Jazz
Kamasi Washington : boulimie de son à La Villette Sonique

Kamasi Washington : boulimie de son à La Villette Sonique

01 June 2016 | PAR Emmanuel Niddam

Kamasi Washington, saxophoniste touche à tout, fils surdoué d’une famille de musiciens californiens, est le phénomène de la planète Jazz de 2015. Énorme, géant, mature, créatif : aux quatre coins de la planète, la presse salut dans The Epic – son premier et seul album – une œuvre déterminante. Il était programmé hier soir à la Philharmonie, dans le cadre de Villette Sonique. Le Miracle Kamasi passe-t-il l’épreuve du Live ? On vous dit tout.

Kamasi Washington a du talent : on le dit. Et pas seulement pour son album. On le dit aussi parce qu’il est le saxophoniste de Kendrick Lamar, la star montante de la musique hip hop US.  Sur son album, le massif jazzman adopte aussi des méthodes propres à Lamar : beaucoup de musiciens, beaucoup de morceaux (trois CD tout de même), beaucoup de travail, beaucoup de mélanges. On reste à vrai dire stupéfait qu’une telle débauche de moyens atteignent tout de même – par moment – le but de la finesse, de la mélodie, de la surprise et du Jazz. C’est sans doute ce miracle que la planète Jazz a salué. Mais reproduire le miracle de faire vibrer les esprits avec une compagnie de GI talentueux en live est un autre défi.

Avant l’arrivée des huit artistes sur scène, une première partie était proposée : un DJ set qui cultive les lettres de noblesse de cet art à part entière. Et c’est un français – nom de scène Solo – qui nous débarbouille les oreilles durant une heure. Solo – pour les anciens jeunes, il jouait le rôle de Santo dans La Haine – est étiqueté rappeur pour son travail parisien autour des soirées Toxic. Mais hier soir, c’est dans une célébration de bien des strates musicales qu’il nous fît cheminer. Son set débuta par la voix granuleuse de Billy Holliday, pour se poursuivre dans des aller retours incessants dans des titres méconnus de The Crusaders, Kool & The Gang, ou Dopeman Please. Une heure de bonne musique, savamment mixée par Solo qui pimente son art d’un jeu de clavier toujours en finesse. Du bon son.

Puis, six cavaliers font l’entrée sur une scène remplie. Deux batteries sont mises en hauteur. La choriste et petite amie du prodige entre, et électrise les yeux de tout le public. Le band commence, ça tape, ça joue et le prodige arrive, dans une tenue située entre la robe traditionnelle sénégalaise et la vareuse pour nourrisson. Son saxo ténor a l’air minuscule dans ses mains tant il en impose. Et le big band se met en marche. “Change of the Guard”, le premier morceau de l’album, qui déjà faisait quelque peu saturer les oreilles du melowman français, et interprété ici sans moins de force. Beaucoup trop de force. On peine à entendre la virtuosité du pianiste, et les douces vocalises très Star Trek de la choriste.

Nous attendions donc avec impatience d’entendre l’interprétation en Live de morceaux plus doux de l’album. “Henrietta Our Hero”, hommage à la grand-mère du gargantuesque génie, est une ballade à la mélodie remarquable, presque une berceuse. Sur l’album, elle offre de véritables moments de légèretés. Mais ici, cette magie n’est pas au rendez-vous : la superbe ligne mélodique est écrasée par un jeu sans cesse en surnombre, une envie de faire trop, à chaque fois, sans jamais laisser le silence nécessaire à la valorisation de la note à venir.

Après 1h45 précise de spectacle, l’enfant de la balle californien reprend la route de sa tournée Européenne, devant un public ravi, chaud, et qui en redemande. La démonstration de force menée par ces talentueux artistes, pour paraître rétive au public jazzeux francophone, habitué à des live plus fins et tamisés, qui donnent la possibilité à chaque note d’atteindre l’eden phonique, ce concert n’en est pas moins très apprécié du public du festival Pop-Rock Villette Sonique, qui ouvre la saison des festivals avec une programmation courageuse et passionnante.

Le miracle de la réconciliation de la puissance et de la finesse n’eut donc pas lieu hier soir. Il y a chez Kamasi Washington une insatiable envie de remplir le vide de son son, de sa musique, de son univers. Cette envie finit, selon nous, par dévorer le génie musical de ses propres compositions, et nous laisse bouche bée – et oreilles surchargées – devant tant de puissance. Reste que Villette Sonique clôt sur une véritable réussite de mélange des publics, de rencontres des générations, et fait progresser ainsi un peu plus les oreilles de tous vers l’intelligence.

Visuel : Youtube

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Emmanuel Niddam

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