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Claire Diterzi : “Je préfère être au Louvre que devant la télé”

Claire Diterzi : “Je préfère être au Louvre que devant la télé”

23 January 2013 | PAR Yaël Hirsch

Alors que son entrée à la Villa Médicis avait suscité une violente polémique (voir notre article), l’inclassable Claire Diterzi revient de Rome avec un nouvel album toujours aussi avant-gardiste et ironique, mais peut-être plus écorché que ses deux précédents opus “Rosa la Rouge” (2010) et “Tableau de Chasse” (2008). Rencontre avec une surdouée très humaine, toujours attentive et en dialogue, même en plein cœur de son épuisante semaine de promo.

Croyez-vous qu’il y avait beaucoup de « refusées » conjuguées au féminin au fameux salon de 1867 ?
C’est une bonne question, je ne sais pas. Il y en avait peut-être une ou deux. J’ai mis le « e » parce que je suis une femme et en tant que femme être refusée ne concerne pas que les hommes. C’est être refusée à l’art, avec la polémique de mon entrée à la villa Médicis. Etre refusée à la vie. J’ai une copine qui est morte à 35 ans d’un cancer et s’est battue ces deux dernières années. On échangeait beaucoup par mail et la chanson Clair-Obscur parle de cela. Et puis mon départ à Rome a provoqué une rupture amoureuse, sans qu’il y ait de mot ou d’explication – donc c’est aussi un refus au dialogue. Et un autre refus m’est revenu, celui de mon père qui m’a abandonnée quand j’étais enfant, sans explication, avec cette faculté qu’ont les hommes à sortir par la petite porte. Etre refusée c’est aussi être refusée en tant que fille… A la villa Médicis, toutes ces choses ressurgissent

On penserait qu’un an à la Villa Médicis, c’est un temps de quiétude, presque de recueillement …
La Villa ce n’est pas ce qu’on croit, ce n’est pas ce recueillement ou ce moment de pause où l’on se destine uniquement à créer. Quand tu arrives là-bas tu es un peu fort de ta nomination qui est quand même assez prestigieuse. Moi j’étais fragilisée par la polémique même si je me suis dit que là-bas j’aurais vraiment la possibilité de travailler pendant un an tous les jours… Mais en fait c’est très fragilisant parce que tu ne fais que te poser des questions là-bas. Toutes tes émotions sont exacerbées et en même temps, c’est cela qui est beau, mais aussi –et tous les pensionnaires disent cela- la prise de risque fragilise. Mais je l’ai fait parce que je sais qu’à chaque fois que je me mets en danger la prise de risque est bénéfique…

J’y suis allée avec ma fille qui a aujourd’hui 20 ans et qui passait le bac, mais j’ai eu le mal du pays, et c’était la première fois de ma vie que j’étais célibataire. Et puis il y a de la pression, il fallait que j’en sorte avec un disque, je me suis dit que j’allais me planter. C’est un honneur, cette villa. Travailler auprès de ces fantômes géniaux, t’es obligé d’être à la hauteur et d’être ambitieux et tout à coup tu as peur de ne pas être à la hauteur. Il y a alors quelque chose qui se déconnecte et crée la douleur. Du coup, J’ai eu mal, je pleurais tout le temps, j’ai eu mal comme un chien, les six premiers mois. J’avais qu’une envie, c’était de partir… Heureusement il restait quelques dates de Rosa, je prenais l’avion et je reprenais contact avec la réalité. Au bout de six mois, j’ai fait le deuil de ma relation amoureuse, je me suis habituée au lieu, je suis retombée amoureuse d’un italien, ce que l’on sent dans les titres « Le bal des pompiers » ou « Riders on te Storm » où je me sens un peu plus sûre de moi. Mais la Villa, c’est une mise à poil de soi-même et on ne le sait pas quand on y va. Un historien de l’art aussi pensionnaire, me disait « C’est normal, Claire, ici on arrive tous avec des casseroles au cul ». J’aime beaucoup l’image. Et c’est vrai, on arrive à la Villa Médicis avec des dossiers pas classés, des choses enfouies en nous, et je ne sais pas pourquoi, ce lieu les exacerbe et les exorcise. Cela déterre les fantômes.

Diriez-vous qu’avec ses mélodies plus classiques et ses inspirations baroques et moyenâgeuses, le « Salon des refusées » est un album plus apaisé que les deux précédents ?
Je ne pense pas que ce disque soit baroque ou médiéval. Mon instrument c’est la guitare électrique, c’est elle que j’utilise pour la chanson « Le salon des refusées », pas le théorbe ou le luth. Alors que je la mélange avec de la viole de gambe peut choquer mais je m’en moque. Mais je vois ce que vous voulez dire. C’est lent, en fait. Je préfère parler de lenteur que d’apaisement. C’est un rythme qui ne va peut-être pas croire avec des chansons comme « Corps étrangers » sont la chaleur et la langueur est assez difficile à transposer sur scène. Mais on y arrive ! « Le salon des refusées » paraît plus calme que les autres albums parce que je me refusais de travailler dans l’énergie. « Rosa », c’était la révolution. Dans « Tableau de chasse », il y a avait une sorte d’arrogance. Je travaillais beaucoup avec des machines, avec de l’électro. A Rome, j’ai refusé ça. Ce que je vivais était trop douloureux, je devais l’exprimer avec ma voix et ma seule guitare. Ça n’est que petit à petit que j’ai rajouté le violon et la viole de gambe. Dans cet album je ne pouvais pas me cacher derrière quelqu’un comme avec Rosa, je ne pouvais pas me cacher derrière un spectacle trop scénographié, avec trop de vidéos. Je voulais un retour à la source, à la musique, j’avais envie de dire ce que j’ai vécu à mon public. Je ne suis pas dans l’effet, je ne suis pas dans l’énergie, je suis dans l’état. J’ai été obligée de me poser, de faire un bilan, d’observer les fameuses « casseroles ». Or, ce qu’il y a dedans, cela fait mal. Il y a de la douleur, c’est pour cela que ce disque n’est pas apaisé. Je crois que l’album se lit à double niveaux. Il y a bien sûr le rapport à l’art, mais il y a également beaucoup de sexe dans ce disque. De désir, de non désir, de non communication. La question du couple. Cet album n’est pas drôle, il n’est pas paisible, il est intranquille. Mais en même temps, après coup, je me pose encore des questions. Pourquoi avoir fait cet album comme ça… je suis très contente que le CD soir sorti lundi et de rencontrer la presse et de répondre à des questions. Maintenant que j’ai fini mon projet et que je me demande « Pourquoi tu as fait ça ? » je me dis que les questions sont sans fin…

Finalement cet album regarde  quand même vers le passé…
Je pense que je suis profondément novatrice. C’est peut-être prétentieux, mais je crois que je prends des risques pour tenter de me frayer mon propre chemin et je crois qu’aujourd’hui, c’est courageux et difficile. Il y a tellement d’offres, il y a tellement besoin de classifier les choses, de dire « cela ressemble à un tel » pour les identifier. Moi ce que je fais ne ressemble jamais à rien, donc c’est un peu difficile pour les gens… Les radios n’en veulent pas de mes titres, à part France Inter. Je ne suis pas non plus avant-gardiste, mais je suis dans mon truc, c’est toujours un peu gonflé et je regarde devant. Mais j’ai aussi besoin du passé, je regarde sans arrêt derrière. Je ne me sens pas dans mon époque. Dans l’album « Tableau de chasse » j’avais fait cette chanson réaliste pur jus, « La vieille chanteuse ». J’aime m’inspirer du passé et je préfère être au Louvre que devant la télé.

Et dans ce rapport au passé, quel rôle accordez-vous aux reprises ? Je me souviens notamment d’une sublime version de « Madame Rêve » de Bashung dans Rosa la rouge….
C’est drôle que vous parliez de cela, parce que j’aimerais vraiment faire un disque des reprises que j’ai faites. « Madame Rêve » de Bashung était vraiment une bonne reprise. Elle tue ! (rires) J’en ai fait d’autres comme « Ne me quitte pas de Jacques Brel », « Sombre dimanche » de Damia sur laquelle j’ai mis des chœurs. Sur scène, si vous venez me voir, je reprends « Lettre à France » de Polnareff. Toutes ces chansons-là ce sont des commandes qu’on me fait pour de projets annexes comme par exemple des pièces de théâtre. Et le plus drôle c’est que sont des artistes que je ne connais pas ou peu. Moi je préfère le rock expérimental des années 1990. Mon groupe préféré c’est The Egg. Des gens décalés, gonflés, tout ce qui est plus classique rock ou chanson française, je n’ai jamais biberonné à cela.

Au bout de six mois de deuil amoureux à Rome, j’ai fini par retomber amoureuse d’un italien, qui m’a suggéré de reprendre « Riders on the Storm », pareil, les Doors j’avais jamais vraiment écouté. Mais j’ai traduit le texte et j’y ai trouvé des éléments passionnants. L’idée de conduire l’orage, dans une ville comme Rome où il pleut énormément, et à la Villa où moi je ne conduisais rien du tout et j’étais complètement à nu… Donc pour le quarantième anniversaire de mon amoureux je lui ai fait la surprise de cette reprise à la Karimba, un instrument africain. Et cela lui a tellement plu que du coup j’ai moulé la chanson « Renaissance » dedans, avec les mêmes sons, cela m’a beaucoup inspirée.

Étant donné que tous vos disques sont intimement mêlés au spectacle que vous en donnez sur scène, est-ce particulièrement dur de passer à la scène pour ce douloureux « Salon des refusées » ?
Oui c’est dur, oui la scène me fait peur. Dans « Tableau de chasse » et « Rosa la rouge », il n’y a pas une note qui n’ait été écrite sans imaginer ce que cela donnerait sur scène. Là, je savais d’entrée de jeu qu’il fallait que je reste à poil, dans l’état de vulnérabilité qui est celui de la plupart des créateurs à la villa Médicis. Je ne pouvais pas revenir avec une scénographie ou quelque chose de très forcé. Pas de machine, pas d’électro et l’authenticité de la viole de gambe : J’ai vraiment voulu revenir à un « vrai » concert. Au début il y a avait une telle austérité que cela me donnait envie de pleurer. On a donc rajouté quelques vidéos et un peu de création lumière pour apporter un peu d’humour et désamorcer tout le poids de la Villa. mais sans que le résultat ne perde de son dénuement….

Claire Diterzi, “Le salon des refusées”, Naïve, sortie le 22/01/2013.

Tracklisting;

1. Le roi des forêts
2. Nature morte
3. La précieuse
4. Renaissance
5. Au salon des refusées
6. Cadavre exquis
7. Entre ses mains
8. Le bal des pompiers
9. Branle du lazio
10. Riders on the storm
11. Clair-obscur
12. Corps étrangers

Tournée :
25 Janvier : Piano’cktail, Bouguenais
29 janvier : Théâtre de Sartrouville
2 février : Théâtre de Béthune
5 février : Cité de la Musique, Paris
7 & 8 février : Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine, Ile-de-Fra, FR

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Fin de partie, annulation jusqu’au 31 janvier 2013 inclus
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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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