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[Chronique] « Anthems For Doomed Youth » : le retour sans passion des Libertines

[Chronique] « Anthems For Doomed Youth » : le retour sans passion des Libertines

11 September 2015 | PAR Bastien Stisi

Onze ans après leur dernier album (qui était aussi leur 2e), et onze après une séparation pour le moins tumultueuse marquée par quelques anecdotes romanesques qui ont contribué, aussi, à façonner la mythologie réelle du groupe (came et cures de désintox, ravage de chambre, cambriolage de l’appart de Carl par Pete, bastons dans les studios…) Carl Barat et Pete Doherty, qui avec John Hassall et Gary Powell forment les Libertines, font paraître aujourd’hui leur 3e album. Un événement longtemps espéré par les uns, et surtout, longtemps redouté par les autres…

[rating=2]

Redouté, parce que l’on sait l’insurmontable difficulté de reproduire dans le futur proche les passions trop débordantes vécues dans le passé lointain. Car c’est bien d’une passion, orageuse parce qu’excessive, dont il s’agit ici.

Concubinage de raison

Ainsi, Pete et Carl se remettent en concubinage. Mais par raison surtout. Parce qu’il y a des dettes (pécuniaires, et aussi peut-être morales) à payer, et un rejeton dont on a lâché l’éducation pendant longtemps, qui a vécu sa propre vie sans papa et papa (on pourrait citer à l’infini les tubes des Libertines ayant atteint déjà atteint la postérité ultime…) et sur lequel on essaye de retrouver un semblant d’influence. Remuer les cendres d’hier et parvenir à ne pas cramer quoi que ce soit. Pas évident.

Car pour les deux, il y eut des histoires entre-temps. Qui ont pas mal fonctionné pour Pete (3 albums avec les Babyshambles et un excellent album solo), et un peu moins pour Carl (2 albums avec les Dirty Pretty Things, et un album solo sans histoire), mais qui n’ont jamais connu la chaleur et les déraisons du tout premier amour vécu. « First love never die », chantait Soko sur son joli I Thought I Was An Alien en 2012.

En live, lors de leur grand retour en octobre au Zénith de Paris, ou plus récemment à Rock en Seine, on a ainsi vu le duo prendre la pause. Pour les photographes et pour eux-mêmes. Carl regardait Pete, Pete regardait Carl, les deux minaudaient sur le même micro et avec un espace tellement réduit que l’on était en droit de se demander si elle n’était pas réellement en train de se raviver, cette flamme longtemps éteinte. En live, avec une désinvolture et un savoir-faire superbe, les deux anciens meilleurs ennemis de la scène britpop britanniques (ils partagent évidemment le titre avec les frères Gallagher d’Oasis…) remettaient un mot sur un concept de moins en moins utilisé et de plus en plus galvaudé : celui de la« rock and roll attitude ». Jusqu’ici, tout allait.

Passion perdue

Sauf que ce concept, s’ils le défendent toujours admirablement sur scène, Pete et Carl ont oublié de l’emmener avec eux en studio. C’est aussi qu’à leurs côtés, et afin de réadapter le grand enfant Libertines aux exigences nouvelles de ses parents, c’est aux services du producteur Jake Gosling qu’on a fait appel. Et que la dernière fois que l’on a vu le nom de ce type-là associé à un groupe, c’était aux One Direction. Pas étonnant dès lors, que le gamin manque désormais d’audace, de folie, de crasse et de négligence semi-contrôlée avec un tuteur pareil.

Car globalement, on traverse cet Anthems For Doomed Youth avec une indifférence tristement navrante. Trop propre, même dans ses moments les plus explicitement gredins (le tube « Gunga Din », « Heart Of The Matter », « Love On The Dole »), l’album souffre d’une évidence : celle d’avoir été construit avec les attirails d’hier qui ne fonctionnent plus aujourd’hui. Comme des parents un brin négligents qui n’auraient pas vu le fiston grandir, et qui continueraient à vouloir l’animer avec des jouets qui ne seraient définitivement plus de son âge…

Particulièrement long (16 morceaux, c’est beaucoup pour ce type d’albums), ce 3e essai, marqué, et c’est une surprise, par la prédominance de Carl sur Pete (on l’entend davantage qu’hier), livre un pastiche fadasse et sans passion de ses deux glorieux prédécesseurs discographiques. Et c’est plutôt dans ceux-ci, polaroïds nullement datés, qu’il faudra plutôt se replonger. Car les passions, parfois, sont bien plus pertinentes dans l’alcôve cotonné et certain réservée au passé que dans celui, fragile et tanguant, réservé au futur.

The Libertines, Anthems For Doomed Youth, 2015, Universal Music, 58 min.

Visuel : (c) DR

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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