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« Traiter la musique classique comme le rock n’roll » Rencontre avec Philippe Tranchet, fondateur du Festival « Un Violon sur le Sable »

« Traiter la musique classique comme le rock n’roll » Rencontre avec Philippe Tranchet, fondateur du Festival « Un Violon sur le Sable »

11 June 2012 | PAR Laurent Deburge

A son allure intensément rock, on devine que Philippe Tranchet est un être à part dans le monde de la musique classique. Entrepreneur de spectacles et showman avant tout, il ne croit pas aux frontières entre les genres musicaux, mais il se dévoue résolument au public et à l’émotion partagée. A l’occasion des 25 ans du festival « Un Violon sur le Sable », qu’il a fondé et qu’il anime à Royan à la fin du mois de juillet, il nous a accordé un entretien. Rencontre avec un passionné aux convictions bien ancrées.

TLC – Le Festival « Un Violon sur le Sable » mélange musique symphonique, extraits du répertoire lyrique, mais aussi danse, gospel et instruments exotiques. Quel est pour vous l’esprit de ce Festival ?
Philippe Tranchet – L’esprit du festival est déterminé par le public lui-même. Je me suis toujours mis à la place d’une personne néophyte en termes de musique classique, mais sensible à l’émotion musicale. Je suis en permanence à la recherche de l’émotion. J’essaie ainsi d’attirer le plus grand nombre en présentant ce que la musique nous offre de plus intense et d’immédiatement touchant. Dans une symphonie, je n’hésite pas à sélectionner le mouvement le plus émouvant, la « quintessence », pour le proposer au public, en évitant les passages moins sensationnels. Un peu comme un Disc-jockey qui aurait en charge de faire danser le public d’un mariage, forcément intergénérationnel, je mélange les genres et donne ainsi à entendre les extraits les plus significatifs des œuvres du répertoire. Nous n’avons aucun message à délivrer si ce n’est le fait de casser quelques frontières entre les styles de musique et les différentes formes d’expression. Cette année le Hang (instrument de percussion mélodique) est mis à l’honneur, tandis que l’année dernière c’était un violon chinois.
C’est le seul festival de musique classique qui ait autant d’audience en Europe, car nous accueillons 50 000 personnes par concert. C’est également le seul festival qui offre des places payantes pour un concert gratuit ! Les 3000 places en tribunes sont vendues à chaque fois, et les places payantes sont même moins bien situées que les places gratuites. Elles permettent d’arriver plus tard, mais on est à 50 mètres de la scène, tandis que les places gratuites sont en revanche tout au bord de la scène. Elles se méritent car il faut arriver parfois trois ou quatre heures à l’avance.

La grande spécificité de ce Festival est que le public s’est constitué tout seul, par lui-même. Pendant des années je n’ai pas communiqué sur le festival, afin que les gens se cooptent mutuellement. A chaque fois qu’une personne se rendait au festival, je faisais le pari qu’elle en ramènerait trois de plus l’année suivante.

Un public d’habitués s’est ainsi construit ses propres codes, ses traditions. L’occupation de l’espace, par exemple, est un phénomène sociologique incroyable qu’il faut absolument observer. La plage de Royan se retrouve spontanément découpée en zones : la première est réservée aux personnes qui viennent s’assoir à même le sable, sur une serviette, une deuxième zone appartient à ceux qui apportent des cales-dos, une troisième est dédiée aux spectateurs avec leurs propres chaises puis viennent les tribunes. Et tout cela s’organise de manière autonome, sans aucun service d’ordre. Le public est auto-discipliné et les habitués transmettent aux nouveaux venus les modes d’organisation. Si une personne s’installe avec un mauvais siège sur une zone inappropriée, le seul regard des autres suffit pour qu’elle comprenne qu’elle s’est trompée et regagne le bon emplacement. De la même manière, si un soliste joue deux morceaux à la suite, le public ne se lève pour l’applaudir qu’à la fin de sa prestation. Il s’autorégule.

La présence du sable est particulièrement déterminante. Dans une salle d’opéra, quelqu’un qui n’est pas initié ne sait pas comment s’habiller, ni quelle va être la réaction des enfants, s’ils vont s’ennuyer et quand il faut applaudir, etc. Sur la plage, à partir du moment où l’on peut se mettre pieds nus dans le sable, les classes sociales s’estompent et les codes se transforment. Pieds nus, on ne reprochera jamais à quelqu’un d’applaudir au mauvais moment.

Enfin, pour ne pas pervertir l’esprit classique du festival, nous n’annonçons pas à l’avance la présence d’artistes de variété, comme Cali, Christophe Maé, Olivia Ruiz ou Laurent Voulzy, qui sont évidemment plus connus que les artistes classiques, afin que le public ne vienne pas pour une autre raison que celle de la musique classique.

TLC – Quelle est l’origine de ce Festival ?

Philippe Tranchet – Tout a commencé par ma rencontre avec Patrice Mondon, violoniste à l’Opéra de Paris, qui faisait également du rock n’roll. Je lui ai proposé de venir jouer du violon sur la plage, mais en tenue de travail, c’est-à-dire en queue-de-pie ou en smoking. Je comprends que des musiciens viennent à l’Opéra Bastille en chemise à fleur pour un programme festif, mais sur la plage, ce serait une erreur. Le public se montre très sensible au fait que les musiciens soient bien habillés. C’est un signe de respect. Ma grande hantise était d’avoir un public non préparé qui siffle les chanteuses d’opéra. Une fois, lorsque je montais la scène, un groupe de gamins s’est approché de moi pour m’interroger. Je leur ai répondu que je préparais un concert de rock. Le soir, ils sont revenus, avec leurs blousons en cuir. Cela aurait pu mal se passer mais ils ont été surpris et émus par la musique, ils ont éprouvé de l’admiration pour la cantatrice en robe d’apparat.

TLC – Le festival a 25 ans, qu’avez-vous appris en un quart de siècle ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Philippe Tranchet – J’ai appris qu’il ne fallait surtout pas avoir de certitudes en ce qui concerne le goût des autres, au sujet duquel il faut rester modeste. Nous proposons des expériences, mais nous ne savons qu’après seulement si nous nous sommes trompés ou non. Car nous avons tous à cet égard des a priori qui se révèlent être faux. Pendant le festival, j’ai vu pleurer des gens dont je n’aurais pas soupçonné un seul instant qu’ils puissent être autant sensibles à la musique.

Quand aux difficultés, l’aléa principal reste la météo, qui empêche de prendre trop de risques, notamment en termes de mise en scène. Je ne comprends absolument pas pourquoi en règle générale la musique classique est traitée de manière aussi austère. Les émissions de variétés, les concerts de rock ont droit à des effets de lumière et de scénographie, ce n’est pas le cas de la musique classique. J’ai voulu au contraire casser tout cela et traiter la musique classique comme du rock n’roll, à la différence près que les musiciens ne peuvent pas se déplacer. Je veux obtenir le même impact qu’un concert d’une rock star, organiser un véritable show. La seule difficulté sur la plage de Royan, c’est que je ne peux pas obtenir de noir, comme dans une salle de spectacle, pour créer la surprise. Même mettre un rideau serait trop risqué eu égard à la prise au vent.

TLC – Le thème de cette année est « Un Violon sur la Ville », pouvez-vous nous en dire plus ?

Philippe Tranchet – Une autre difficulté de ce festival est de convaincre des solistes de venir pour ne chanter qu’un air d’opéra ou de ne jouer qu’un extrait de programme, alors qu’ils ont l’habitude de jouer les œuvres intégralement. Pour prendre une comparaison tirée du football, c’est comme si l’on demandait à Messi de venir à Royan jouer un match, en lui disant : « tu rentres à la 54ème minute pour tirer un penalty et tu ressors à la 55ème minute et en plus tu ne seras pas bien payé… »
Avec « Un Violon sur la Ville », nous avons ainsi voulu offrir aux solistes d’autres opportunités d’exposition en donnant des concerts dans un autre cadre que la grande scène.

Pour fêter les 25 ans du Festival, plutôt que de rajouter un autre grand concert comme un gâteau supplémentaire, nous avons décidé d’offrir plein de petites bougies d’anniversaire sous la forme de concerts dans des lieux insolites mettant en valeur le patrimoine du pays royannais. Ainsi, un concert donné sur le toit de l’église de Royan, unique au monde, sera retransmis en direct. Le phare de Cordouan fête son 400ème anniversaire et nous donnerons un pique-nique concert sur sa plage éphémère. Jean-François Zygel participera à un duel d’improvisation sur un court de tennis. Le pianiste François-René Duchâble jouera en récital sur la falaise de Talmont-sur-Gironde, avec pour cadre sa magnifique église romane…

TLC – Quels sont les temps forts de cette 25ème édition ?

Philippe Tranchet – On ne connaît les temps forts qu’après-coup. Je ne peux ainsi vous parler que de l’année dernière. Par exemple le violon chinois de Guo Gan a ému toute la plage. La flamenca Lucero Tena avec son jeu de castagnettes et son immense charisme a remporté la plus grande standing ovation de la saison.

Si l’on ne peut ainsi jamais préjuger des temps forts, on peut supposer que la chorégraphie du Centre Chorégraphique National de La Rochelle dirigé par Kader Attou, conçue spécialement pour le Festival sur une musique de Gorecki, en mélangeant musique classique et hip-hop sera un moment intense de cette année. Mais comment savoir ? Les répétions n’ont pas encore commencé… On peut également soupçonner que le violon de Nemanja Radulovic va émouvoir le public.

Mais l’évènement peut tout aussi bien venir des manifestations annexes, qui ne sont pas annoncées dans le programme. L’émotion ne se commande pas. On l’appelle de nos vœux, on l’espère, mais elle ne se manifeste qu’à la fin.

TLC – Comment le financement de ce festival est-il organisé ?

Philippe Tranchet – C’est une initiative privée avec un mode de financement atypique. Le financement s’organise pour la moitié sous la forme d’un marché public fermé et le reste est assuré par des partenaires privés, dont la maison Hennessy, producteur de Cognac, et les montres Baume et Mercier, qui sortent d’ailleurs une montre en édition limitée aux couleurs du Festival pour le 25ème anniversaire. C’est un beau partenariat fondé sur des valeurs partagées comme la plage, la famille, les loisirs et la passion de la musique.

TLC – Royannais de naissance, vous avez été footballeur et banquier, homme de radio et créateur du Mondial de Billes sur sable… d’où vous vient votre goût de la musique classique ?

Philippe Tranchet – Mon goût pour la musique classique me vient paradoxalement des Beatles, dont je suis tombé amoureux à 14 ans. Comme ils s’inspiraient de Bach dans certaines chansons par exemple, il m’a semblé naturel d’y aller voir par moi-même. Plus tard, en faisant de la radio, j’ai poursuivi la recherche du goût des autres, de ce qui émeut. Mais je ne me considère ni particulièrement esthète ou spécialiste de la musique classique, pour laquelle je n’ai d’ailleurs pas un goût immodéré. J’aime la musique en général, et il n’y a pour moi pas de frontières entre le classique, les chansons d’aujourd’hui ou le rock n’roll. J’aime simplement partager ce qui me plaît.

TLC – Un tel message ne doit pas facilement passer dans le milieu musical. Votre démarche est-elle critiquée ?

Philippe Tranchet – Cela se ressent déjà dans la couverture par la presse. Quand Alexandre Tharaud joue à Royan devant 50 000 personnes, aucun journal n’en parle. Quand il joue la semaine suivante à Saintes devant 300 personnes, il y a une pleine page dans le Monde.
Pour donner un autre exemple, il est peu rentable de faire jouer des longs moments de piano solo lorsqu’on dispose sur scène d’un orchestre symphonique dédié, dirigé par Jérôme Pillement. Quand j’ai voulu monter un arrangement pour orchestre de la musique de Chopin, les puristes ont poussé des cris d’orfraie. Mais grâce à Bruno Fontaine, nous avons proposé un medley autour de Gainsbourg, qui ne s’était pas privé de reprendre des thèmes classiques. C’était ma solution pour faire entendre du Chopin… (http://www.youtube.com/watch?v=u6WNPrIVzBg)
Je revendique ma volonté de partager la musique classique avec le plus grand nombre. Quand l’émotion est là, le public et les artistes sont ravis. C’est ma plus belle récompense, et ma plus grande responsabilité, car il s’agit de faire aussi bien l’année d’après…

Propos recueillis par Laurent Deburge

Visuel : Patrice Mondon, Jérôme Pillement et Philippe Tranchet.

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Laurent Deburge

2 thoughts on “« Traiter la musique classique comme le rock n’roll » Rencontre avec Philippe Tranchet, fondateur du Festival « Un Violon sur le Sable »”

Commentaire(s)

  • Il n’est pas de mots assez forts pour vous féliciter de votre remarquable réussite à faire venir autant de monde sur la plage malgré le temps incertain, elle tient à la qualité de votre programme et de votre accueil.
    J’espère un jour pouvoir accueillir autant de public, dans quelques années j’espère…
    Bravo, je parle beaucoup de vous…..

    June 20, 2012 at 11 h 23 min

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