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[Interview] « Fauve, à la base, c’était une thérapie de groupe »

[Interview] « Fauve, à la base, c’était une thérapie de groupe »

16 May 2014 | PAR Bastien Stisi

Pour la quatrième fois depuis la sortie de son premier album Vieux Frères – Partie 1 en février dernier, le collectif FAUVE investit cette semaine l’enceinte du Bataclan pour cinq soirs de concerts, et devant un public toujours aussi enflammé dès lors qu’il s’agit de répéter en chœur les hymnes à la vie et aux espoirs tourmentés d’un phénomène musical sans précédent. Perché dans les hauteurs du Bataclan après leur concert de mardi, avec vue sur une salle désormais parfaitement dégarnie, le collectif francilien (qui se veut pluriel même lorsqu’il s’adresse au singulier…) évoque à nos côtés ses mutations live, sa thérapie de groupe, et une discographie complétée bientôt par la seconde partie de son album Vieux Frères

Est-ce que vous avez compté le nombre de concerts que vous avez fait jusqu’à présent au Bataclan ? Ça commence à devenir très impressionnant…

FAUVE : Rien qu’au Bataclan, on en est à 17 (ndlr : interview réalisée le mardi 13 mai). On avait fait une première date en juin 2013, et ce soir, c’était notre 16e en 2014.

Et il n’y a pas de lassitude par rapport à tout ça ?

FAUVE : Sincèrement, lorsque l’on s’est retrouvés avec 20 dates programmées au Bataclan, on s’est quand même dit qu’il y avait un risque pour que ça devienne chiant…Et en fait, pas du tout, dans la mesure où les « séries » de Bataclan ne se ressemblent pas tant que ça. Lors de notre toute première série au Bataclan, par exemple, on était là pour tester les morceaux de l’album, qui était sorti le jour même de la première date. Lorsque l’on jouait « Infirmière » ou « Requin-Tigre », c’était une découverte pour le public, et pour nous aussi : on ne savait même pas trop comment les jouer en live ! Au niveau de la vidéo et de la scéno, pareil, on était encore dans quelque chose de très expérimental. Par rapport à nos live de février, je crois par exemple que nos live de mai n’auront rien à voir. Alors que bon, février, c’était hier…

Musicalement, et en matière d’arrangements, qu’est-ce qui a vraiment changé ?

FAUVE : On joue nos morceaux de manière différente. On a ajouté des parties, on en a enlevé, on a changé un peu la structure. On a essayé de ne pas calquer notre live sur l’album…

Oui, comme le fait d’avoir ajouté la référence au « Paris » de Daniel Darc et de Taxi Girl sur « Sainte-Anne »…(« Paris ça s’écrit « M.E.R.D.E. »)

FAUVE : Bien vu, on a effectivement ajouté ça. Ce n’est pas particulièrement un hommage à Daniel Darc ou à Taxi Girl d’ailleurs, dans la mesure où l’on n’est pas des immenses fans, mais cette chanson-là, particulièrement, nous a beaucoup influencé. Le côté incisif, le tutoiement, le côté « hey mec, tu connais Paris ? », correspondait vachement à l’état d’esprit de ce que l’on voulait retranscrire dans « Sainte Anne » à un moment où l’on était grave dans le blizzard…

« Blizzard », justement, c’est évidemment un mot-clé dans l’univers de FAUVE. Est-ce que vous êtes conscient que c’est un mot qu’il est désormais impossible de prononcer sans se montrer dans l’instant d’après parfaitement grossier et ordurier ?

FAUVE : Ce qui est certain, c’est que l’on est un peu fétichistes des mots. Lorsque l’on trouve un mot juste et pertinent, ou bien justement, que l’on n’en trouve pas, on va choisir un mot afin de lui donner un sens ou une coloration particulière. Le mot « infirmière », par exemple, on l’emploie dans « Jeunesse Talking Blues », dans « Zoé », dans « Infirmière »… On le garde, on le répète, c’est un mot qui est rentré dans notre langage courant. Après, on ne s’est jamais imaginé qu’il y a des gens qui pourraient se l’approprier ou l’utiliser derrière…


Ce travail de création collectif, justement, comment se manifeste-t-il de manière concrète ?

FAUVE : Concrètement, ça vient en discutant de la vie et de choses toutes simples. Il n’y a pas de fiction dans les textes de FAUVE, uniquement des choses que l’on a vécu. On discute ensemble de l’intention, de la thématique, et chacun va alimenter les textes avec ses idées et son vécu. Il y a quelqu’un dans FAUVE qui s’occupe plus particulièrement de tout ça, et qui joue le rôle d’une sorte de scribe ou de greffier. Il va prendre un peu toutes ces idées, et ça va faire un texte. Une fois qu’on a le thème, on essaye de trouver l’univers sonore, la coloration, les accords qui vont teinter la chanson. On fait le choix des instruments après : si on veut quelque chose d’aérien ou de mystique, par exemple, on va utiliser un orgue ou un piano droit. Si on veut au contraire quelque chose de plus groovy ou de plus véner, on va prendre une grosse basse et un beat. Parfois, tu discutes juste entre potes, et tu te rends compte que tu viens de créer une chanson…

Vous composez donc vos chansons en parlant, ou au moins en discutant. Est-ce que cette pratique d’écriture valide le terme de « spokenword », que l’on utilise souvent pour catégoriser votre musique ?

FAUVE : En fait, les gens disent « spokenword » parce que nous on a dit « spokenword ». À la base, on ne s’est pas dit que l’on faisait du slam, du rap, ou quoi que ce soit d’autre. Mais à partir du moment où on a commencé à nous poser la question, et à lire des trucs qui ne nous plaisaient pas trop (comme « slam rock » par exemple…), on a décidé de parler par défaut de « spoken world », un peu comme ce que faisaient des mecs comme Gil Scott-Heron dans les années 70, que l’on écoutait beaucoup à l’époque…Le côté prose nous plaisait beaucoup là-dedans, ce qui nous différencie aussi pas mal du côté slam et de son côté très alambiqué, littéraire, et qui engendre pas mal de considérations esthétiques. Parce que nous, la seule considération esthétique que l’on avait, c’était une démarche au sein de laquelle on pouvait vider nos sacs, que ce soit sans filtre, sauvage, brut…

Quand vous en parlez comme ça, on dirait presque que vous avez une démarche beatnik dans votre manière très spontanée de composer votre musique…le côté : « je cale un texte, et après je n’y touche plus »…

FAUVE : Clairement, toute la beat generation est quelque chose qui nous a intéressé, peut-être même influencé, que l’on parle de Kerouac ou de Ginsberg (Burroughs peut-être un peu moins : on  n’a jamais été dans le trip drogue et tout). L’écriture est effectivement viscérale et frénétique : tu commences, et une heure après tu as trois pages. Par contre, on ne garde pas non plus les choses en l’état. Le travail d’élagage du propos de base est assez important, tout comme le fait d’apporter de la musicalité au texte. Contrairement aux slameurs, par exemple, on est attachés au fait de faire de la musique, et on ne va pas se contenter de laisser une bande-son circuler derrière. C’est quelque chose qui se constate d’ailleurs sans doute encore plus lors de nos live…

En live, comme en studio d’ailleurs, on a l’impression qu’il y a une sensibilité spéciale qui vous rassemble…

FAUVE : Ce qui nous rassemble, c’est que l’on a une façon similaire d’envisager les choses. On est ensemble, on se soutient : FAUVE, à la base, c’était une thérapie de groupe, une manière de se soutenir les uns les autres parce que ça n’allait pas bien. Par contre, ce qui nous différencie quand même, c’est que cette sensibilité ne va pas se manifester de la même manière chez tout le monde : pour certains, ça va être une sorte de colère ou d’agressivité (ça se ressent sur « Voyou » ou « Sainte Anne »), et pour d’autres ça va être pris avec plus d’apaisement.

De l’apaisement, justement, on en ressent clairement sur votre premier album Vieux Frères – Partie 1, comparé à votre EP Blizzard qui était clairement sociopathe et dépressif…

FAUVE : Les chansons que l’on a faites sur Blizzard, ce sont des chansons qui ont été faites sur le vif. C’était de l’instantané, de la thérapie, des bouteilles jetées à la mer pour se persuader que l’on s’en sortirait. C’était des moments qui étaient difficiles pour nous. Lorsque l’on a dû composer Vieux Frères, on a eu envie de témoigner de l’histoire complètement extraordinaire que l’on vivait avec FAUVE, tout en montrant l’évolution que l’on a pu connaître. On part ainsi de là où on en était avant FAUVE (avec les trois premiers morceaux, « Voyou », « Requin-Tigre » et « Jeunesse Talking Blues »), avant de montrer la transition qui est apparue dans nos vies et de parler aussi des belles choses qui nous arrivent (« Lettre à Zoé », « Vieux Frères »). On s’est rendu compte que l’on avait autant besoin de parler de nos angoisses et de nos frustrations pour les exorciser que des choses positives afin de les sacraliser.

Et la Partie 2 de Vieux Frères, de quoi est-ce qu’elle va parler ?

FAUVE : La deuxième partie sera encore plus apaisée. On va juste raconter ce qui nous arrive, en tenant bien sûr compte du fait que FAUVE ne résout pas tout : on a toujours peur pour les nôtres, on a toujours peur de la maladie, du célibat…

Est-ce que ce n’est pas compliqué, avec les thématiques finalement assez simples et universelles que vous revendiquez, de gérer au quotidien cette célébrité naissante et l’engouement autour de FAUVE ?

FAUVE : Ça n’influe en rien sur notre quotidien. Avec FAUVE, il n’y a pas de célébrité…On travaille tout le temps, on n’a quasiment pas de vie sociale, on n ‘a ni label ni manager, ce n’est pas comme si on sabrait le champagne en boîte de nuit. On ne nous reconnaît quasiment jamais dans la rue, on n’est pas potes avec Daft Punk et Phoenix. On a croisé Bertrand Cantat deux fois, c’était très impressionnant, mais ça s’est arrêté là. Quand tu rentres le soir, tu vides ton lave-vaisselle, tu dis à tes potes que tu ne peux pas les voir demain parce que tu joues, et voilà. Vraiment, le seul truc qui change, c’est que tu te rends compte que les monologues dans la douche ou les confessions entre amis peuvent être scandés plus tard par plusieurs milliers de personnes…Il y a un moment où c’était un peu bizarre, et c’était ainsi vraiment mieux de ne pas se montrer.

Vous avez l’impression de vous adresser à une génération, comme certains le prétendent parfois ?

FAUVE : On parle de nous, de ce que l’on vit, mais on n’a jamais eu l’ambition de faire autre chose. Il y a ceux qui nous disent : « mais les gars, fermez vos gueules ! », parce qu’ils pensent justement que l’on se prend pour des porte-parole…Et il y a ceux qui nous disent que nos paroles les ont aidés, ce qui nous fait évidemment très plaisir. Mais on insiste toujours sur le fait que, vraiment, on n’a pas fait exprès de le faire…

Une interview réalisée en collaboration avec Camille Hispard, pour le site Quejadore Paris.

Visuel : © pochette de Vieux Frères – Partie 1 de FAUVE

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