Musique
Le Nain et L’Enfant et les sortilèges, l’Opéra de Paris en terre d’enfance

Le Nain et L’Enfant et les sortilèges, l’Opéra de Paris en terre d’enfance

23 January 2013 | PAR Bérénice Clerc

 

L’Opéra de Paris voyage au pays de l’enfance cruelle avec Le nain d’Alexander Zemlinsky et L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel sous la baguette de Paul Daniel, la mise en scène, décors et costumes de Richard Jones et Antony McDonald. Un voyage fantaisiste et moderne à vivre du 23 janvier au 13 février 2013 au Palais Garnier.

Créé à Cologne en 1922,  Le Nain, d’après L’Anniversaire de l’Infante d’Oscar Wilde, est très peu donné en France. Si l’intrigue du Nain se situe historiquement à la cour d’Espagne, le thème, lui, est éternel. Le compositeur souhaitait écrire une œuvre sur la tragédie d’un homme laid. Une possible autobiographie de ses souffrances car Zemlinsky souffrait, semble – t-il d’une disgrâce physique, son élève Alma Schindler le décrivait : « comique, petit, sans menton, les yeux protubérants », il était fou d’elle mais elle préféra épouser Gustav Mahler. Certains voient dans le personnage de l’Infante capricieuse et cruelle le portrait à peine transposé de la belle Alma.

Zemlinsky a écrit pour cet ouvrage réussi une musique à la fois sombre et flamboyante, brodée d’or, de couleurs et de drame fascinant. Le livret interroge la connaissance de soi comme les prémices de la psychanalyse. Est-il nécessaire de connaître son apparence ? Le physique est-il le reflet de l’âme ? La conscience de soi peut-elle détruire l’image de soi ? Un questionnement métaphysique proposé tout au long de la pièce au spectateur suspendu au fil chaotique de la musique en mouvement parfois déchirante.

Le décor de l’Opéra de Paris est original, coloré, moderne et fantaisiste. D’immenses asperges en fond de scène, mur et porte rouge, lumières et couleurs vives et variables. Au centre un piano d’argent tatoué d’hirondelles. Les costumes rappellent la cour d’Espagne, ses robes plateaux mais un brin décalés tout de même. Une infante belle, chevelure rousse finement bouclée, la chanteuse force un peu le trait de la capricieuse, une cour de jeunes femmes chante des louanges à sa beauté. L’orchestre et le chœur se répondent, l’échange amuse, le chœur habite la scène et l’espace vocal avec beauté et finesse.

18 ème anniversaire de l’infante, elle ouvre avant l’heure ses cadeaux, l’arrivée d’un homme laid, nain, provocant de dégout de tous est annoncée. La porte s’ouvre, le spectateur ne le voit pas encore, l’infante et ses suivantes prennent des airs de dégout profond. Le nain apparaît enfin en la personne de Charles Workman et une marionnette calée entre ses mains et ses pieds comme un double, un prolongement de son corps. Le principe de la marionnette pour jouer le nain peut être intéressant mais le problème fondamental de cette mise en scène est l’absence de laideur du nain. Charles Workman est bel homme, élégant en costume noir, cheveux gominés, voix magnifique, charisme, jeu d’acteur élégant et sa marionnette, fine, de blanc vêtue, naine, mais ni laide ni repoussante…

Heureusement le jeu des acteurs, la musique angoissante, envoutante et le pathos rendent ce drame réel et emporte le spectateur dans cette histoire tragique d’un homme qui ne s’est jamais regardé dans le miroir, croit en lui et en l’amour possible de la belle infante. Une vision du monde tragique allant jusqu’à la mort, des duos, une musique saisissante, cruelle et des chœurs finement ciselés. Au salut les applaudissements fusent et deviennent surpuissants quand Charles Workman s’avance.

Un entracte plus tard, le même rideau de scène avec une petite découpe au centre s’ouvre sur L’Enfant et les sortilèges de Ravel.

Puni par sa mère parce qu’il n’a pas fait ses devoirs, un enfant trépigne de rage et s’en prend aux objets posés là, tasse, théière, fauteuil, cahiers, chat, écureuil, tout y passe, tout est détruit. Touchés par un sortilège, les objets brisés, les animaux meurtris se mettent à parler. A travers leurs remontrances ou leurs plaintes, l’enfant prend conscience des tortures infligées, et le spectateur assiste à l’éveil d’une conscience de soi et des autres via les objets. Écrit entre 1919 et 1925, L’Enfant et les sortilèges est le fruit d’une collaboration entre Ravel et Colette. Une fantaisie lyrique unique par sa concentration et sa poésie, alterne entre rêverie néo-classique et conte fantastique.

Un petit rideau s’ouvre sur un décor à petite échelle, Gaëlle Méchaly, soprano, joue le rôle de l’enfant, il eut sans doute été préférable de faire jouer un enfant réellement de l’âge du personnage mais il est complexe de trouver la perle rare pour un tel « solo » ne supportant pas les approximations ou le manque d’énergie. La chanteuse mime l’enfant, elle peine à trouver une réelle énergie enfantine, mais la mise en scène, les costumes fantastiques, la scénographie éloquente et les chorégraphies font de cette version un bijou gorgé d’humour et d’envie de faire rêver.

Comme une danse des sept voiles, le décor laisse découvrir, pour chaque objet animé, un espace différent, des échelles multiples et des chanteurs objets amusés et amusants.

Entre chorégraphie et musique, le spectateur pourrait croire à un petit ballet finement orchestré. La musique de Ravel introduit des rythme jazzy, afro américain et confère aux instruments une sonorité fantastique et exaltante dirigée avec joie par le chef.

De très belles images, un chœur d’enfants très enlevé, des costumes joyeux chaque fois plus travaillés et des scènes d’ensemble souvent très drôles et vocalement maitrisées font de cet opéra le spectacle idéal pour réunir enfants et parents à l’Opéra.

Une belle soirée au Palais Garnier, un retour vers l’enfance entre souvenir de cruauté et nostalgie.

 

Visuels (c) Opéra national de Paris/ Ch. Leiber/ E. Mahoudeau

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Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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