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[Live-Report] Hélène Grimaud, l’alchimiste du piano (30/11/3015)

[Live-Report] Hélène Grimaud, l’alchimiste du piano (30/11/3015)

01 December 2015 | PAR Laurent Deburge

La pianiste Hélène Grimaud donnait lundi 30 novembre 2015 à la Philharmonie de Paris deux superbes concertos de Bach et de Mozart, accompagnée par l’orchestre de chambre de l’orchestre symphonique de la radio bavaroise.
[rating=5]


On oppose parfois un peu bêtement deux conceptions de l’interprétation pianistique, dont l’une voudrait que l’artiste s’effaçât au profit de l’œuvre (Richter) ou qu’au contraire il s’en servît pour mettre en avant sa virtuosité et son supposé narcissisme (Horowitz). La problématique est assez vaine mais permet d’interroger le mystère d’Hélène Grimaud. Si la sincérité de son engagement musical est tangible, c’est pourtant sans excès et sans boursouflure. Elle donne l’impression d’avoir trouvé ce qui dans la musique correspondait à son moi profond, lui était le plus proche, sinon propre, pour créer une osmose. De sorte qu’elle paraît s’exprimer par la musique en restant à la fois parfaitement fidèle à elle-même comme à la partition. Il se dégage ainsi de son interprétation un sentiment de grande liberté et d’intuition spontanée.

Dans le premier concerto de Bach la pulsation est preste, le cœur irrigue l’esprit avec rigueur et vitalité. L’harmonie géniale de cette œuvre vraisemblablement écrite à l’origine pour le violon est servie par des dynamiques qui deviennent rythme. Au gré des chromatismes et des frottements de la tonalité, le son s’amplifie ou s’amenuise pour imploser de façon orgastique, emmené par une battue ferme et déliée. C’est une joie de regarder les mains d’Hélène Grimaud qui se croisent et s’enchevêtrent en fines arabesques pour tisser une dentelle de cristal sonore. Sa technique est magistralement adaptée à ce rendu subtil et habité, et permet l’effusion de la subjectivité objective.
En clin d’œil à Mozart, on voudrait baptiser « Jeunefemme » ce frais et génial concerto de Bach joué par Hélène Grimaud.

C’est un Mozart nerveux et colérique, presque névrosé, et pourtant parfaitement « raccord » que proposait ensuite la pianiste avec le concerto n° 20 en ré mineur. Virtuosité sans faille soutenue par un orchestre de chambre très concertant et vif, notamment les cordes (l’équilibre avec les vents étant à parfaire, et les cors devant s’intégrer d’une manière ou d’une autre). Les cadences de Beethoven sont exécutées avec fougue mais encore dans une vision d’ensemble où tout se tient. Il est rare d’écouter un concerto de Mozart aussi vivant et aussi inventif, surtout quand il s’agit d’un tube. Avec son entrain et son ardeur passionnée, Hélène Grimaud livre une interprétation maîtrisée et dépoussiérée de ce chef d’œuvre. Ovation méritée, en hommage à un talent original et sûr.

En ouverture d’un concert dédié aux victimes des attentats de novembre, l’orchestre à cordes faisait vibrer avec émotion le déchirant Adagio de Barber, qui bien qu’il ne soit pas long peine à capter l’attention jusqu’au bout. On annonça en fin de concert une symphonie de Haydn (n°60, « Le Distrait ») au final « hilarant ». Il faut se méfier de l’humour en musique. L’effet supposé comique des violons jouant en dissonances et en grincements au dernier mouvement passa plutôt inaperçu. Mais avant cela, que de beautés miniatures dans cette symphonie, à la fois brillante et rêveuse.

Il y a une sorte de folie contenue chez Haydn, comme un potentiel d’hubris qui ne franchit pourtant jamais la ligne, comme plus souvent chez ses élèves Mozart et surtout Beethoven. Il ne sort pas du bon goût, un peu comme Mendelssohn et garde la sagesse goethéenne des classiques.

photos (c) Matt Hennek / DG

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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