Chanson
Juliette : “Dans les chansons, cela m’embêterait beaucoup de juger”

Juliette : “Dans les chansons, cela m’embêterait beaucoup de juger”

02 October 2013 | PAR Yaël Hirsch

 

Alors que son nouvel album Nour est dans les bacs depuis le 23 septembre, Juliette sera au Casino de Paris les 11 et 12 février prochains. Alors qu’on peut déjà déguster la vidéo de son premier titre doux-amer “Le diable dans la bouteille”, la chanteuse nous a reçu, lumineuse, dans un jardin du 20ème arrondissement pour un entretien à bâtons rompus.

Malgré son titre, Nour est absolument vierge de toute référence orientale?
Oui, j’utilise le mot Nour en arabe, qui est la première partie de mon nom de famille, mais sans y mettre de musique ou de paroles orientales. C’est la génération de mes grands-parents qui est venue en France, moi je suis née en France, de parents français et tout ce qui est oriental est très lointain. Je n’ai pas grandi dans cette culture, bien que j’en sois curieuse. C’est aussi pour cela que cet album porte un nom arabe: c’est parce que cela n’a pas d’importance. Ça c’est l’intégration, la vraie! Nour, c’est la lumière mais ce n’est pas n’importe quelle lumière pour moi. Je n’ai pas gardé l’ensemble de « Noureddine » qui veut dire « la lumière de la foi ». Parce que moi je n’ai pas la foi, c’est compliqué et c’est comme ça. J’ai pris mon nom comme il est. Si je m’étais appelée Dupont, j’aurais peut-être fait un album sur les ponts.

Mais Nour c’est aussi un prénom neutre, à la fois de fille et de garçon, ni masculin, ni féminin, c’est intéressant. Il y a une volonté dans l’utilisation de l’arabe d’aller vers un mot plus complet que le mot français, de même que je me sens capable d’utiliser des mots anglais quand ils sont plus précis.

En revanche, il y a une vraie débauche de cuivres et de percussions entraînantes…
C’est assumé et fait exprès. Musicalement j’aime bien aller chercher des choses différentes et là je m’en suis donnée à cœur joie. Je suis aussi une personne avec divers états d’âme : je ne suis pas toujours triste, je suis plutôt gaie d’ailleurs. Et ça se ressent dans la musique. Il y a une métaphore de théâtre que j’aime bien : souvent dans mes chansons, les textes disent l’action, sont au premier plan et jouent le rôle des personnages, et puis derrière, il y a décor et le décor, c’est la musique. Dans ce décor, il se passe des choses. Or souvent lorsque la musique est illustrative, c’est intéressant de la décaler par rapport au propos. C’est quelque chose qu’on retrouve dans la musique latino-américaine, notamment les cumbias, qui ont des mélodies très gaies et qui, quand on écoute les paroles, parlent d’états d’âmes et crimes passionnels mais dont le rythme donne envie d’aller danser. Dans mes chansons, ce décalage entre les paroles et la musique crée une impression presque de détachement, comme si on regardait une scène de théâtre.

Il y a aussi des citations musicales qui viennent comme des clins d’œil. Par exemple les Beatles ou la pub dim et dans le titre “l’Eternel féminin”…
C’est exactement ça, c’est le même principe que des séquences au cinéma. Quand j’écris de la musique, parfois il arrive que l’envie d’une citation me vienne et je glisse ça dans la composition comme on glisserait une séquence au cinéma. La différence, c’est que je le fais jouer sur de vrais instruments par de vrais gens. Parce que je préfère, même si c’est une citation de Mozart que ce soient les « garçons », les musiciens qui m’accompagnent depuis longtemps, qui le jouent.

Et le premier extrait, “Le diable et la bouteille”, c’est un tango?
C’est tout à fait un tango, enfin une milonga pour être exacte, et proche de la culture du carnaval du Brésil ou de l’Uruguay, donc plus directement proche de l’influence africaine. Il y a une influence africaine dans le tango. Que l’on retrouve dans cette chanson. Notamment le bruit des bouteilles avec leur musique percussive. Ce n’est pas du tout une chanson à boire. C’est une chanson assez désespérée qui dépeint quelqu’un dans l’addiction de l’alcool et sa seule solution pour se sortir de l’addiction c’est d’y replonger. Il y aurait pu y avoir une autre solution, comme par exemple : casser la bouteille. Non, la solution, c’est de finir la bouteille et d’en recommencer une autre. Il y a quelque chose d’assez triste dans l’alcoolisme car on est conscient de ce qu’on est en train de faire mais en même temps l’idée que ce « n’est pas de ma faute car il y a un diable qui m’appelle ». C’est une constatation. Dans la vie je me permets de juger, mais dans les chansons, je préfère constater ce que j’ai observé, ça m’embêterait beaucoup de juger.

Le seul titre vraiment mélancolique semble être « La petite robe noire », parce que c’est un cliché des magazines féminins?
La musique a parlé toute seule. Je suis partie sur un côté très comptine, très simple, l’harmonisation fait que cela sonne un tout petit peu plus féminin. On va parler d’amour derrière. On parle d’une histoire d’amour derrière des vêtements. Or les vêtements, la petite robe noire, c’est toujours un peu futile. Mais tant que ça, c’est joli une robe noire, c’est très simple, c’est très luxueux, d’où quelle vienne. Et le titre va plus loin que la comptine de chagrin d’amour. A chaque fois qu’on réécoute cette chanson, je crois qu’on est encore plus mélancolique.

Vous aimez être entourée de musiciens et de formations classiques…
C’est bien d’avoir des musiciens parce que c’est d’avoir des êtres vivants avec soi. Mon équipe c’est la même depuis vingt ans pour certains. Ce sont des amis avec qui il y a de vrais liens de fidélité.Des amis de travail, avec qui on vit comme une troupe. Quand on se retrouve on a un fonctionnement commun qui est important et qui ne fonctionne que parce que cela fait longtemps. Si le disque est aussi réussi, c’est aussi grâce à ce passé commun. On n’aurait pas fait un disque comme on a fait celui-là, il y a vingt ans. Il y a beaucoup de complicité, Ça va vite, on a des idées en plus.

Qu’est-ce qui fait qu’un disque est réussi ?
Il y a plusieurs façons d’avoir l’impression d’avoir fait un bon album. Là, en l’occurrence, c’est avant tout la cohésion, ce qui sous-entend pour l’auditeur le plaisir qu’il peut avoir de l’écouter d’un bout à l’autre, du chemin à faire entre une chanson et une autre, des surprises qu’il peut avoir de nouveau à la deuxième ou troisième écoute. Il y a plein de facteurs qui font qu’un album est réussi, Pour celui qui l’a fait, ce qui compte avant tout, c’est le souvenir du plaisir qu’on a pris à le faire.

Le 12 novembre, vous jouez à la salle Gaveau, “Gertrude Stein-Picasso, portraits croisés“, face à Polydoros Vogiatzis. Avez-vous un passé avec Gertrud Stein?
Je n’ai aucun passé avec Gertrud Stein, mais j’ai fait ces lectures cet été sous la direction de Didier Long avec Polyddoros en Picasso. Le montage des textes littéraires est très bien fait, et les extraits de la correspondance éclairent les gens. On a en filigrane, la vie de Picasso mais aussi sa mentalité, son côté parvenu, par exemple, son rapport compliqué à l’argent. Et elle, c’est son admiration qui est mise en lumière. S’il y a une chose qui me tue dans ce texte, c’est l’analyse par Gertrud Stein de l’arrivée de l’art moderne, de ce qu’est un artiste. Sa conclusion, en fait, c’est que le monde du 20ème siècle, c’est Picasso. C’est un texte magnifique qui me fout vraiment les poils en l’air. En plus c’est une période qui m’intéresse beaucoup la charnière entre le 19ème siècle et le 20ème siècle.

© Frankie & Nikki

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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