Jazz
[Live report] Emile Parisien et Vincent Peirani au Duc des Lombards

[Live report] Emile Parisien et Vincent Peirani au Duc des Lombards

24 September 2014 | PAR Elie Petit

Ils sont arrivés de manière impromptue et discrète, presque timide. « Tu veux dire un petit mot ? » glisse Peirani à Parisien. Apparemment non… Il annonce le premier morceau : « Egyptian Fantasy » de Sidney Bechet. Applaudissements. « Attendez ! Attendez ! dit Peirani, pince-sans-rire. Vous pourrez applaudir, après, si tout va bien ! » Démarrage en fanfare avec leur tube, en boucle sur TSF, qui a diffusé le premier concert de cette série de 6 parisiennes, qui s’achève ce soir, au set de 22h.

La fantaisie égyptienne à la sauce des deux amis enchante le public, légèrement plus enlevée que l’enregistrement de leur album Belle Epoque.

Le silence est admiratif. La serveuse marche à pas de loup. On apprécie les nuances de l’accordéon, ses folies, le jeu de Peirani. Oui, Peirani joue, comme un gamin surdoué. Parisien se courbe, avance, recule, sautille autour de son saxophone soprano. Il charme le micro comme si c’était un serpent et se retrouve hypnotisé, lui-même, par sa flûte dorée. Leur plaisir est contagieux.

« Temptation Rag » suit. Les deux, sont de vrais explorateurs. Ils voyagent. Les dissonances sont vives. Les deux complices jouent à part et se rejoignent enfin. L’accordéon se fait basse puis brass band, puis chanson. « A quoi bon visiter Paris quand on entend cette musette ? » doivent se dire les Américains, nombreux dans la salle. Le bon vieil air de Montmarte.

D’un coup, une présence différente entre en scène. Sans aucun lien, un verre se casse derrière le bar. On sent que tout change, soudainement. Un homme visiblement imbibé par la musique autant que par la boisson s’approche des musiciens. « Ca veut dire quoi ? » dit-il sans que l’on sache de quoi il parle. Les regards sont circonspects. Cela fait-il partie du set ? « Qui t’a piqué tes chaussures ? » envoie-t-il à Peirani qui joue effectivement pieds nus. Les jazzmen tentent de répondre mais préfèrent reprendre. « Je suis créole ! » fait-il savoir.

L’anormal, rit, maugrée, applaudit trop tôt. Il perturbe. On lui propose de s’asseoir sur les marches. Il s’y allonge, comme un clochard, sa clope éteinte entre les doigts et son verre de whisky au poing. Il parle, de temps en temps, siffle même, ponctuellement, trois morceaux durant. Il regarde le duo de derrière le grillage et les tabourets des moins bien lotis de la salle, comme un intrus, curieux, voyeur, derrière des persiennes. Les spectateurs sont agacés.

Pendant ce temps, Peirani et Parisien, s’entrainent mutuellement dans leurs délires, sur des compositions du premier. Des délires aux larmes fusent les longues lamentations de l’accordéon. Peirani navigue dans le monde qu’il a créé. L’invité inattendu tape sur sa cuisse, claque de la langue. Il aime leurs frasques et leurs incartades.

Soudain, de l’accordéon jaillit la parole. Non ! C’est Peirani qui tapote sur les touches aussi vite qu’il détache les sons qui sortent de sa bouche. C’est incroyable. L’instrument et son maître se font GameBoy, balkanisent et beatboxent, très simplement. Comme un hommage aux plus populaires des musiques. Ensemble, ils sont capables de tout.

« Vous êtes fous ! » s’exclame le fou. On ne peut plus l’ignorer. Sur scène, le jazz, dans la salle, on jase. Nul besoin de flics, les spectateurs s’en chargent. L’un d’entre eux se penche sur l’homme, toujours à terre et lui demande de se taire. On peut tout faire à un homme à terre. « Excuse-moi de te demander pardon ! … Je suis un musicien ! » lui répond-il. Quand le havre de liberté et d’émancipation devient lieu de contrôle social.

Le duo s’enfonce dans les profondeurs, au détour d’une valse magnifique composée pour « Michel P. ». « Portal, pas Petruciani ! » racontera Peirani. Parisien s’envole. Et replonge, très Bechet, petite fleur que l’on noie puis enterre. Le souffle est immensément long. Jusqu’à l’asphyxie.

L’homme est vexé, il veut se lever. Un comble ! Vous l’avez reconnu(e) ? Oui ! C’est lui ! C’est elle ! C’est bien lui ! C’est bien elle ! La note bleue, la blue note. La sensible. Le sensible. Celui qui vibre différemment, qui exprime autre chose que ces bobos silencieux venus froncer les sourcils, un verre de Petit Chablis à la main. C’est toute une idée du jazz et de son public que l’on veut chasser. De son propre temple.

Bechet reprend ses droits avec « Casbah Song of the Medina » et Parisien fait montre d’une très grande virtuosité. Il pleut des notes. Il se dépasse, bondit, balance des triples croches et se surprend à reculer devant la rafale envoyée, comme un boomerang, un crochet. C’est la retour de force créé, par son fusil-mitrailleur à vent.

L’accordéon arrive au blues, le saxophoniste est genoux au sol, entre la prière et les starting blocks. Un bis et c’est fini, sous les vivats, pour ce duo éclatant de talent.

La note bleue, elle, a déjà quitté les lieux, après une dernière tentative. Pas de fous ici. Mais qui étaient vraiment les fous ? Lui/Elle ? un homme des clubs d’avant ? Qui ne faisait finalement pas plus de bruit que les tickets au sortir de la machine à CB ? Ou les jazzmen, des hommes qui s’affranchissent de leur propre liberté. Ou tous, qui regardaient en biais, cet homme qui, ce soir, était le jazz.

Visuel : (c) pochette de Belle Epoque de Peirani et de Parisien

Visuel en Une :  (c)Christophe Charpenel

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Elie Petit
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