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Rencontre musicale de Vézelay 2 : plaisir de l’après-midi

Rencontre musicale de Vézelay 2 : plaisir de l’après-midi

28 August 2018 | PAR Victoria Okada

Les traditionnels concerts de 16h, dans les trois villes avoisinant la colline éternelle, procurent toujours un plaisir tant pour la qualité de l’interprétation que pour le programme. Tout comme le Figure Humaine Kammerchor à Avallon, l’Ensemble Céladon et l’Ensemble Clément Janequin n’ont aucunement trahit l’attente du public exigeant.

« Deo Gratias Anglia » par l’Ensemble Céladon

Le vendredi 24 août à l’église Notre-dame de Saint-Père, lEnsemble Céladon propose la richesse de la musique anglaise autour du carol, au temps de la guerre de Cent Ans. Entre 1337 et 1453, la France et l’Angleterre se disputent le trône de France. Au fil de ces batailles, l’Histoire voit apparaître des personnages comme Etienne Marcel et Jeanne d’Arc, et des événements et des catastrophes qui marquèrent durablement les esprits : la Jacquerie, la Peste noire, le Grand Schisme, l’effondrement de l’Empire romain d’Orient, la guerre des Deux Roses… mais aussi l’achèvement des cathédrales Notre-Dame de Paris et de Reims.

Ces nouvelles maisons de Dieu font naître en leur sein un style nouveau, d’abord l’école de Notre-Dame (Léonin, Pérotin) au XIIIe siècle mais surtout l’ars nova au début du XIVe (Ars nova musicae de Philippe de Vitry). Parallèlement, les œuvres profanes sont nombreuses, comme celles composées par Guillaume de Machaut (ballades, rondeaux, virelais…)

Le carol est un des genres vocaux les plus répandus au Moyen Âge en Angleterre. Le chant commence avec un refrain et poursuit en alternant avec des couplets ; La plupart rend hommage à La Vierge dans le cadre de Noël et de la Nativité, et chanté en latin ou/et en anglais, créant une langue hybride dite « macaronique ».

Les chanteurs de l’Ensemble Céladon appliquent la prononciation ancienne de l’anglais, résultant d’une recherche poussée en la matière. Ils font leur entrée sous forme de procession, et tout au long du concert, varient leurs effectifs et positions sur scène : solo, duo, trio, a cappella ou accompagnés, instruments seuls, face à face entre eux, en face, au profile ou au dos par rapport à la nef centrale, ou même « cachés » dans une nef latérale… Le concert est ainsi une succession de surprises, produisant de fascinants effets acoustiques.

Le contre-ténor et directeur artistique de l’Ensemble, Paulin Bündgen, et les sopranos Anne Delafosse et Clara Coutouly envoûtent l’auditoire avec leurs voix épurées et aériennes et la justesse de leur ton. La sonorité « ancienne » de vièle à archet (Nolwenn Le Guern) et des rythmes tantôt animés tantôt apaisants de percussions (Ludwin Bernaténé) apportent une teinte à la fois raffinée et populaire, en parfaite fusion avec les voix. La vièle est si proche des timbres vocaux que cela se confond, à tel point qu’on n’est plus sûr si telles ou telles notes sont jouées ou chantées… Pour Agincourt Carol qui relate la bataille d’Azincourt (1415), la partie instrumentale se livre à quelques fantaisies en imitant des bruits d’affrontement, alors que dans Lyllay, Lyllow, louange au petit Jesus sous forme de berceuse, les mots presque onomatopées « Lullay, lullow, lully, lullay… » pour endormir l’enfant, adoucissent nos cœurs.

Le concert se termine comme il l’a commencé : les musiciens font un tour parmi les auditeurs, les clochettes à la main (déjà utilisées pour certains carols auparavant). Ce fut un après-midi inoubliable, rempli de grâce.

« François Ier et Charles Quint, Ennemis d’Etat » par l’Ensemble Clément Janequin

Au concert du lendemain 25 août, à l’église Saint-Jacques-le-Majeur à Asquins, nous sommes au XVIe siècle. L’antagonisme entre François Ier et Charles Quint pour la primauté de l’Europe conduit à 25 ans de guerre. C’est aussi la période où la musique en Europe vit un grand épanouissement, notamment grâce à l’imprimerie naissante, notamment Pierre Attaingnant soutenu par François Ier.

L’Ensemble Clément Janequin, qui fête son 40e anniversaire cette saison, propose un service reconstitué qui aurait résonné lors des grandes célébrations dans les chapelles des deux souverains, comme symbole de puissance unissant le pouvoir et la musique. Dans cet « office », quatre compositeurs d’exception : Josquin Despres (Messe de Beata Virgine), Cristobald de Morales (Sabbato sancto, Qui consolabatur, Missa L’homme armé), Clément Janequin (Messe La Bataille), Claudin de Sermisy (Salve Regina, Missa Ad placitum, Sabbato sancto). Les cinq chanteurs (Dominique Visse, haute-contre ; Hugues Primard, ténor ; Vincent Bouchot, baryton ; Marc Busnel, basse ; Renaud Delaigue, basse), avec ou sans orgue (Yoann Moulin) selon les pièces, font revivre le splendeur de la polyphonie sophistiqué où l’abondance envoûte l’espace et la volupté de leurs voix donnent la chair de poule. On comprend alors pourquoi l’Église, qui craignait l’éloignement des fidèles détourné par la musique, va opter pour l’intelligibilité du texte en simplifiant la musique. La modernité de Clément Janequin dans le « Sanctus » de la Messe La Bataille s’approche indéniablement de quelque chose d’harmonie verticale, certes loin d’être fonctionnelle, mais donnant cette illusion. Le concert se termine avec un bis, uns composition de Clément Janequin : Deploratio sur la Mort de Johannes Ockeghem. Certainement une façon de rendre hommage à l’un des plus grands prédécesseurs des quatre poètes et musiciens que nous venons d’entendre.

Photos des concerts © François Zuidberg
Photo de Vézelay en couverture © Joel Gesvres

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