Musique
Chantez, valsez, riez, Ciboulette signe le retour joyeux de l’opérette à l’Opéra Comique

Chantez, valsez, riez, Ciboulette signe le retour joyeux de l’opérette à l’Opéra Comique

24 February 2013 | PAR Bérénice Clerc

Un vent léger de printemps souffle sur l’Opéra comique grâce au retour sur ses planches de Ciboulette, Opérette fantaisiste de Renaldo Hanh magnifiée avec humour par les talents de Laurence Equilbey à la musique et la collaboration artistique, Michel Fau à la mise en scène, soutenue par les prouesses, l’énergie de l’orchestre de Toulon, d’Accentus, des solistes à l’aise dans le phrasé parlé, chanté et le jeu. L’opérette, comme le vrai théâtre de boulevard, a quasiment totalement disparu des scènes parisiennes et françaises.

Au siècle dernier les airs d’opérette étaient chantés par tous dans les rues, à la maison et applaudir une opérette était chose commune et agréable pour se détendre avec légèreté et chanter ad libitum avec joie. Le genre peut sembler daté, vieillissant, faible musicalement et au niveau de l’écriture mais cela était sans compter sur la vivacité d’esprit, la force de travail, la modernité et la liberté de Laurence Equilbey et Michel Fau, créateurs d’un objet artistique unique où chacun de 10 à 120 ans peut se reconnaître et se laisser emporter par le romantisme suranné, le kitsch, le rire et le bonheur de chanter. La salle Favart est historiquement très liée à l’opérette, en ce mois de février 2013, le froid glacial n’a pas freiné les spectateurs, la salle est pleine, pas un strapontin n’est libre.

A prime abord, les cheveux blancs, belles robes, manteaux de fourrures et chapeaux à plumes sont au rendez-vous, ils connaissent l’opérette, la portent en eux depuis l’enfance. Il suffit de changer de point de vue pour apercevoir au balcon, des collégiens, en uniforme de banlieue, bruyants, ils s’installent, ne connaissent surement rien de l’opérette mais seront sous le charme toute la représentation.

Des couples du quatrième et du cinquième âge discutent, « tu te souviens de Ciboulette en 19… ? » « Equilbey, tu connais Equilbey ? » « Mais oui on l’a vu plusieurs fois, c’est un très bel homme Equilbey » « Ah oui c’est vrai »….l’envie de leur dire qu’Equilbey est une femme car oui, les chefs d’orchestre peuvent être des femmes, est grande mais la lumière se fait noire, le spectacle va commencer.

Jérôme Deschamps s’offre quelques minutes de cabotinage en règle, la chef peut entrer et la musique commencer.

Dès les premières notes, l’orchestre pétille, chaque instrument a sa place, tendresse, douceur et énergie s’offrent aux oreilles attentives des spectateurs. Ciboulette ou l’improbable histoire de la rencontre d’une jeune fille modeste de la banlieue avec un riche héritier prétendu idiot.

Ciboulette est une mise en abîme de l’opérette, elle se sert de tous ses codes, ironise et utilise l’humour comme sauveur de la niaiserie amoureuse. Accentus, perfection vocale si elle peut exister, donne le la du niveau musical de la production, ce n’est pas l’opéra, c’est sa banlieue mais Laurence Equilbey en a fait une banlieue très chic, brillante, raffinée, ciselée avec finesse et qualité par les solistes parfaitement choisis pour le casting.

Michel Fau signe ici (enfin) une jolie mise en scène, classique et fantaisiste où son amour pour la nostalgie, le kitsch, l’éclat, l’humour et le loufoque donne à voir une intrigue moderne et exaltante.

Les décors de Bernard Fau et Citronelle Dufay habillent l’univers de Ciboulette comme celui d’un décor mobile tels les personnages du théâtre balinais ou les ombres chinoises pour enfants, modulables à loisir. Les halles, les maisons, la banlieue de l’époque, une carriole, des ânes, des objets tombés du ciel kitsch et colorés à la Pierre et Gilles, de la poésie saupoudrée tout au long du spectacle.

Le spectacle est tour à tour joyeux, émouvant, toujours très vivant grâce aux chanteurs, acteurs parfaits comme il est trop rare à l’opéra et à un humour sans limite dans le texte mais aussi dans le jeu. Les spectateurs rient aux éclats à de nombreux moments comme celui du lancé hilarant de l’adorable Rafaéla, minuscule chihuahua aux yeux écarquillés et parfaitement sage pour ce premier rôle à l’Opéra Comique.

Nous avions découvert Julie Fuchs exquise avec Insula Orchestra et Accentus pour la Messe en Ut de Mozart, elle endosse ici le costume de Ciboulette à merveille. Vocalement irréprochable et d’un très haut niveau Julie Fuchs s’amuse, légère, talentueuse, pétillante, drôle, fraîche et printanière elle emporte la salle et fait de Ciboulette un adorable personnage aux multiples facettes.

Jean-François Lapointe est un Duparquet parfait, la voix chaude, sensuelle, profonde et assurée il joue avec subtilité et justesse sur les partitions comiques ou émouvantes.

Julien Behr est un bel Anthonin, charmant, soumis, transit d’amour, enthousiaste avec une très belle ligne vocale.

Dans la fosse, l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon se laisse guidé avec brio par une Laurence Equilbey énergique, virevoltante et fraîche, elle ne se laisse pas aller à la facilité de l’opérette et garde haut la barre pour cette musique sirupeuse et douce comme une barbe à papa fondante, romantique et mélodique.

Les chanteurs de l’Académie de l’Opéra Comique montrent leur talent avec une mention spéciale pour Patrick Kabongo Mubenga éclatant et drôle dans son rôle de Victor. Les spectateurs font un très beau voyage, ils peuvent même participer et chanter depuis la salle le refrain.

Laurence Equilbey a eu la joyeuse idée de faire chanter le public comme au temps de l’opérette, elle dirige la salle, les spectateurs ont la possibilité de répéter avant la représentation avec Christophe Grapperon et ne boudent pas leur plaisir de chanter la voix tremblante, assurée, fausse, juste, exaltés et fiers de chanter à l’Opéra Comique.

Michel Fau s’offre sa prodigieuse minute de gloire en comtesse de Castiglionne, superbe robe à paniers verte et perruque rousse gigantesque, il met tout son talent au service de l’humour et chante à en faire pleurer de rire, « Mon rêve était d’avoir un amant». Le couple affirmant que Laurence Equilbey était un homme reste sans voix, le monsieur dit à la dame « Ce n’est pas possible de chanter comme ça, cela ne peut être qu’un homme » et la dame de répondre « mais non voyons il est en robe ! ».

Jérôme Deschamps comédien et metteur en scène talentueux interprète quasiment sans texte avec fantaisie un directeur d’opéra d’époque, court lazzi avec Michel Fau et Ciboulette peut revenir.

Orgies nocturnes, marché des Halles, campagne profonde, banlieue désuète et espagnolade à la Carmen, Bernadette Lafont en diseuse de Bonaventure, sans oublier l’amour guimauve, l’utopie d’une rencontre possible entre riches et pauvres, les quiproquos et l’humour, tous les ingrédients d’une bonne opérette sont réunis, la belle musique, la fantaisie, la liberté, le jeu et les voix parfaites d’Accentus toujours énergique et présent pour soutenir les solistes talentueux, drôles portés par un orchestre solide pétillant, fin comme Mozart, léger et liquoreux comme les chansons populaires.

Laurence Equilbey, Michel Fau et toute leur équipe ne lâchent rien, le voyage est beau jusqu’à l’éclatant final aux lumières magiques.

Les spectateurs applaudissent à tout rompre du sol au plafond, la valse de Ciboulette est relancée depuis le plateau par Laurence Equilbey et toute la salle chante avec puissance et sourire extatique l’amour toujours l’amour.

Le couple bavard applaudit, crie bravo, la dame demande au monsieur « Mais il est où le metteur en scène, il ne salue pas ? » le monsieur n’a pas le temps de répondre, Laurence Equilbey et Michel Fau franchissent seuls le rideau, le monsieur répond alors « Ah tu vois le metteur en scène c’est une femme, elle a une belle robe verte, tu vois c’est elle qui jouait tout à l’heure » « C’est à n’y rien comprendre ici, les femmes sont des hommes et les hommes des femmes alors ? » dit la dame en applaudissant encore et toujours comme le reste de la salle qui aurait pu ne jamais s’arrêter ! La joie et le rire étaient dans la salle et sur scène, le vent de liberté musicale est agréable, il est bon de se laisser bercer par le romantisme suranné, la musique légère et populaire, emporté par les rires. Laurence Equilbey dirige le 25 mars à la salle Pleyel La passion selon saint Jean de Bach, souhaitons lui comme en Allemagne un public chanteur.

 

 

Visuels : (c) : Elisabeth Carecchio/ Opéra Comique.

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Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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