Haendel au féminin au TCE par Sabine Devieilhe et Léa Desandre
Dernièrement, le Théâtre des Champs-Elysées proposait une soirée dont les noms n’étaient que plus alléchants les uns que les autres : Sabine Devieilhe (qui était présente in loco à la même période l’an passé pour La Sonnambula) et Marianne Crebassa sous la direction d’Emmanuelle Haïm. Malheureusement, la mezzo-soprano a dû annuler sa participation, étant forcé à un repos vocal et a été remplacée par une autre cantatrice talentueuse : Léa Desandre, “Révélation artiste lyrique” aux Victoires de la Musique Classique.
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Le programme de la soirée, intitulée “Cantates italiennes” qui devrait normalement tourner en Europe, regroupe Armida abbandonata “Dietro l’orme fugaci”, la Sonate en trio opus 2 n°1 et La Lucrezia “O Nuomi eterni” dans une première partie, puis Aminta e Fillide “Arresta, arresta il passo”. C’est à Sabine Devieilhe que revient l’ouverture de la soirée, entourée des solistes du Concert d’Astrée et d’Emmanuelle Haïme au clavecin. Elle retrouve ainsi une cheffe qu’elle connait déjà, notamment pour avoir été toutes deux à l’affiche d’Il trionfo del tempo e del disinganno de Haendel à Aix-en-Provence en 2016. Le compositeur les réunit donc à nouveau pour une très belle soirée et il est difficile de ne pas succomber. Le “traditor” qui sort de la bouche de la cantatrice est empli d’une rare musicalité tandis que l’accompagnement musical se fait force de porter la voix et la partition au plus haut. Comme à son habitude, la cantatrice est une technicienne hors pair. La sonate permet pour sa part d’entendre tout le talent des musiciens qui, s’ils savent accompagner, n’en demeurent pas moins véritables acteurs du programme. Enfin, Léa Desandre apparaît pour interpréter une formidable Lucrèce après le départ des deux violons de la scène. Toute de paillettes et de transparence vêtue, elle laisse entendre dès les premières notes une superbe projection et son aisance dans les aigus est ici incontestable. Quant à ses trilles, elles sont une véritable leçon de réussite.
Toutefois, ne le cachons pas, le public attend avec impatience le moment où, il le sait, ces deux voix se rencontreront. Le programme est ainsi fait avec intelligence puisqu’il faudra attendre les derniers instants pour que ce moment se produise, et le jeu de séduction qui se dessine sur scène, l’attente amoureuse qui en découle se fond ainsi avec l’attente languissante de la salle. Chose assez “amusante”, la soprano est ici l’amoureux Aminta face à la “nymphe de son coeur” Fillide, la mezzo-soprano. Le pantalon change donc de camp, mais côté plaisir auditif, la balle reste au centre : les deux interprètes redoublent de talent pour nous offrir ce beau moment dans lequel aucune d’elle ne boude le plaisir d’une interprétation complète. Non seulement le chant porte les intentions, mais le jeu est lui aussi présent. Ainsi, Sabine Devieilhe se transforme en jeune berger quelque peu boudeur face aux réponses presque hautaines de la Fillide qui semble ici (du moins au début) presque amusée par les paroles du berger, comme un adulte pourrait s’amuser d’un caprice d’enfant. Nous voyons toutefois les rapports entre eux/elles évoluer au fil du chant, pour aboutir à la joie presque enfantine du berger lorsque sa belle succombe finalement à ses déclarations, tandis que cette dernière, d’abord distante sans être froide, laisse poindre petit à petit un sourire qui finit grandir. Le duo final arrive alors pour clôturer en beauté ce dialogue qui a totalement captivé l’assemblée. Les “bravo” fusent alors, de même que les applaudissements.
Nous aurons toutefois droit à deux bis : durant le premier, Léa Desandre, bien que dans sa seconde robe, reprend le rôle de l’homme en Ariodante, mais c’est le second bis qui rafle la mise. “C’est difficile de résister au plaisir de vous faire entendre Poppée et Néron” déclare Emmanuelle Haïm, et l’on entend un ou deux “merci” dans la salle. En effet, comment résister? Le moment de grâce est alors suprême durant ce “Pur ti miro” qui marque tellement qu’on l’entendra encore dans la rue, chantonné par les spectateurs qui auront besoin d’un petit moment pour s’en remettre. Nous parlons d’ailleurs de ce moment au présent mais de sa suite au futur tant la parenthèse que fut ce duo a été marquante.
Une très belle soirée sous le signe de Haendel parfaitement conjugué au féminin, bien que Monteverdi eut finalement le dernier mot…
© DR (selon le site du TCE d’où la photo est extraite)