Classique
Une Martha Argerich très bien entourée

Une Martha Argerich très bien entourée

19 October 2016 | PAR Julien Coquet

La soirée s’annonçait une nouvelle fois prometteuse puisque Martha Argerich, comme à son habitude depuis quelques années, se produisait avec sa famille idéale de musiciens. Prouesse technique, musicalité, tension étaient présentes pour une très grande soirée!

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C’était avant-hier soir, lundi 17 octobre 2016, une des soirées musicales où il fallait être. Rien qu’au niveau “people”, on pouvait croiser Laurence Ferrari (femme de Renaud Capuçon), Jean-Paul Huchon ou encore Manuel Valls discuter avec Cecilia Bartoli à l’entracte. Mais nous étions là pour la musique et fûmes loin d’être déçus. Rappelons que la pianiste argentine Martha Argerich a presque complétement délaissé le répertoire solo depuis une trentaine d’années et s’adonne maintenant à donner des concerts de musique de chambre intitulés “Martha & Friends” où elle convie aussi bien amis, enfants ou anciens maris.

Le concert débute par la transcription pour deux pianos du Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy. Plus connue pour petit orchestre, la pièce, inspirée par un poème de Mallarmé, est traversée par les échos de la flûte traversière alors que l’orchestre tisse un accompagnement tout en finesse. Stephen Kovacevich et Martha Argerich livrent une interprétation impressionniste de la pièce où les arpèges se distinguent parfaitement, faisant ressortir les nombreuses couleurs de la partition.

L’ancien compagnon de Martha reste ensuite seul au piano pour interpréter la Mazurka n°13 en la mineur opus 17 n°4 de Chopin. Juste avant, la récitante Annie Dutoit (fille de Martha et de Charles Dutoit donc oui, le concert est une affaire de famille) lit une lettre de George Sand où elle raconte la maladie de Chopin. L’interprétation de Kovacevich, malgré quelques fausses notes, est pleine d’émotion et fait ressortir le mal du pays dont Chopin souffrait. Ses hésitations sont marquées par les ralentissements voulues par le pianiste tandis que semble, de temps à autre, émerger un air d’une Pologne lointaine. Belle interprétation qui marque l’anniversaire de la mort de Chopin et les 76 ans de Kovacevich!

Lilya Zilberstein et Akane Sakai prennent la suite dans la transcription pour deux pianos par Claude Debussy des Six Etudes en forme de canon de Robert Schumann. Alors qu’il luttait contre la maladie en 1845, Schumann se plongea dans l’oeuvre de Bach et composa ces pièces originellement écrites pour piano à pédalier. Celles-ci, peu connues, sont extraordinaires et font ressortir tout la richesse de l’écriture pianistique de Schumann. Sans excès de virtuosité, les deux pianistes font ressortir les mélodies qui parsèment l’oeuvre sans qu’un des deux pianos prenne le pas sur l’autre.

Précédant l’entracte, Renaud Capuçon, le jeune Edgar Moreau et Martha Argerich interprétent le Trio pour piano, violon et violoncelle n°2 en mi mineur opus 67 de Dimitri Chostakovitch. Le premier mouvement semble revenir de très loin, peut-être du pays des morts puisque l’oeuvre a été composé en hommage à un ami de Chostakovitch. Violon et violoncelle échangent, rejoins peu à peu par le piano. Le deuxième mouvement est une véritable danse et les attaques de Renaud Capuçon sont tout à fait impressionnantes, faisant ressortir les mélodies qui semblent issues du folklore russe. L’Allegretto final, à la suite d’un Largo, électrise entièrement la salle et transmet une tension dans cette danse avec la mort. Martha Argerich, dans une jeu presque mécanique, nous donne de grands moments du piano tandis qu’Edgar Moreau répond à son homologue violoniste grâce à des pizzicati impressionnants de netteté.

Les soeurs Buniatishvili s’attèlent à la redoutable Valse de Ravel. La version pour deux pianos, bien qu’antérieure à la version orchestrale, est cependant moins connue. Quiconque s’attendrait à entendre une valse viennoise serait déçu puisque, comme l’écrit Ravel: “Des nuées tourbillonnantes laissent entrevoir par éclaircies des couples de valseurs“. Ainsi, La Valse est plus un hommage qu’une valse proprement dite. Le brouillard du début, s’il est mal interprété, peut plus faire penser à un brouillon, mais ce n’est heureusement pas le cas grâce à l’interprétation de Khatia et Gvantsa. Les deux soeurs sont parfaitement coordonnées et font sentir les crescendo, malgré une pédale peut-être un peu trop présente. De temps à autres surgissent les thèmes de la valse jusqu’à un final brillant pris à un tempo rapide.

Akane Sakai et Gustave Moreau reviennent sur scène pour une pièce peu connue du répertoire: le troisième mouvement de la Sonate pour violoncelle et piano de Szymon Laks. Introduite par Annie Dutoit avec une lettre du compositeur évoquant la chance qu’il a eu d’être choisi comme musicien à Auschwitz, la sonate s’inscrit dans la lignée des œuvres de Ravel tout en mélangeant plusieurs styles: musique française, jazz ou encore, musique atonale.

Enfin, le concert se termine par la Sonate pour deux pianos et percussion Sz 110 de Bartok. Composée en 1937, elle arrive un an après la célèbre Musique pour cordes, percussion et célesta et l’influence s’en fait sentir. La partition est redoutable pour les interprètes mais les pianistes Martha Argerich et Nicholas Angelich et les percussionistes Jean-Claude Gengembre et Camille Baslé relèvent le défi avec brio. La difficulté de la sonate tient au fait que les deux types d’instruments ne doivent pas s’opposer mais dialoguer. Le premier mouvement plutôt lent au début prend peu à peu de la vitesse. Le second mouvement lent fait place à un troisième à la conception joyeuse. D’ailleurs, les percussionnistes s’en donnent à cœur joie et on peut remarquer à de nombreuses reprises leurs sourires lorsqu’ils jouent. Leurs attaques mais aussi leurs caresses de leurs instruments accompagnent les accords parfois martelés des deux pianistes.

Le salut final réunit l’ensemble des protagonistes de l’exceptionnelle soirée passée en leur compagnie. De nombreux applaudissements viennent saluer un programme astucieux et aguicheur servi par des interprètes de qualité.

Lundi 17 octobre à 20h30 à la Philharmonie de Paris

Claude Debussy
Prélude à l’après-midi d’un faune (MA / SK)

Frédéric Chopin
Mazurka op. 17 n° 4 la mineur (SK / AD)

Robert Schumann / Claude Debussy
6 études en forme de canon (AS / LZ / AD)

Dmitri Chostakovitch
Trio pour piano et cordes n°2 (MA / RC / EM)

Maurice Ravel
La Valse (KB / GB)

Szymon Laks
Sonate pour violoncelle et piano (3ème mouvement) (AS / EM / AD)

Béla Bartók
Sonate pour deux pianos et percussions Sz 110 (MA / NA / CB / JCG)

Martha Argerich, piano
Stephen Kovacevich, piano
Akane Sakai, piano
Nicholas Angelich, piano
Lilya Zilberstein, piano
Khatia Buniatishvili, piano
Gvantsa Buniatishvili, piano
Jean-Claude Gengembre,percussions
Camille Baslé, percussions
Renaud Capuçon, violon
Edgar Moreau, violoncelle
Annie Dutoit, récitante

Visuel: ©A. Heitman

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Julien Coquet

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