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Edito : Une Saint Valentin qui questionne les contrats du mariage

Edito : Une Saint Valentin qui questionne les contrats du mariage

14 February 2013 | PAR Yaël Hirsch

Chaque année quand le marronnier de la Saint-Valentin pointe le bout de son nez, au cœur de l’hiver, nous commençons à nous creuser la cervelle pour concocter un dossier qui mette en valeur la manière dont la culture reflète la perception du couple, sans ennuyer ceux et celles, célibattants ou adeptes des triangles amoureux, que le chiffre deux hérisserait. Et chaque année nous avons tendance à aborder avec à la fois liberté de ton et sens du concret, puisque jusqu’ici c’est surtout de sexe que nous avons décidé de parler, afin de désamorcer l’eau de rose marquetée de ce jour de célébration païenne. Même s’il y a encore beaucoup à dire sur le sexe, cette année, nous avons eu envie de changer d’angle.

Notre point d’attaque nous est venu très directement. Comme la sociologue Martine Segalen, l’équipe de Toute la Culture s’est étonnée de la violence des réactions au projet de loi de mariage pour tous. A force de voir, sous les fenêtres de notre bureau du Champs de Mars des dizaines de concitoyens défiler pour tenter de définir qui a droit au contrat de mariage, nous nous sommes dits que cette vieille institution est encore un ressort clé.

Le mariage, pour le cinéma ou les livres, c’est bien sûr la robe blanche, la comédie romantique, le mythe dangereux du “plus beau jour de sa vie” qu’on impose aux petites filles et aux grandes lectrices de romans. Quant aux jeunes garçons, contre toute attente, eux aussi sont soumis à une idéologie maritale qu’on croyait morte et enterrée depuis les années 1970. Même s’ils préfèrent s’agglutiner devant leur ordinateur que de lire les contes de Grimm, les jeunes  sont programmés pour être de grands romantiques, puisque c’est jusque dans les jeux vidéos qu’on leur donne pour tache de sauver une princesse et de l’épouser.

Pour la musique, ce sont les grandes promesses et les grandes déclarations que l’on fait à l’être aimé, des supplications d’un “Ne me quitte pas” aux certitudes que l’être aimé vous gardera la dernière danse. Volontiers universel, sinon encore “pour tous”, cet engagement sur l’avenir de deux êtres a lieu depuis l’Antiquité et se poursuit, même  dans les conditions les plus difficiles, ce que montre bien le succès de l’électro pour fêtes de mariages du DJ syrien Omar Souleyman. Dans nos cultures, dans nos schémas de représentation, même au 21ème siècle, cette promesse semble encore faire rimer amour avec toujours…

Mais, en tant qu’elle est située à l’intersection de l’intime et du public, du couple et de la société, l’institution du mariage en France est avant tout un contrat entre deux individus libres. Un contrat civil dont ils nous semblait important de rappeler le cadre. Et que tout un chacun peut rompre à chaque instant. En tant que plébiscite de tous les jours, cette vie à deux qui s’est officialisée est peut-être encore plus inspirante pour les arts que la certitude du “forever”.

Sur les planches, en ce moment, on négocie, on retarde, on craint, puis on teste, on donne des coups de canifs, dans ce contrat. Toute la littérature, y compris celle dite “du mariage” au 19èle siècle réaliste, romantique, victorien ou même naturaliste, tente de montrer combien le mythe de l’amour/toujours emmuré dans l’institution immuable du mariage pouvait causer de dommages. Quant au cinéma, même et surtout la très catholique Italie a mis en scène dès les années 1950 la cruauté sociale que pouvait engendrer une comédie de vie de couple uni, quand on s’est lassé ou l’on ne s’est pas vraiment choisi.

La culture continue de mettre le couple en question et de se demander ce qu’il advint de l’individu (et du chiffre 1) quand ce dernier se dissout dans le couple. Mais même quand il propose des triangulations de vérité romanesque (donc du chiffre 3) pour tenter de dépasser la représentation du désir comme un égoïsme exclusivement à 2. Mais tout en faisant cela, la culture nous rappelle utilement que la bonne vieille institution du mariage reste le point d’ancrage et que dans notre représentation du monde la proposition “ils se marièrent” continue malgré tout ce que l’on aurait pu penser sur la libéralisation de nos sociétés le “ils eurent beaucoup d’enfants”.

Un constat qui nous laisse rêveurs, en attendant le vote du Sénat le 2 avril, et que nous transmettons, non sans vous souhaiter une très belle Saint-Valentin, seul, à deux, à trois ou à n+1. Et comme chaque année, pour fêter l’amour, nous vous gâtons. Avec un cadeau empoisonné d’abord : notre pire cauchemar de playlist de mariage (à prendre au troisième degré) et un vrai présent de rêve, sur le mode du concours : votre voyage de noces à Tahiti.

Bonne fête à tous les amoureux! Et surtout bonne lecture avant votre soirée romantique.

La Rédaction.

crédit : (c) Emilie Hallard

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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