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Alexandre Bloch nous parle de la Saison 2017-2018 de l’Orchestre National de Lille

Alexandre Bloch nous parle de la Saison 2017-2018 de l’Orchestre National de Lille

02 October 2017 | PAR Yaël Hirsch

Alors qu’il s’apprêtait à engager une saison ambitieuse, nous avons rencontré Alexandre Bloch, 32 ans, chef d’orchestre et directeur musical  de l’Orchestre National de Lille. Alors qu’on va bientôt pouvoir l’entendre chez lui, au Nouveau Siècle et à Liège à la tête de son orchestre pour des Vies de Héros rythmées par Haydn, Chopin et Strauss, ce musicien engagé à Lille et en Europe nous a donné envie de revenir à Lille entendre l’Orchestre plusieurs fois dans l’année.

Comment s’est passée cette dernière saison où vous avez dirigé quatre séries de concerts de l’Orchestre National de Lille ?
Les deux premières séries ont permis peu de répétitions. C’est à partir de la troisième série, en mai, sur les programmes des Pêcheurs de perles, que j’ai eu plus de temps pour travailler avec l’orchestre. Le bilan de l’année est plutôt positif, parce que maintenant je connais mieux les musiciens, mais aussi l’équipe qui accompagne l’orchestre. Nous avons vraiment commencé à travailler ensemble, à savoir ce que chacun attend de chacun. Il y a pas mal de changements et d’évolutions de l’organisation interne, de clarifications de certains rôles dans la hiérarchie de musiciens d’orchestres. Nous avons fait de bons concerts avec des superbes moments musicaux. Nous sommes aussi partis en tournée l’été, avec le Festival Radio France à Montpellier, puis nous avons fini la saison par le Robeco Summer Nights festival, au Royal Concertgebouw d’Amsterdam.

Comment s’est décidée la programmation de la saison 2017-2018?
La coulisse de la saison, c’est une sorte de triptyque entre le directeur général, François Bou, le directeur artistique délégué, Philippe Danel, et moi, avec les souhaits, les volontés, les projets, les idées de chacun. Sachant que j’essaie de prendre en compte mes souhaits, goûts personnels, mais surtout aussi les souhaits de stratégie de développement de l’orchestre, notamment le travail que je vais faire avec eux. C’est pour ça que j’ai vraiment choisi de commencer par Brahms notamment, mais aussi de faire pas mal de symphonies de Haydn au début et, évidemment, Ravel, pour avoir le coté grand orchestre, la couleur, l’orchestration… Et puis après, aussi, des dates anniversaires, dont le Centenaire de Bernstein. Et bien sûr enfin, sur chaque concert, quel invité, quel soliste peut et doit intervenir…

Est-ce que vous pouvez me parler un peu de Bernstein, notamment le Ciné Concert West Side Story?
Je l’ai souvent fait en dessous d’un écran, mais là, c’est quelque chose de particulier. C’est une prouesse des techniciens qui ont réussi à reprendre la bande originale et à ne garder que les voix et, de ce fait, l’orchestre va faire la musique. Ils ont même réussi à garder les voix originales de tous les champs. Ce n’est pas moi qui dirige ce concert là, mais j’ai déjà vu ce concert avec Boston Folk Orchestra. C’est vrai que c’est impressionnant parce qu’on a le film en direct. Ça doit être très précis parce que l’on accompagne un soliste et les chanteurs qui sont déjà préenregistrés, donc il n’y a pas de possibilité de rubato, parce que celui-ci sera toujours le même. C’est assez particulier, mais aussi absolument génial, parce que tout le monde connaît West Side Story.  Il y a beaucoup de moments dans le film que j’aime beaucoup, notamment la scène du bal, il y a un truc énorme, ce n’est même pas du jazz mais c’est groovy avec des trompettes, un truc infaisable à la trompette…

Et la Messe de Bernstein?
C’est assez choquant, c’est presque un Opéra en fait. Ce sont deux heures de musique de kaléidoscope de la musique américaine des années 1970. Pour la petite histoire, c’était la femme du président Kennedy qui l’avait commandée à Bernstein. C’est une messe commémorative. Lui avait répondu qu’il n’était pas la meilleure personne pour faire ça, et puis il en a fait un truc génial. Il y a un célébrant, un chœur classique, un chœur de rue, des chanteurs de rue, un orchestre classique, de jazz, de rock, il y a des chœurs d’enfants, il y a des célébrants qui, du coup…. Il y a des parties en Latin qui gardent les essences mêmes de la messe, puis il y a des parties complètement en anglais où se sont des réflexions sur qu’est ce qu’on fait, est-ce que c’est vraiment bien. A la fin, le célébrant commence à douter de ce qu’il fait puis commence à tout casser dans son église puis il commence à partir en «live»: il parle en hébreu… Ça raconte une histoire et passe des styles parfois très modernes, parfois très choral, parfois de la chanson. C’est très coloré, et c’est chouette de finir la saison comme cela. C’est une œuvre assez puissante.

Comment menez-vous de front la direction de l’Orchestre National de Lille, avec vos autres activités par exemple en Allemagne, à Düsseldorf ….
Je mène le front comme je peux (rires). L’année dernière a été très dense, parce que cela a été une nomination tardive pour tout le monde, que ce soit pour l’orchestre ou pour moi. C’est pour ça que je n’ai pas fait autant de concerts. Mais c’est aussi parce que j’avais beaucoup de concerts à l’extérieur, donc j’ai beaucoup voyagé.  Cette année, ce sera dense, mais plus avec l’Orchestre National de Lille, et aussi avec celui de Düsseldorf où je suis chef principal invité, mais cette année je le suis mois, cela me permet de me focaliser sur plusieurs choses à Lille.

A Lille, vous avez, pour la première fois, un “Premier chef invité”?officiel ?
Oui, le néerlandais Jan Willem de Vriend avec qui nous avons vraiment eu un super échange depuis qu’il est arrivé, l’an passé, en tant que chef invité avec l’orchestre. Il est venu deux fois la saison dernière et ça a vraiment bien fonctionné avec l’orchestre. Il s’occupe aussi beaucoup du répertoire baroque et pré-classique avec aussi des interprétations plus historiques comme la Symphonie n°6 Pastorale de Beethoven. C’est bien d’avoir cette facette-là en tant que figure de l’orchestre pour les musiciens.

Vous avez actuellement deux compositeurs en résidence. Comment mobilisez-vous l’orchestre et le public autour d’eux?
Aujourd’hui, c’est très important que les compositeurs contemporains puissent être entendus. Il y a les néophytes qui disent que les compositeurs sont tous morts et ceux qui connaissent un peu plus le milieu. Ces derniers n’ont pas la chance de rencontrer les compositeurs ou de discuter avec eux, que ce soit de leur musique ou de la musique en générale. Pour lutter contre cette tendance, nous avons mis en place des Leçons de musique avec nos compositeurs en résidence. Il y en a deux chaque année sur des périodes de deux ans qui se chevauchent. Il y a donc toujours un compositeur qui arrive et un qui part. Donc, là, le compositeur qui est en deuxième année est Héctor Parra, avec qui j’avais ouvert la saison dernière. Il finira la saison avec Inscape, une grande œuvre qui est, en fait, le contre volet de celle que j’ai faite en ouverture de saison dernière qui était In Fall. Cette année, In Scape, qui sera une création – co-commande de l’Orchestre, l’EIC, de l’orchestre du Gürzenich de Cologne et de l’IRCAM- qui n’est pas encore finie d’être écrite. Elle est composée pour ensemble moderne et orchestre symphonique, et sera interprétée en juin. Ce sera avec l’Ensemble Intercontemporain, on va faire un concert avec deux orchestres. On va faire un concert à Lille et un à Paris – Philharmonie-, avec une première pièce où je ne dirigerai que l’Ensemble Intercontemporain dans Xenakis et Inscape de Parra, qui est pour les deux orchestres, plus l’IRCAM et les technologies avec beaucoup d’électronique. Je ne sais pas encore très bien ce que cela va donner, je n’ai pas encore vu la partition. On fera aussi le Concerto pour orchestre de Bartók.
Et puis, il va y avoir un nouveau compositeur en résidence, Benjamin Attahir, qui arrive en janvier. C’est un souhait de ma part, lorsque j’ai commencé l’alternance entre deux compositeurs dont un jeune issu d’une école française pour qu’on puisse porter le patrimoine culturel, à faire découvrir au grand public. Il se trouve que lui et moi sommes de la même génération. Il était déjà compositeur en résidence au Capitole de sa ville, Toulouse. Là, en ce moment, il est en résidence à la Villa Médicis de Rome. C’est donc déjà un artiste connu et joué.

L’Orchestre National de Lille est à la fois européen, international, enraciné dans la région… Comment voyez-vous ces différentes géographies ?
L’Orchestre est vraiment Européen : on fait partie d’un groupe européen d’échange avec, notamment, Barcelone, Rome, les Pays-Bas … On a également un coté européen parce que je suis aussi à Düsseldorf et que j’y crée des passerelles avec d’autres orchestres. Enfin, Lille est une métropole européenne, à une heure de la Belgique, de Paris, de Bruxelles et de Londres et l’orchestre joue à Liège, en octobre. L’orchestre est international, d’abord par la qualité des solistes du monde entier qui viennent chez nous et par ses tournées. Cette année nous n’avons pas à proprement parler de tournée internationale. Mais année prochaine on en a une qui se profile en Extrême-Orient. Du coup, je me sens un peu comme ambassadeur de l’orchestre et de la région.

Et j’adore parler de Lille et surtout de l’Orchestre et de ce qu’il représente pour la région parce que c’est aussi particulier ce qu’il se passe dans le Nord. Au niveau du local, c’est un immense travail qui a été fait sous la direction du chef fondateur Jean-Claude Casadesus pendant 40 ans ! L’Orchestre est vraiment implanté territorialement: on rentre dans n’importe quel magasin à Lille et tout le monde nous connait.
L’Orchestre était pionnier dans la diversification, et notamment le fait de faire des concerts avec les jeunes, parce qu’il y a tout une génération qui a entre 30 et 50 ans aujourd’hui dans le Nord qui est souvent venue par des concerts scolaires et qui a ainsi connu l’0rchestre. Cela crée des facilités de communications pour des partenariats et l’on remplit vraiment bien les salles. Nous faisons beaucoup de concerts en région Hauts-de- France.. Nous sommes censés en faire trente mais on en fait quarante cette saison! Et désormais nous avons une plus grande région à explorer. Le challenge c’est de continuer à aller partout mais aussi d’amener les gens à venir nous écouter au Nouveau Siècle de Lille.

Dans cette politique de rayonnement, quel est le rôle de la fabrication de disques?
Il y a différents types de disques. Il y a les disques pour la promotion d’un soliste, c’est le cas de la violoncelliste franco-belge Camille Thomas qui vient de signer chez Deutsche Grammophon et qui sort son premier CD avec Saint-Saëns et Offenbach, le 6 octobre prochain, avec l’Orchestre National de Lille. C’est important pour nous de faire un disque avec un prestigieux label surtout axé autour d’une jeune soliste. Nous avons aussi des projets d’enregistrements symphoniques. C’est essentiel d’explorer des répertoires qui ont été peu enregistrés et qui font partie du patrimoine culturel français pas forcément gravé . Au-delà des disques et de leur exigence, les outils numériques permettent de tout capter en direct, et même des caméra légères qui permettent des mini productions de vidéos. Ça permet de ne pas de voir nos concerts en streaming et d’archiver nos actions culturelles.

L’an dernier vous aviez longuement parlé d’une modernisation des outils de communication de l’orchestre….
En 2017-2018, parmi les nouveaux formats, il y aura les Babyssimos : des ciné-concerts courts pour les petits à partir de deux-trois ans. Il s’agit d’abord d’un film d’animation La petite taupe, que les trois ans connaissent par cœur. Nous allons faire des séances de relaxation musicale pour les futures mamans, avec nos musiciens au centre et les futures mamans les encerclant. Et puis il y aura notre concert smartphone en janvier autour du Sacre du printemps : les auditeurs auront leur smartphone et nous développons une application leur permettant d’interagir avec ce qu’il se passe sur scène ! Dans les nouveautés encore, il y a les « Afterwork » musicaux de 18h. On propose aux gens de ne pas rentrer chez eux se changer en sortant du travail mais de venir directement avant le concert, se donner rendez-vous au bar de l’Orchestre pour un moment musical d’un autre style comme le jazz… Après les concerts, les « bords de scène », continuent parce que ça marche vraiment très bien : Les artistes s’assoient sur devant du plateau et s’en suit un échange informel avec le public. Mais en plus, on va mettre en place ce que j’appelle une « troisième mi-temps » : Sur certains concerts (deux ou trois fois dans l’année) les spectateurs qui le voudront pourront rester en salle et il y aura une dizaine de minutes de musiques différentes qui suivront. Soit un groupe de musique qui se produit, soit de l’expérimental, un style qu’on ne ferait pas dans la saison normale. Ou un artiste qui fait une sorte de troisième partie…

Photo : (c) Jean-Baptiste Millot

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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