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Michel Odent, l’homme qui respecte les femmes et les bébés

Michel Odent, l’homme qui respecte les femmes et les bébés

07 March 2012 | PAR Bérénice Clerc

Pour cette journée de la femme pré-présidentielle, nous nous sommes interrogées sur la façon dont la médecine gynécologique les considérait . Force est de constater que rares sont ceux et celles qui regardent leurs patientes dans leur ensemble et non comme un corps ponctionnable en ovocytes et avide d’hormones. Passons les étapes diverses, l’amour, la conception, la grossesse et posons la question : Quelles sont les pratiques courantes en France pour la venue au monde d’un nouvel être ? Portrait de Michel Odent, l’homme qui respecte les femmes et les bébés.

Depuis le 17e siècle et l’arrivée des hommes dans la gynécologie, les femmes semblent de moins en moins actives vis à vis de leur maternité. Il est naturel aujourd’hui de ne pas souffrir et de prendre la péridurale, une évidence d’être allongée, attachée, monitorée pendant le travail et les épisiotomies comme les ventouses, les forceps et la césarienne sont choses communes dans la plupart des accouchements sans parler des déclenchements et autres piqûres d’ocytocines. Du côté de l’enfant, à peine né il faut couper le cordon, le séparer de sa mère, le laver, le mesurer, l’aspirer avec des machines, lui faire rentrer des tuyaux par tous les trous, lui donner des vitamines chimiques et autres médicaments dans les yeux et si possible le faire dormir dans un berceau de plastique sous la lumière vive loin du corps chaud de sa mère en pouponnière pendant plusieurs jours afin que celle-ci « se repose »… Ces explications semblent excessives ou digne du cliché mais il s’agit de la réalité des accouchements dans la plupart des hôpitaux en France. Entre mythe sociétal, fausse bonne parole, croyance, lobby pharmaceutique et médical qui peut aider les femmes à rester actrice de leur corps et maitresse de leur accouchement ?

Un homme, Michel Odent, chirurgien obstétricien a choisi d’offrir sa science, de libérer son savoir et d’apprendre avec les femmes comment le miracle de la naissance pouvait avoir lieu de façon physiologique pour un accueil du bébé respectueux et gorgé d’amour afin de lui offrir les bases sereines d’une vie future libre.

Michel Odent met en lumière l’accouchement et ses profondes racines que l’on tend à oublier parfois.

Dans son livre « Votre bébé est le plus beau des mammifères », il revient souvent sur cette thèse. Il résume ses vingt-cinq années de recherche ainsi : « J’ai appris que les êtres humains sont des mammifères. Tous les mammifères se cachent, s’isolent pour mettre au monde leur progéniture. Ils ont besoin d’intimité. Il en est de même pour les êtres humains. Il faut constamment se référer à ce besoin d’intimité ».

Accoucher est un processus involontaire, la femme doit revenir à des instincts primitifs, revenir à des réflexes quasi animaux dans une ère où le contrôle règne, le rationnel, l’électronique, le maitrisé, le médicalisé, le numérisé, le quantifié, le scientifique, comment accepter de lâcher prise ?

Les Hommes sont des mammifères, cela semble globalement accepté mais nous n’aimons que très peu nous faire rappeler nos origines primitives. « Nous ne sommes pas des animaux! Nous appartenons à un milieu culturel! Nous avons conscience de notre statut de mortel….. ».

Pourtant, quand vient le temps d’accoucher, c’est à cette base que nous devrions revenir puiser des enseignements. Michel Odent insiste sur le fait qu’il faut redécouvrir ou découvrir nos racines animales parce que l’accouchement est d’abord le propre des mammifères. « Il existe depuis qu’un petit animal, il y a quelques deux cents millions d’années, s’est développé dans le ventre de sa mère avant d’être mis au monde », rappelle-t-il humblement.

Apprendre des animaux ne veut pas dire oublier la science, mais la mettre à sa juste place. Le médecin est absolument utile dans certaines situations, l’évolution médicale a sauvé des vies mais elle ne doit pas être omniprésente quand on sait que la plupart des accouchements se déroule à merveille sans intrusion.

Il est vain de vouloir aider activement une femme à accoucher.

Prenons l’exemple d’une grossesse menée à terme sans problème. Pour accoucher respectueusement une femme a besoin d’intimité, de peu de lumière, d’une température élevée et d’être libre de ses mouvements. Cela ne veut pas dire seule dans sa grotte mais dans une pièce accueillante avec un ballon, des tissus sur lesquels s’agripper, une piscine ou une baignoire, des huiles essentielles de la lumière tamisée…un espace pour créer sa bulle avec le second futur parent et à coté, en cas de besoin et pour une surveillance une sage femme et en cas d’urgence pourquoi pas un médecin. Dans de nombreux pays les femmes peuvent facilement accoucher accompagnées à domicile par une sage femme ou en maison de naissance si tout se passe bien et la position du bébé le permet en fin de grossesse.

Dès le début de sa grossesse à l’hôpital en France la femme enceinte est conditionnée par des vendeurs de péridurale, les anesthésistes. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause l’existence de la péridurale ou de juger les femmes qui décident de la prendre mais dans la plupart des cas, les femmes ne sont pas informées, leur savoir se résume à avoir mal ou ne pas avoir mal et en effet dans ces conditions, la peur de la douleur et les mythes sur l’accouchement font choisir cette option sans hésitation.

Un accouchement respectueux se prépare toute la grossesse, la péridurale n’est pas une obligation et a des effets secondaires pour la mère comme pour le bébé qui en entrainent ensuite d’autres…

La douleur s’apprivoise, s’accueille, elle est en réalité de courte durée quand le choix de la position est possible et nécessaire à la venue au monde de l’enfant, un passage, un gouffre ouvert sur cette nouvelle aventure qu’est la vie. Certaines femmes y prendront même du plaisir et la rencontre avec son enfant avec ou sans péridurale n’est pas la même. Impossible de prédire la durée d’un accouchement mais plus il est physiologique plus il est rapide et laisse des souvenirs d’une magie incroyable à en lire les récits du livre “Intimes naissances” par exemple.

« Quand le conjoint donne l’impression de partager les émotions, de quitter le monde en même temps que sa femme, il est possible que l’accouchement ne soit pas très long. Le pronostic est fort différent lorsque l’homme s’installe en face de sa femme et cherche à la regarder dans les yeux. C’est comme si, alors que sa femme est prête à changer d’état de conscience, l’homme lui disait « Reste avec moi ». Même chose quand le conjoint s’installe en face de sa femme dans une position d’observateur et de contrôle, prêt à suggérer telle ou telle position. La situation devient caricaturale lorsque plusieurs personnes, peut-être munies d’une caméra, se comportent en observateurs de la scène. ».

A l’hôpital les lumières sont fortes, les bruits sont permanents, la femme est attachée au lit par le monitoring, les touchés vaginaux sont nombreux, plusieurs personnes sont présentes et décident à la place de la femme quand elle doit pousser. Inutile de préciser qu’accoucher allongée sur le dos est une hérésie, cela ralentit le travail, cela renforce les douleurs, la peur entrainant elle-même des douleurs, le cercle vicieux position allongée, interminable temps de travail, perfusions d’ocytocines, péridurale, épisiotomie, forceps ou ventouses voir césarienne est enclenché.

Pour mémoire, une épisiotomie n’a de raison d’être que lorsque le bébé est en souffrance, hors dans de nombreux cas les femmes se retrouvent mutilées pour rendre plus rapide un accouchement ou pour facturer un nouvel acte…

Mutilation est le mot juste, de nombreuses femmes souffrent de cette déchirure dans leur corps, peine à s’asseoir et ne retrouvent pas facilement une sexualité harmonieuse à cause de ce périnée coupé et recousu. Si vous avez subi cet acte sans aucune raison valable, ne culpabilisez pas, la responsabilité est collective et non individuelle, les écoles d’infirmiers, de médecins, d’obstétriciens, de sage-femmes doivent se remettre en question, se demander pourquoi la France est un des derniers pays à systématiser cette pratique antique, barbare, mutilante, humiliante et handicapante pour les jeunes mamans ? 75% en France pour les premiers accouchements, en Suède seulement 6% et l’OMS recommande de ne pas dépasser les 10%…

Un accouchement respectueux dans lequel la femme est active entraine de fait une rencontre acceptable avec ce nouveau monde pour le bébé. Il a parcouru un long chemin, il a utilisé ses forces et celles de sa mère pour sortir de son ventre, inutile de couper le cordon avant d’attendre la fin de ses battements s’il n’empêche pas le bébé et la maman d’être à l’aise. Il en va de même pour les premiers nettoyages et autres aspirations ou dons de vitamines ou collyres quand ils ne sont pas nécessaires, idem pour les examens, ils peuvent attendre juste le temps d’une rencontre acceptable avec le sein de sa mère, les premières gouttes de colostrum absolument nécessaire à la santé du bébé et à l’attachement entre la mère et l’enfant.

L’ocytocine envoyée par le cerveau est à l’origine de attachement solide et fondamental, la libération de cette hormone est gigantesque au moment de la sortie du placenta, laissons les femmes vivre la puissance de l’amour, offrons aux bébés ces moments essentiels de peau à peau et de fusion. Comment est-il possible qu’une société accepte qu’une vie démarre sans amour ? Quels adultes pouvons-nous espérer ensuite ? La peur, l’insécurité ne devraient pas exister surtout pas comme première vision du monde. Le choix de l’allaitement et la possibilité de le réussir démarre aussi à ce moment là, ces instants sont miraculeux et doivent le rester et ensuite la femme doit être soutenue pour qu’un allaitement soit durable, en toute confiance loin des clichés véhiculés hélas souvent par d’autres femmes victimes d’un allaitement raté. Si une femme choisit le biberon cela doit être un choix respectable et non une conséquence de non respect à divers moments clefs ou de désinformations ou incultures de certains médecins ou fabricants de laits artificiels.

Les femmes sont libres aujourd’hui de choisir d’avoir un enfant, elle doivent rester libres pour le reste du processus, habiter leur corps, avoir le choix d’attendre un bébé autrement, d’accoucher autrement et d’élever un enfant autrement dans le respect, l’ouverture, la connaissance, intérêt pour les autres et le partage pour profiter du monde moderne et des hautes technologies à bonne escient.

Ainsi de générations en générations le monde continue d’exister, l’humanité demeure aux quatre coins de la planète et les peuples s’agrandissent. Cette fonction naturelle est souvent réduite aujourd’hui à du management, les femmes sont passives, le corps prit en charge dès leur plus jeune âge par le corps médical, les hommes laissés dans l’ignorance avant même de savoir ce qu’est réellement un cycle féminin, une grossesse et un accouchement. Les combats restent nombreux pour qu’à la fois, les hommes regardent les femmes comme des individus entiers et que les femmes refusent d’être oppressées par une médecine misogyne. Loin de la bataille menée avec beaucoup d’énergie pour un résultat contestable du retrait du mot “mademoiselle” des formulaires administratifs, le secteur gynécologique semble être le bastion de méthodes archaïques et intégrées qui sont aujourd’hui considérées comme “normales”. Certains hommes aident les femmes a être plus libres, Michel Odent est de ceux là.

A lire pour s’informer :

– Michel Odent : “Le bébé est un Mammifère”, “Le fermier et l’accoucheur”, “Histoire de naissance”, “l’amour scientifié”, “naître et renaître dans l’eau”.

– Collectif d’auteurs : “Intimes naissances”.

– Catherine Piraud-Rouet, Emanuelle Sampers-Gendre : “Attendre Bébé autrement”.

– La leche league : “L’art de l’allaitement maternel”.

– Isabelle Brabant : “Vivre sa grossesse et son accouchement, une naissance heureuse”.

Extrait : “Le concept du Continuum” de Jean Liedloff, une femme qui respecte les bébés :

[…]Dans les cliniques d’accouchement du monde occidental, il n’y a guère d’espoir de se faire consoler par les louves. Le nouveau-né qui réclame par tous les pores de sa peau le contact originel avec un corps doux et mou qui irradie la chaleur est enveloppé dans un lange sans vie. Il peut crier aussi fort qu’il veut, on le met dans une boîte où il est abandonné à un vide torturant et où il n’y a aucun mouvement (pour la première fois depuis l’origine de son existence physique , depuis des millions d’années de son évolution ou de sa félicité éternelle dans l’utérus). Le seul bruit qu’il puisse percevoir, ce sont les hurlements d’autres victimes qui souffrent les mêmes indicibles tortures infernales. Ce bruit ne peut rien signifier pour lui. Il hurle et hurle tant qu’il peut ; ses poumons qui ne sont pas habitués à l’air s’épuisent sous le poids de ce cœur désespéré. Personne ne vient. Comme, de par sa nature, il croit que la vie est juste, il fait la seule chose qu’il puise faire : il continue de hurler. A la fin il s’endort, à bout de forces – toute une vie plus tard, hors du temps. Il s’éveille dans l’angoisse inconsciente du silence, de l’immobilité. Il pleure. Il brûle de besoins de la tête aux pieds, de désir, d’impatience insupportable. Il ouvre la bouche pour respirer et hurle, jusqu’à ce que le bruit remplisse son crâne, qu’il soit prêt à éclater. Il crie jusqu’à ce que la poitrine lui fasse mal, que sa gorge soit en feu. Il ne peut plus supporter la douleur ; ses sanglots s’affaiblissent puis s’arrêtent. Il écoute. Il ouvre et ferme les poings. Il tourne la tête d’un côté puis de l’autre. Rien n’y fait. C’est insupportable. Il recommence à hurler, mais sa gorge est trop fatiguée ; bientôt il s’arrête à nouveau. Il raidit son petit corps torturé de dé&sir et il perçoit un soupçon de soulagement. Il remue les mains et gigote. Il s’arrête, capable de souffrir, mais incapable de penser, incapable d’espérer. Il écoute. Puis il se rendort. Brusquement on le soulève ; l’attente de ce à quoi il devrait avoir droit se manifeste à nouveau. On enlève le lange mouillé. Soulagement. Des mains vivantes touchent sa peau. On le soulève par les pieds et on remet entre ses cuisses un autre morceau d’étoffe sec comme du caillou et inerte. Immédiatement, c’est encore comme s’il n’y avait jamais eu ces mains, ni le lange mouillé. Il n’y a pas de souvenir conscient, pas trace d’espoir. Le bébé se trouve dans un vide insupportable, hors du temps, dans l’immobilité et le silence, plein de désir infini et inassouvi. Son continuum essaie les mesures de sécurité, mais elles sont toutes uniquement propres à pallier de petites défaillances dans un traitement par ailleurs adéquat, ou bien demander un soulagement à quelqu’un dont on présume qu’il l’apportera. Pour le cas extrême qui se présente, le continuum n’a pas de solution. La situation dépasse son expérience pourtant immense.
Depuis quelques heures à peine qu’il respire, le bébé a déjà atteint par rapport à sa nature un degré d’aliénation dont même son puissant système de sécurité ne peut plus le sauver. Le séjour dans la matrice maternelle a été selon toute vraisemblance le dernier dans cette atmosphère de bien-être ininterrompu où, selon l’attente qui lui est innée, il aurait dû passer toute sa vie.
Toute sa nature se fonde sur l’idée que la mère se comporte de façon adéquate et que les motivations et les actes qui en résultent d’une part comme de l’autre seront tout naturellement dans un rapport de réciprocité qui les servira l’un comme l’autre. Quelqu’un vient et le soulève délicatement. Le bébé s’anime. On le prend certes trop timidement à son goût ; mais au moins il y a du mouvement. maintenant il se sent à la bonne place. Toute l’angoisse mortelle qu’il vient de traverser n’existe plus. Il est couché dans des bras qui l’entourent ; et bien que sa peau ne retire aucune impression de douceur du contact avec l’étoffe, rien qui annonce la proximité d’une chair vivante, les mains et la bouche lui disent que tout est normal. La joie de vivre, qui est l’état normal du continuum est presque parfaite. Il y a le goût et la structure du sein, le lait chaud coule dans sa bouche avide, il y a ce battement de cœur qui aurait dû être la liaison, garantir le lien avec le corps maternel, ses yeux qui y voient à peine perçoivent un mouvement. Le ton de voix aussi est bon. Il n’y a que l’étoffe et l’odeur (sa mère met de l’eau de Cologne) qui font qu’il manque quelque chose. Il tête et quand il se sent rose et repu, il tombe dans la somnolence.
Au réveil, il est de nouveau dans l’enfer. Pas de souvenir, pas d’espoir, pas de pensée qui puisse lui rappeler dans le dessert de son purgatoire le réconfort de la visite auprès de sa mère. des heures passent, et des nuits, et des jours. Il pleure, il se fatigue, il s’endort. Il s’éveille et mouille ses couches. Maintenant il n’en éprouve plus aucun bien-être. A peine ses organes internes lui ont-ils communiqué le plaisir du soulagement que celui-ci est à nouveau supplanté par une douleur croissante quand l’urine chaude et acide attaque son corps déjà irrité. Il hurle. Ses poumons épuisés ont besoin de hurler pour couvrir cette brûlure aiguë. Il hurle jusqu’à ce que la douleur et les hurlements l’épuisent, avant qu’il s’endorme à nouveau. dans sa clinique qui ne constitue en rien une exception, les infirmières qui ont beaucoup de travail changent les langes à heures fixes qu’ils soient encore secs, humides ou complètement trempés ; et les enfants ont le corps tout irrité quand elles les renvoient à la maison où il y aura quelqu’un qui aura le temps de faire ce genre de choses et qui les guérira. Lorsqu’on l’emmène à la maison de sa mère (on ne peut guère dire que ce soit chez lui), il est déjà tout à fait au courant de la nature de l’existence. A un niveau préconscient qui déterminera toutes ses impressions ultérieures de la même manière qu’il sera réciproquement marqué par elles, il sait que la vie est indiciblement solitaire, sans réaction à aucun des signaux qu’il peut émettre et pleine de souffrance. Mais il n’y a pas encore renoncé. tant qu’il y aura de la vie en lui, les forces de son continuum essaieront toujours de retrouver leur équilibre. la maison ne se différencie guère de la clinique d’accouchement, si ce n’est pour l’irritation de la peau. les heures où il est éveillé, l’enfant les passe dans la nostalgie, le désir et l’inlassable attente de l’état « adéquat » qui selon le continuum devrait remplacer le vide et le silence. Pendant quelques minutes par jour son désir est satisfait et ce besoin de contact, ce besoin qu’on le porte et qu’on le promène, ce besoin effroyable qui le démange constamment est comblé. Sa mère fait partie de celles qui, après bien des élucubrations, se sont décidées à autoriser à l’enfant l’accès à leur sein. Elle aime d’une tendresse encore jamais connue. Au début, elle a de la peine à le recoucher après la tétée, surtout parce qu’il hurle si désespérément. mais elle est persuadée de devoir le faire car sa propre mère lui a dit (et elle est bien placée pour le savoir) que plus tard il serait mal éduqué et lui ferait des difficultés si elle lui cédait maintenant. Elle veut tout faire comme il faut ; et pendant un instant elle sent que la petite vie qu’elle tient dans ses bras importe plus que tout au monde. Elle soupire et le repose tout doucement dans son berceau capitonné de tissu avec des petits canards jaunes, assorti à toute la pièce. Elle s’est donné beaucoup de mal pour mettre des rideaux en coton, un tapis en forme de panda géant, une table de toilette blanche, une baignoire et une table à langer. Il fallait aussi du talc, du savon, de la crème, du shampooing et une brosse à cheveux – le tout dans des tons de bébé.
Au mur, il y a des images de bébés animaux habillés en hommes. La commode est pleine de petites chemises, de barboteuses, de petits chaussons, de petits bonnets, de gants et de langes. Dans l’angle sur le dessus il y a un mouton en laine et un vase de fleurs – des fleurs que l’on a coupées, parce que la maman « aime » aussi les fleurs. Elle tire sur les bords de la petite brassière et couvre le bébé d’un drap brodé et d’une couverture qui porte ses initiales. Elle la regarde avec une certaine satisfaction. On n’a rien négligé pour que l’aménagement de la chambre du bébé soit parfait, même si par ailleurs le jeune couple ne peut pas encore s’acheter tous les meubles qui sont prévus pour les autres pièces. Elle se penche sur l’enfant et dépose un baiser sur cette joue soyeuse ; puis elle se dirige vers la porte alors que le premier hurlement de torture lui transperce le corps. Elle ferme tout doucement la porte. Elle lui a déclaré la guerre. Il faut que sa volonté l’emporte. A travers la porte elle entend des cris, comme si l’on torturait quelqu’un.
Son continuum les identifie en tant que tels. La nature ne donne pas de signe sans équivoque voulant dire que l’on torture quelqu’un quand ce n’est pas vraiment le cas. Elle hésite. Son cœur se sent attiré vers lui, mais elle résiste et s’en va. Elle vient juste de le changer et de lui donner à téter. Elle est donc sûre qu’en réalité il ne lui manque rien, et elle laisse pleurer jusqu’à épuisement. Il s’éveille et se remet à hurler. Sa mère jette furtivement un coup d’œil par la porte pour s’assurer qu’il est couché comme il faut : tout doucement encore, pour que l’attention qu’elle lui manifeste n’éveille pas de faux espoir, elle referme la porte. Elle se précipite dans la cuisine pour faire son travail, elle laisse la porte de la cuisine ouverte pour entendre le bébé « si jamais il lui arrivait quelque chose ». Les hurlements de bébé se changent en plaintes chevrotantes. Comme personne ne répond, le mécanisme qui active ses signaux se perd dans la confusion du vide sans vie, alors que le réconfort aurait dû venir depuis longtemps. Il regarde autour de lui. Au-delà des barreaux immobiles et le mur. Il perçoit des bruits qui n’ont aucun sens, provenant d’un monde lointain. Près de lui, tut est calme. Il regarde le mur, jusqu’à ce que ses yeux se ferment. Lorsqu’il les rouvre, plus tard, les barreaux et le mur sont toujours exactement pareils, mais la lumière est encore plus triste.[…]

Visuel : Michel Odent (c) La source en soi

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Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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