Classique
8e Biennale des quatuors à cordes : dernier week-end

8e Biennale des quatuors à cordes : dernier week-end

23 January 2018 | PAR Victoria Okada

Les dernières notes de la 8e Biennale des quatuors à cordes ont sonné, à La Philharmonie de Paris – Cité de la Musique, confirmant un dynamisme sans cesse croissant de cette formation, ainsi que l’enthousiasme du public pour le genre.

Densité et exubérance
Le vendredi 19 janvier, deux quatuors, américain et français, offrent des interprétations d’œuvres viennois marquées par une grande densité.

La sonorité pleine : c’est par ces mots qu’on peut résumer le concert du Quatuor Brentano, formé en 1992 aux Etats-Unis. Les musiciens parent le Quatuor en si mineur op. 64 n° 2 de Haydn d’un caractère romantique, voire post-romantique, avec une épaisseur du son et une expressivité digne de Mahler. Cela fonctionne plutôt bien pour le premier Quatuor en si mineur de Brahms qu’ils interprètent à la fin, mettant en avant quelques oscillations de tempi et de rythmes, mais ne semble pas propice à l’œuvre classique par excellence de Haydn ; à notre sens, cela déforme la beauté formelle de l’œuvre, même si son style a considérablement évolué suite à la période de « Sturm und Drang », avec des libertés d’écriture, surtout sur le plan de parcours tonal, qui ont ouvert la voie au romantisme. En revanche, leurs jeux dans les Six Bagatelles de Webern sont admirables, les effets techniques et sonores formidablement rendus.

Aux Américains succèdent les Français. C’est la première fois que nous entendons le Quatuor Ebène, depuis l’intégration de l’altiste Marie Chilemme. Dans la salle, absolument pleine jusqu’aux galeries, règne cette atmosphère d’une attente, d’un espoir d’assister à un événement musical hors commun. Hors commun ? Certes. Par leur performance toujours passionnée, toujours investie — c’est certainement ce que le public attend le plus chez ces quartettistes, à la recherche d’une excitation, d’une exaltation qui sortirait du cadre classique. Dans les trois œuvres de Beethoven (Quatuors n° 2, 10 et 8), ils proposent des belles idées et des effets amplifiés : crescendo-decrescendo sur un long accord, accents très affirmés sur des temps faibles, contrastes violentes… Mais entre ces idées, on remarque également quelques défauts, comme des phrases qui ne vont pas forcément jusqu’au bout, des passages rapides quelquefois laissés couler, puis, des gestes qui sont certainement sincères et naturels mais un peu trop spectaculaires à la vue… Quoi qu’il en soit, leur vision, élastique et dynamique, apporte une nouvelle approche à un quatuor, que l’on aime ou non. Et le public a été conquis par cette vision, comme le témoignaient les applaudissements bien nourris.

Deux noms qui s’imposent
Le samedi 20 janvier, dans la matinée et dans la soirée, deux formations (encore) assez discrètes mais qui s’imposent définitivement dans le paysage, font des démonstrations exemplaires de l’art du quatuor. Le Quatuor Casals, venu de la Catalogne (comme on peut toute de suite l’imaginer par son nom) et qui fête cette saison ses 20 ans, déjà plébiscité par les auditeurs des Biennales précédentes, fait preuve, une fois de plus, de leur excellence par une performance parfaite. Dans le premier Quatuor op. 18 n° 1 de Beethoven, ils font ressortir des idées innovantes du compositeur, qui passent souvent inaperçues derrière la construction formelle classique. C’est le cas notamment du finale, lors de différentes modulations. Pour la transcription de la neuvième Sonate pour piano et surtout, pour le Quatuor op. 131, de Beethoven, nous sommes entièrement convaincus de leur interprétation, solide et rassurant, mais qui ne reste pas dans la convention. Les changements d’humeur tout au long du 14e Quatuor sont assurés par un discours clair et mûr, allant d’une expression intériorisée du premier mouvement à une manifestation déchirante de la fin, en passant par un cantabile gracieux et apaisant et une légèreté piquante du « Presto ». Entre ces Beethoven, une création : Neben du compositeur italien Aureliano Cattaneo (né en 1974), écrite sur une commande du Wiener Konzethaus et de la Fondation Ernest von Siemens pour le Quatuor Casals, dans le cadre de l’intégrale des Quatuors de Beethoven accompagnés d’œuvres nouvelles en lien avec eux. En une dizaine de minutes, en un seul trait, la pièce retrace de loin le deuxième « Razoumovski », sans toutefois jamais le citer. Cattaneo explique que Neben, qui signifie en allemand « à côté », amplifie de petits détails du Quatuor de Beethoven en les intégrant dans une structure perpétuellement changeante. À travers des matières et des traitements modernes « de nos jours », l’œuvre suggère une filiation avec le vieux Viennois, et demeure après tout classique et est  agréable à écouter.

Le soir, le Quatuor David Oïstrakh dont le dernier disque (Grieg et Mendelssohn) a fortement attiré notre attention, enflamme la Salle des Concerts. Et notre remarque sur le CD est confirmée : jeu extrêmement dynamique, dans un lyrisme héroïque avec ce caractère de grandeur qui évoque le vaste territoire russe. Si la théâtralité dramatique est présente à volonté dans Quartettsatz de Schubert, le deuxième Quatuor en ré majeur de Borodine semble un peu trop héroïque et musclé ; nous avons préféré plus d’intimité pour ses gracieuses mélodies et ses harmonies délicieuses et délicates… Après l’entracte, les musiciens montrent leur affinité évidente dans le troisième Quatuor de Chostakovitch, avec cette brutalité parfaitement contrôlée et cette sauvagerie raffinée, tout en y déversant une énergie incroyable qui se transmet dans toute la salle. Et le public, totalement « embarqué », salue les quatre musiciens avec une ovation debout, à laquelle ils répondent avec deux bis, Variations sur la 24e Capricede Paganini et La Douce Rêverie de Tchaïkovski. Le Quatuor David Oïstrakh devient incontestablement l’une des formations les plus affirmées de sa génération, et nous attendons avec impatience leur nouvelle apparition en France.

Photos : Quatuor Casals © Molina Visuals ; Quatuor David Oïstrakh © Emile Matveev

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Victoria Okada

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