Musique

Le Triptyque, Trois pièces rares de Puccini à l’Opéra Bastille

15 October 2010 | PAR Christophe Candoni

L’Opéra de Paris redécouvre le Triptyque de Puccini créé en 1918 et rarement donné dans son intégralité. Les directeurs d’opéras préfèrent souvent la troisième et dernière œuvre “Gianni Schicchi” aux deux autres injustement décriées ; “Il Tabarro” et “Suor Angelica” ne sont pourtant pas sans intérêt loin de là. La production, importée de la Scala de Milan, est signée par l’italien Luca Ronconi qui réalise un travail scénique honnête, classique, plutôt illustratif mais principalement au service de l’émotion que la sublime partition dégage. A la direction de l’orchestre et d’un plateau vocal homogène et somptueux, Philippe Jordan fait merveille.

Les trois pièces en un acte n’ont apparemment rien en commun, l’ensemble dépeint trois univers variés, chacun dans un registre différent, alors le dispositif scénographique se charge de faire le lien. On reconnaît à chaque fois une large fissure dans le mur et un praticable incliné qui sera d’abord une péniche pour Il Tabarro, une œuvre sombre qui se passe sur les bords de Seine à Paris, puis une énorme statue de vierge tombée de son socle pour représenter la figure de la mère déchue qu’est Suor Angelica, enfin, le lit funèbre de Donati dans Gianni Schicchi autour duquel se joue la comédie d’une famille cupide. Les décors de Margherita Palli sont des espaces réduits mais fonctionnels, à la fois stylisés et baroques.

On passe du rire aux larmes, de l’effroi à la pitié, c’est la grande force de ce triptyque. Les pièces sont très différentes. On commence avec Il Tabarro, une histoire sordide d’amour adultère et de meurtre, bien servie par de grandes voix pucciniennes : Juan Pons, toujours vaillant, Marco Berti et surtout Sylvie Valayre qui joue avec justesse et caractère le désir de vivre et d’aimer de Giorgietta, notamment dans la scène de la danse. On y reconnaît le goût romanesque de Puccini de mettre en scène des personnages ordinaires, déclassés, de condition misérable comme les mariniers ou Frugola la chiffonnière (Marta Moretto).

Dans Suor Angelica, on retrouve une autre facette de son œuvre, la mise en scène des destins tragiques de femmes malheureuses et sacrifiées, on pense bien-sûr à Madame Butterfly. L’œuvre présentée raconte le drame mystique d’une femme recluse dans un couvent pour expier son pêché : avoir donné naissance à un enfant hors mariage. Lorsqu’elle apprend sa mort, elle s’empoisonne. Voilà qui apportera de l’eau au moulin des détracteurs de Puccini qui taxent le compositeur d’excès de sentimentalisme facile. Néanmoins, la partition est superbe tout comme les chœurs délicats des voix majoritairement féminines. Dans la production de Ronconi, c’est clairement la moins bien montée des trois, trop statique et la dimension religieuse est appuyée sans finesse, mais paradoxalement c’est aussi la plus bouleversante. Tamar Iveri est sublime de douleur sans en faire trop face à la droiture terrifiante de la mezzo Luciana d’Intino. C’est un triomphe pour les deux chanteuses.

Luca Ronconi s’amuse dans un Gianni Schicchi farcesque à la théâtralité affichée, à représenter les madones de la bourgeoisie italienne toutes vêtues de noir avec leur long voile de deuil, leur col de fourrure et leur petit sac à mains qu’elles agitent dans tous les sens. Juan Pons est drôle dans le rôle-titre. Ekaterina Syurina a été fort applaudie après son « O moi babbino caro », le tube de l’opéra, et forme avec le ténor Saimir Pirgu, une jeune révélation de 29 ans qui possède une très belle voix, forment un couple au combien romantique sur le perron face au dôme florentin.

Philippe Jordan, le directeur musical de l’Opéra de Paris, fait un travail foisonnant, passionné, à l’exploration de la richesse narrative de la musique, des diverses tonalités dramatiques et des couleurs inouïes contenues dans l’opéra.

Le Triptyque, jusqu’au 27 octobre à 19h. A l’Opéra Bastille, rue de Lyon (13 arr.). 08 92 89 90 90. www.operadeparis.fr

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Christophe Candoni
Christophe est né le 10 mai 1986. Lors de ses études de lettres modernes pendant cinq ans à l’Université d’Amiens, il a validé deux mémoires sur le théâtre de Bernard-Marie Koltès et de Paul Claudel. Actuellement, Christophe Candoni s'apprête à présenter un nouveau master dans les études théâtrales à la Sorbonne Nouvelle (Paris III). Spectateur enthousiaste, curieux et critique, il s’intéresse particulièrement à la mise en scène contemporaine européenne (Warlikowski, Ostermeier…), au théâtre classique et contemporain, au jeu de l’acteur. Il a fait de la musique (pratique le violon) et du théâtre amateur. Ses goûts le portent vers la littérature, l’opéra, et l’Italie.

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