Chanson
Le petit pas de côté de Thomas Fersen

Le petit pas de côté de Thomas Fersen

23 January 2017 | PAR Hassina Mechaï

C’est  déjà son dixième album. Thomas Fersen sort en effet ce 27 janvier « Un coup de queue de vache ». 11 chansons à l’écriture fine, aux vers ciselés, aux accompagnements élaborés. Délaissant les tueurs romantiques et foutraques de son précédent album, « Je suis au paradis », le chanteur présente là un univers champêtre, rustique, auquel des arrangements avec un quatuor à cordes apportent, en contraste, leur note précieuse. Un coq bravache qui finit « en cocotte », une Cendrillon effeuilleuse de cabaret, un amoureux « au cou de chevreuil », un paso-doble « craquant » avec une kinésithérapeute géante, traversent cet album à l’évidente réussite. On y retrouve la subtilité grivoise, la folie douce, le macabre décalé, l’ellipse constante aussi. Et le talent qu’a Thomas Fersen de raconter, la voix narquoise, chaque chanson. Car on écoute avec intensité, comme on écouterait non pas une chanson, mais un conte fantasque : les yeux écarquillés… Rencontre avec Thomas l’incrédule.

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Parlons de la pochette d’abord, elle vous représente chevauchant une vache qui vole au-dessus d’un paysage urbain…Et du titre aussi, qui au-delà de l’allitération, dit quelque chose…

La photo a été faite par Jean-Baptiste Mondino, avec qui j’avais déjà travaillé plusieurs fois. On fonctionne ainsi : il me demande le titre, là « Un coup de queue de vache », et ensuite il imagine la photo qui illustrera l’album. L’histoire du disque est celle de la nature qui se transporte dans la vie des gens. La nature a quitté la campagne bien organisée et resurgit dans la promiscuité, dans l’aventure et dans les baisers qu’une jeune fille reçoit de son amoureux au cou de chevreuil.Le titre dit avant tout l’histoire d’un coq qui a pris « un coup de queue de vache ». Cette expression se disait dans les campagnes de quelqu’un d’un peu fou. J’aime bien cette expression. Ce coq, qui après ce coup, perd ses dents, chante à n’importe quelle heure puis finit dans la cocotte.

Qui est le coq ?

C’est un coq…et c’est moi puisque le coq est un chanteur. Mais le coq  est aussi un symbole national. Le coq est toujours un peu imbu de lui-même, il est celui qui chante sur un tas de fumier. C’est cela qui est amusant. C’est un peu à l’image de la forme de mes chansons car j’utilise des rimes très riches posées sur des images populaires. C’est très français en cela : on a fait la Révolution, donc on se croit tous révolutionnaires et pourtant, on a tous le goût du château. C’est une contradiction très française, et mon rôle est aussi de la souligner.

Vous revenez à la métaphore animalière après le précédent album « Je suis au paradis », où vous chantiez plutôt les doux dingues…

C’est là la tradition du conte, qui est celle d’utiliser l’imagerie animale. C’était déjà dans le premier roman français, Le Roman de Renard. Je fais un art classique, la chanson. Je m’inscris naturellement dans cette tradition, sans même y réfléchir. Mais de toute façon on utilise toujours des images, surtout quand on s’exprime au travers de métaphores, ce qui est mon cas.

Oui, mais ce goût des animaux et des objets à qui vous prêtez des émotions…

C’est l’homme qui leur prête des caractères, les humanisant dans le même mouvement. On s’attache à des choses, en les faisant vivre ainsi ; cela participe de la poésie, en un sens. La poésie existe dans le monde car l’homme la porte (l’apporte), sinon il n’y a rien. Sinon, l’existence est brutale et absurde. Toute la poésie du monde est dans les yeux des gens. Dans le verbe, dans l’esprit. Il ne faut pas l’oublier, le monde est beau car l’homme le voit. Les animaux sont brutaux et pragmatiques. Il faut être humaniste, par les temps qui courent (rires).

Humaniste ?

Oui, il faut rendre à l’homme ses qualités. La capacité de faire des belles chansons, d’apporter de la beauté dans le monde. De la bonté aussi…Il n’y a que l’homme qui soit capable de cela. Seul l’homme peut faire des choses complètement désintéressées.

La poésie est-elle forcément liée à la gratuité ?

Spontanément, je dirais oui. Mais je ne veux pas être poète si cela signifie crever de faim (sourire). Ecrire mes textes est un plaisir, mais les porter vers les autres, cela demande beaucoup de travail et de temps. Je comprends qu’il y ait des gens qui brûlent leurs vers. Car on peut devenir l’esclave de sa propre production. Après avoir fait ces chansons, il faut se frotter à des choses lourdes, trouver un modèle industriel pour porter tout cela. Heureusement que j’ai eu du plaisir à faire ces vers, que je les aime et que j’ai envie de les porter sur scène, de les incarner devant un public. On croit qu’on est des doux rêveurs, mais non, c’est énorme ce que cela suppose.

Vous faites coexister dans cet album un univers champêtre et un quatuor à cordes. Là aussi le contraste vous plaisait ?

Pour moi, l’illustration sonore de ces histoires était forcément des cordes ; l’univers agreste et sylvestre sonnait ainsi. Les chansons autour de l’enfance sauvage aussi plus largement. J’ai confié ce travail à Joseph Racaille, qui avait déjà travaillé sur d’autres de mes albums. C’était son seul cahier des charges, le quatuor. Il a simplement ajouté un instrument populaire, pour dénaturer cet ensemble bourgeois. J’ai trouvé cela intelligent, puisque c’est ce que je pratique moi-même, ce décalage. Il a donc introduit parfois le banjo, parfois la guitare ou encore la mandoline.

Cela illustre ce qu’on retrouve dans votre univers, ce petit pas de côté ?

Oui, mais parce que moi-aussi je fais ce petit pas de côté dans la vie ; je suis toujours à côté de l’existence. Je suis toujours un peu au bord, à la fois dans mon positionnement social mais également familial. Enfant, j’aimais jouer seul mais en sachant que les autres étaient là. Solitaire mais sans la solitude. Dans la vie, je me comporte ainsi : je suis celui qui celui s’en va. Je suis là mais je sais que je vais partir. Mon point de vue est celui qui est toujours de côté, y compris dans mes chansons. Ce faisant, j’apporte des perspectives rafraîchissantes pour l’auditeur. Je suis là pour cela (sourire).

Vos concerts réunissent des adultes et des enfants. Pourtant, certaines de vos chansons ont un double sens paillard ou cruel. Comment expliquez-vous cela ?

Les enfants ne sont pas dupes, ils sentent qu’il y a quelque chose de  trouble qui les attire. Ils sont intrigués. Le vocabulaire est simple, imagé. Puis j’utilise des techniques auxquelles ils sont sensibles, comme l’ellipse. D’ailleurs c’est une technique de la chanson populaire. Les choses cachées attirent. D’ailleurs la chanson populaire a quelque chose de noble, qui échappe à toute fixation, qui n’appartient à personne, qui n’est pas industrielle. La raison est parce que c’est bien écrit, l’esprit populaire a su créer des techniques pour qu’elles soient retenues facilement. Et puis elles portent un réflexe de désobéissance, d’insolence, en prenant des airs classiques et en les détournant.

Pourriez-vous écrire aussi des chansons dites réalistes ?

Je ne sais pas faire. Ce sont des chansons très difficiles à écrire. Peu d’auteurs sont crédibles dans ce style. Mais mes personnages sont aussi identifiables socialement, même s’il y a ce pas de côté. Je n’ai pas d’idée générale sur l’actualité ; et puis j’ai un rapport au réel différent que j’ai arrêté de rationaliser d’ailleurs. J’ai toujours plus vécu dans mon imagination que dans la réalité. Du coup, le réel pour moi se situe davantage dans mon imagination, où je vis, que dans la réalité. Celle-ci me rattrape parfois brutalement, mais temporairement car je n’y reste pas. Si je peux, je l’évite…Au final, je choisis ma réalité à moi pour éviter de la subir. La vie est absurde, brutale, si on ne rêve pas, si on n’a pas d’imagination, si on n’est pas amoureux, si on n’a pas de l’esprit, on n’est que matière. Ce n’est que violence et absolue platitude.

Vous dites aussi des monologues en vers dans tous vos spectacles…

De temps en temps, je dis un texte sans musique. C’est venu peu à peu. J’aimais l’histoire d’un texte tout simplement et je l’ai dit. J’ai aimé cela et en ai écrit d’autres. Je chante et je parle désormais. Les gens pensent que je vais me confier jusqu’à ce qu’ils entendent que c’est en rimes. La rime permet de coder des choses, de dire des choses interdites.

Vous êtes moins chanteur que conteur…

Oui, tout à fait. C’est quelque chose que je fais plus naturellement que de chanter. Les monologues me sont plus naturels,  je me relâche. J’ai d’abord été attiré par le langage avant d’être attiré par la musique. Je n’ai pas voulu être chanteur, je voulais être écrivain quand j’étais enfant. Je suis revenu aux mots avec les qualités et les défauts de l’autodidacte. La qualité première est l’opiniâtreté car je le fais pour mon bien ; et ce n’est pas quelque chose qu’on m’a demandé de faire.

Écrirez-vous un jour un roman ?

Pour écrire un roman, il faudrait accepter de me retirer de l’existence quelques années. Je n’en ai pas le goût, car désormais, en homme de spectacle, j’ai besoin de cette brûlure de la scène. C’est une chose que mon système nerveux demande. C’est intense comme les moments tragiques, les moments amoureux. Dans ces moments amoureux d’ailleurs, la plupart des gens font le mort ; on refuse parfois de les vivre, par peur. Pourtant, c’est ce moment où vous êtes absolument dans le présent. C’est rare et difficile car l’homme se projette sans cesse dans le passé ou le futur. Certains parviennent à n’être que dans le présent. Mais ils meurent jeunes. Je canalise ce moment présent sur scène. Avec certains codes, un rituel, je suis en sécurité. Sur scène, on sent cette unité de soi. Dans le quotidien, je me sens dans le dédoublement. Un peu de duplicité aussi (sourire) car on se ment à soi-même. On le sait mais on se laisse faire…

Visuel :© WebPromo

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Hassina Mechaï

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