aimer aussi. C’est le côté organique de l’amour.

visuel : photo officielle en couverture de l’album (c) Antoine Leroux.

Les vernissages de la semaine du 10 mars 2016
Live-tchat avec Sabine Devieilhe vendredi 11 mars à midi
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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