Pop / Rock
200 Motels : Zappa dévoile ses talents classiques dans une création au Zénith de Strasbourg

200 Motels : Zappa dévoile ses talents classiques dans une création au Zénith de Strasbourg

22 September 2018 | PAR Yaël Hirsch

Ce vendredi 21 septembre 2018 avait lieu la première française de 200 Motels, l’album et le film créée en 1971 par Franck Zappa (1940-1993) avec les Mothers of invention. Coproduction de la Philharmonie de Paris, dirigée par le chef Leo Warynski, cette œuvre déjantée révèle l’inspiration et l’apport « classique » chez le rocker qui était aussi fan de Varèse et Bartok.

[rating =3]

Lorsque nous entrons dans la coque orange du Zénith de Strasbourg, l’ambiance est électrique et la jauge inhabituelle pour Musica : 2000 personnes. Le spectacle commence avant l’heure et dans la salle, avec des interviews sauvages opérées par Lionel Peintre qui joue le présentateur TV et qui est entouré de deux animatrices aux robes oranges aguichantes (Marina Ruiz et Alienor Feix). Quelques riffs suspendus animent la salle, tandis qu’une écran en forme de pénis stylisé nous transforme en voyeurs. On annonce le chef d’orchestre qui arrive comme une star de talk show, veste à brillants incluse, entouré par la masse de ses Métaboles, de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et des Percussions de Strasbourg. La production nous permet de voir un Zappa double : en pantin et joué par Dominic Gould tandis que l’écran grossit le cœur de scène qui reste statique mais permet parfois de voir un peu dans les vestiaires.

Tout le projet déjanté de Zappa est de nous emmener dans les coulisses d’une tournée où les sandwichs au thon lyophilisés, le consumérisme du petit peuple américain et les motels sont rois. On s’envoie en l’air facilement et sans grande envie et quand c’est plus avec de la drogue que de sexe, on a la tentation de dépecer et voler le matériel de la chambre. Il faut bien mettre un peu de sentiments dans cette soupe, nous dit-il, ce qui donne des chansons provocatrices et pastiches comme « Lonesome Cowboy Burt » ou poétiques et absurdes comme « The Pleated Gazelle ».

Les costumes fluos et le procédé de film en direct usé jusqu’à la corde par le metteur en scène Antoine Gindt et son vidéaste Philippe Béziat,  semblent appliquer à la lettre et à la scène l’univers psychédélique du film originel. Mais sans dessin, sans distance et sans autre direction d’acteurs (et d’actrices!) qu’une ferme volonté d’obscène, le faux bordel concentré sur 1/5 de la scène est inerte. Et les scènes de branlette avec des baudruches ou de rébellion dans les toilettes ne disent rien de l’œuvre. Elles jurent même avec la musique qui, elle, est d’une rigueur et d’une intensité déroutantes. Alors qu’une vision qui redonne du sens au What the fuck du film pour notre temps était un bel objectif, le spectacle achoppe sur les fausses paillettes et la vraie vulgarité de sa mise en scène. Plate, toujours au premier degré, celle-ci redouble la légèreté d’une intrigue écrite à la va-vite et les offenses racistes et sexistes de borborygmes aujourd’hui plus adolescents crados que révolutionnaires.

Reste la matière musicale, étonnante et riche. Les fans de Zappa, comme les amateurs de Berg et Boulez seront tous surpris du peu de rock qu’il y a dans cette musique et de la somme de citations « classiques ». Le challenge est grand car le mélange est complexe. Les voix des chanteurs sont à la hauteur, notamment celle de la soprano Mélanie Boisvert en femme-objet. Mais les plus beaux moments sont instrumentaux, notamment l’interlude orchestral qui précède un final à la fois sexuel et gentiment blasphématoire. Cette musique « prise au sérieux » est une révélation et une découverte à faire.

200 motels se donne le 30 septembre à la Philharmonie dans le cadre d’un week-end dédié à Zappa avec entrée autres The Yellow Shark, deuxième collaboration de Zappa avec un ensemble contemporain après Perfect Stranger commandé à l’époque par Pierre Boulez pour l’Ensemble Intercontemporain.

Visuels : YH

Corpus Baselitz : Autoportraits réflexifs et incarnés au Musée Unterlinden
La mélancolie du “Dom Juan” de Marie-José Malis
Avatar photo
Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration