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[Interview] Emily Loizeau : “Mona propose un regard sur la norme”

[Interview] Emily Loizeau : “Mona propose un regard sur la norme”

17 July 2016 | PAR Yaël Hirsch

Alors qu’elle se produit aux Francofolies, ce Dimanche 17 juillet 2016 au Grand Théâtre de La Coursive et que son dernier album, Mona vient de sortir en mai 2016, nous avons posé quelques questions à Emily Loizeau en pleine répétition. Alors que nous avions adoré le spectacle Mona (lire notre article), nous sommes fans de l’album et nous avons aussi pleinement adhéré au spectacle sur Lou Reed, Run, run, run donné au Printemps de bourges (lire notre chronique), cet entretien grave et intime a fini de nous rendre fans de la chanteuse.

Mona se noie avec de l’eau, le grand-père est marin et fait naufrage, le premier single s’appelle “Les eaux sombres”, quel est l’impact de l’eau dans cet album et ce spectacle?
Il y a en effet un métaphore, mais ce n’est pas aussi intellectualisé que cela. J’ai toujours mis en relation le naufrage intérieur de ma maman, une vie en naufrage dont Mona pale et qui correspond à un déséquilibre mental que j’ai accompagné avec ma mère. J’ai toujours mis en parallèle cet état et le naufrage du bateau de mon grand-père dans la Royal Navy à un mois de la venue au monde de maman. Le naufrage, c’est donc la métaphore du déséquilibre qu’elle a vécu. Cette métaphore résonnait en moi d’où l’utilisation du champs lexical de l’eau.

Y a-t-il eu un impact de Run run run, le spectacle sur Lou Reed que vous avez travaillé parfois en même temps que le projet Mona, sur votre oeuvre en résidence au 104?
Pour moi il y a évidemment des influences. Notamment je crois dans le rapport au chanté parlé. Pour Mona je voulais quelque chose de rugueux, qui parte de l’acoustique. Mais je me suis aussi dit que les chansons ne suffisaient pas. J’ai alors eu l’idée d’écrire un petit spectacle où les chansons viendraient s’insérer dans une narration, mais les chansons elle-mêmes sont une narration.

J’ai eu la chance de voir le spectacle Mona et j’ai été très marquée par les médecins qui nous accueillaient dès la billetterie. On était déjà dans le spectacle avant d’entrer dans la salle…
Oui, au début je voulais un spectacle complètement immersif et jouer au milieu des gens. J’ai du abandonner l’idée mais je l’ai gardée en pointillés : l’état d’esprit c’est que le public se retrouve immédiatement à l’intérieur de quelque chose.

Et comment avez-vous pensé la scénographie de ce spectacle qui demeure immersif?
J’ai réuni un petit collectif qui m’a permis de travailler avec des gens qui ont un autre langage. On a monté cette chose ensemble : Julie-Anne Roth a fait la mise en scène, Patrick Laffont du collectif MXM nous a proposé des vidéos. Je me suis appuyée sur ces différentes éléments de langage et puis le mien. Je voulais un rapport brechtien à la scène, pas au sens de la distanciation, pas tout à fait, mais plutôt je voulais que Mona pose un regard sur la norme, sur la manière dont notre société gère le déséquilibre. Et de fait, chaque fois que quelque chose ou quelqu’un sort de la norme, sort de l’équilibre, on a du mal à y faire face.

L’album arrive également à la fin d’une période politique très troublée et son caractère “sombre” résonne fort…
Evidemment les événements politique ont une résonance. J’étais en pleine écriture quand tout nous est arrivé. Je n’arrivais plus à écrire après Charlie. Rideau. Noir total. Et puis j’ai eu envie d’écrire un texte. Mona réflète nécessairement la derferlante que nous avons vécu. Pour la question des réfugiés, il y a aussi un écho : voir des bateaux couler aux larges de nos côtes a évidemment été poreux et résonne avec le naufrage de mon grand père. Et quelque part, une enfant qui a 73 ans en naissant, comme Mona, c’est une enfant de la guerre. Et c’est à peu près notre âge, celui de l’Europe. Mais l’album n’est pas sombre, il pose la question de la transmission, de la trace qu’on laisse, de l’héritage qu’on laisse à nos enfants. Et cela pousse à agir. Quand j’imagine ces bateaux qu’on laisse couler au large des côtes européennes et qu’on n’aide pas les gens, je trouve cela insupportable, invivable. On réfléchit à ce qu’on va faire des réfugiés avant de leur porter secours. Or dans la vie quand quelqu’un est en danger on le sauve d’abord, par réflexe, et après on réfléchit aux conséquences. C’est aussi simple que cela : d’abord on sauve et ensuite on réfléchit. C’est comme cela qu’on doit agir.

Dans plusieurs interviews vous dites en effet que votre album “cherche la lumière” qu’entendez-vous par cette expression?
Ce n’est pas le disque de quelqu’un qui se noie mais celui de quelqu’un qui cherche à regagner la surface. Mona parle de joie de vivre, de vouloir alléger les choses.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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