Chanson
[Chronique] « Du Bout des Lèvres » Le Noiseur : narratif et fracturé

[Chronique] « Du Bout des Lèvres » Le Noiseur : narratif et fracturé

18 March 2015 | PAR Bastien Stisi

« Quelle est la qualité que tu préfères chez un homme ? » / « La timidité » / « Pourquoi ? » / « Parce que c’est quand ils n’arrivent pas à s’exprimer qu’ils ont l’air le plus sincère ». Ce dialogue qui introduit ce premier album  pourrait résumer le paradoxe qui entoure la personnalité, complexe et opaque, de ce signataire récent du label francophile  de [PIAS] : pudique et discret en promo, sous les traits de Simon Campocasso, ce dernier s’avère largement plus bavard et plus expressif en studio, lorsqu’il enfile le costume, classieux et chansonnier, du Noiseur

[rating=3]

Pourtant, dans Du Bout des Lèvres, ce premier album successeur d’un premier EP remarqué (on y trouve notamment le très bon « Sexual Tourism », et son remix, frontal et onduleux, par le Mancunien David Show and the Beat »), c’est bien à un récit autobiographique que l’auditeur se trouve confronté. Pas le plus évident à chanter. Simon, le regard un peu ailleurs, avoue à ce sujet avoir « mis du temps à oser raconter ce qui ait raconté dans cet album ».

Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile d’évoquer ce qui est évoqué ici (les âmes les plus tourmentées en conviendront). Romancé mais non fictionnel, l’album base en effet principalement sa narration sur l’évolution d’une relation amoureuse à la trajectoire tragique quoique traditionnelle (l’universalité de l’échec amoureux…) des débuts idolâtres aux terminaisons plus douloureuses. Et si les premiers morceaux ont été composés en 2009, et les plus récents en 2012 – les douleurs du cœur, semblent-ils, ont eu le temps d’être pansé – il n’empêche que gratter là où se trouve une cicatrice peut toujours faire saigner de nouveau la plaie en question…

Le format, par son caractère éminemment narratif, si ce n’est cinématographique (« avant de faire ce disque, j’ai déjà fait des BO de courts-métrages »), se rapproche du concept album gainsbourien (« 24×36 » évoque par exemple une Javanaise des temps actuels), délimité par des repères temporels clairement formulés (« Au Début », « A la Fin »). Mais parce qu’il s’avère moins radical et moins obsessionnel que les chefs-d’œuvres du genre, passés (L’Homme à la Tête de Choux de Gainsbourg) ou récents (Bambi Galaxy de Florent Marchet), Du Bout des Lèvres se rapproche peut-être plus d’un album à la Biolay ou de ces albums dans lesquels les chansons d’amour s’imposent incontestablement comme le fil conducteur, tout en s’autorisant quelques escapades vers des thématiques autres (ici, « Loin de Vous » parle par exemple d’une retraite solitaire au milieu de gentils petits chats…)

Biolay, la référence est évidente. « C’est quelqu’un que j’ai beaucoup écouté. Surtout ses premiers albums. C’est surtout dû à la manière de chanter. » On citera aussi ses congénères de label, préoccupé comme lui par la récitation d’une variété verbale aux ambitions doucement mélodiques, de Dominique Dalcan à Alain Cahamfort, de Florent Marchet à Jean-Louis Murat. A Miossec aussi : « Miossec, c’est quelqu’un que j’ai énormément écouté, et qui m’a, par son écriture, donné envie de franchir le cap. Une écriture assez simple et assez directe qui me touche profondément. Je suis assez fier d’être sur le même label que lui. »

En live, et parce qu’il n’est désormais plus question des préoccupations rap qui étaient les siennes à l’adolescence (« IAM, NTM, Oxmo Puccino, c’est des choses que j’ai forcément beaucoup testées, et qui m’ont donné envie de faire moi aussi de la musique. Mais mon écriture est concise et laconique. Soit tout l’inverse du rap, qui demande de produire des textes assez longs et fournis…Je crois que ça a bloqué aussi à ce niveau-là »), Le Noiseur se tourne a priori vers un format plus pop qu’en studio. Il sera assisté pour ce faire par le savoir-faire du Versaillais Philippe Thuillier (moitié de Saint-Michel), qui a d’ailleurs remixé « Loin de Vous » sur le premier EP.

Le simple fait de chanter, nous confie Le Noiseur avec une sérénité faussement désinvolte, n’était initialement pas, pour lui, une évidence absolue. Une question de tempérament, et de barrières personnelles à franchir. Songeons ainsi au titre de ce premier album, et tirons-en une logique conséquence : discrètement mais sincèrement, Du Bout des Lèvres s’impose en effet comme l’une des plus belles promesses de la scène variété indie française actuelle.

Le Noiseur, Du Bout des Lèvres, 2015, [PIAS] le Label, 34 min.

Visuel : (c) Adeline Mai

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Bastien Stisi
Journaliste musique. Contact : [email protected] / www.twitter.com/BastienStisi

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