Chanson
Grand Corps Malade, « un oiseau dans l’orage »

Grand Corps Malade, « un oiseau dans l’orage »

11 April 2013 | PAR Camille Hispard

 

 

 

 

Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade a imposé de manière pérenne sa béquille dans le paysage musical français, plaçant même son handicap au cœur de sa démarche artistique.

« Je me suis pris un éclair comme un coup d’électricité / Je me suis relevé mais j’ai laissé un peu de mobilité / Mes tablettes de chocolat sont devenues de la marmelade / Je me suis fait à tout ça, appelez moi Grand Corps Malade. » Il fallait quand même oser ce qu’il appelle « une boutade » : choisir comme nom de scène, une sorte de surnom de sioux qui impose directement son infirmité. Le poète du bitume de 1m94 choisi d’énoncer son handicap directement dans son pseudonyme, histoire que les choses soient claires. Lors d’une session slam le présentateur lui demande s’il a un nom de scène, il répond par son nom de baptême Fabien en ajoutant sur le ton de l’ironie Grand Corps Malade. Et puis c’est resté : « Après si tu réfléchis, bien sûr c’était une façon d’annoncer la couleur, de dire voilà, je marche avec une béquille, je traine un peu la patte, je suis un grand corps un peu cassé. » Une façon d’annoncer la couleur comme une évidence, sans impudeur ni apitoiement. Le public français s’est habitué depuis 2006 et le succès de l’album « Midi 20 » vendu à plus de 600 000 exemplaires à voir débarquer sur la scène ce grand bonhomme à la silhouette longiligne et au regard azur toujours accompagné de sa béquille.

Le 16 juillet 1997, Fabien Marsaud, jeune à l’aube de ses 20 ans, animateur en colo et passionné de basket plonge dans une piscine pas assez remplie et se déplace une vertèbre. « Le choc n’a duré qu’une seconde /Mais ces ondes ne laissent personne indifférent. / Votre fils ne marchera plus, voilà ce qu’ils ont dit à mes parents. »

C’est dans cette sublime chanson 6ème sens que Grand Corps Malade évoque dans son premier opus cet accident qui marquera définitivement son parcours de vie. Il souhaitait faire du basket pro ou au moins devenir prof de sport et se retrouve à devoir réapprendre l’autonomie en rééducation. Il est ce qu’on appelle un tétraplégique incomplet, c’est-à-dire qu’il a un espoir de retrouver un jour une certaine mobilité. Son orteil gauche bouge, c’est qu’il peut se raccrocher à la possibilité de pouvoir remarcher.

Ce parcours du combattant en centre de rééducation, Grand Corps Malade le raconte avec humour et tendresse dans le livre Patients, paru en 2012 chez Don Quichotte : « Je sors tout juste de l’hôpital où j’étais en réanimation ces dernières semaines. On me conduit aujourd’hui dans un grand centre de rééducation qui regroupe toute la crème du handicap bien lourd : paraplégiques, tétraplégiques, traumatisés crâniens, amputés, grands brûlés…
Bref, je sens qu’on va bien s’amuser. » Fabien retrouve peu à peu de la mobilité mais garde avec lui des séquelles de son accident et sera désormais toujours précédé par sa béquille. : « Je me suis pris un éclair comme un coup d’électricité
Je me suis relevé mais j’ai laissé un peu de mobilité. »

L’écriture a toujours été présente pour lui mais l’envie de se raccrocher, de s’investir dans une nouvelle passion devient vital. Cette terrible tragédie est paradoxalement le début d’une renaissance artistique. Un joyau de conteur de mots qui slame sur les maux : Grand Corps Malade investit la scène. « Ce n’est pas le slam qui m’a aidé à faire mon deuil du basket, mais c’est ce qui me remet en contact avec une passion. »

Ce drame marque un point d’encrage dans son œuvre, une façon de coucher les textes comme une urgence, avec une rage sereine et sourde qui trahit une envie de mordre la vie. Son rapport au handicap s’est imposé comme une évidence à travers des mots crus et directs qui vous arrivent en pleine face comme un bel uppercut. Grand Corps Malade n’a pas fait de sa jambe abimée sa marque de fabrique ni son gagne pain, non. C’était juste peut-être une façon d’avoir encore plus envie, comme un déclic ardent. Lorsqu’on lui demande sur le plateau de la Grande Librairie en 2012 s’il pense qu’il serait devenu artiste sans cet accident, il répond : « Je pense que je n’aurai jamais la réponse. Des fois je me dis, nan, j’aurais trouvé le slam et je me serais découvert cette passion, même si j’avais continué à faire du sport. Des fois je me dis que j’aurais pas mis la même énergie si j’avais continué à faire du sport à côté. Donc voilà, peut être pas finalement. »

Ce qui est sûr c’est que Fabien Marsaud distille sa prose poétique et mécanique de sa voix semblant venir des profondeurs de la terre. Il a mis des mots sur des tabous, sans aucune prétention, ni l’ambition de changer le monde. Dire des choses simples sans fioritures : « Ce monde respire le même air, mais pas tout le temps avec la même facilité/
Il porte un nom qui fait peur ou qui dérange : les handicapés. /Et tout le monde crie bien fort qu’un handicapé est d’abord un être humain/
Alors pourquoi tant d’embarras face à un mec en fauteuil roulant ou face à une aveugle
Vas-y tu peux leur parler normalement. »

De son style incisif qu’il lacère au stylo, il parvient à faire simplement oublier la différence. Il aurait pourtant pu être cantonné au rôle de l’infirme de service qui milite pour les handicapés, mais pas du tout. Il s’est imposé avec talent sur la scène musicale, produisant trois albums d’une grande qualité. Son livre racontant avec une grande dérision son quotidien en centre de rééducation est venu après, justement pour ne pas être reconnu comme « artiste handicapé ». Par son regard vif et sa capacité à l’optimisme, il évoque crûment cette vie bousculée au jour le jour dans ses habitudes. Des vannes de jeunes patients de 20 ans qui se chambrent aux douleurs d’une vie qui ne se fait plus sans l’autre : « On est dans l’autodérision permanente, avec la petite dose de cynisme liée à notre situation, comme quand on chambre Steeve, toujours mal coiffé, en lui lançant : Déjà que ton corps est foutu, va au moins chez le coiffeur ! » Grand Corps Malade signe un formidable récit plein de poésie.

Lorsqu’on lui demande dans Corse Matin si le handicap est mieux pris en compte par la société française, il reste mitigé : « Pas vraiment. Il y a des hauts et des bas. Lorsqu’un film comme Intouchables sort, tout le monde se sent concerné. Et puis, ça retombe. En 2007, le handicap avait été l’un des thèmes du débat Sarkozy-Royal. Cinq ans plus tard, lors du débat Sarkozy-Hollande, rien ! Pas un mot ! » Il milite discrètement comme lorsqu’il participe à des ateliers slam en prison ou en maison de retraite. Grand Corps Malade a su amener son handicap avec douceur dans le paysage artistique français, sans en faire son fer de lance mais en y puisant une partie de son inspiration, en nourrissant son art de ses zones d’ombre. Il a su parler simplement de cet « oiseau dans l’orage » qui reprend ses droits sur la vie.

« A midi moins le quart, j’ai pris mon stylo bleu foncé / J’ai compris que lui et ma béquille pouvaient m’aider à avancer. »

Visuel (c) : couverture du livre “Patients“.


http://www.youtube.com/watch?v=RcxRMikZrbY

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