Livres

Stéphanie Janicot, Dans la tête de Shéhérazade

23 September 2010 | PAR Yaël Hirsch

Après « Le privilège des rêveurs » et dernièrement « Cent romans de première urgence pour (presque) tout soigner », Stéphanie Janicot signe un roman sur une jeune femme d’origine marocaine à l’assaut des plus hautes sphères scolaires et médiatiques françaises. Toujours chez Albin Michel. Sortie le 21 août 2008.

Shéhérazade ou « Sha », la trentaine avenante, est une présentatrice de télévision reconnue. Fille unique d’un émigré marocain tenant un bar dans le 5e arrondissement, elle n’a pas eu un parcours facile. C’est en seconde que sa vie a basculé : entrée en section internationale arabe à Louis Le Grand, elle s’est retrouvée projetée dans la course scolaire de la méritocratie française, aux côtés d’ados bien plus cultivés qu’elle et pour qui elle a développé une fascination. Parmi eux, un couple improbable : Sophie aussi laide que vive derrière son appareil dentaire et ses lunettes à triple foyer, et Aubin, bel éphèbe gay, aussi brillant que Sophie. Sous leur influence, et celle d’une de leurs amis, elle découvre les grands classiques littéraires français, la musique de Fauré, et toute la complexité de l’amitié. Elle s’éloigne aussi de ses cousins et cousines qui sont nombreux et entassés dans un appartement à Saint-Denis, où son père et elle-même se rendent tous les dimanches les bras chargés de nourriture. La mort de son cousin le plus proche, et celle de la mère de Sophie marquent une rupture dans la vie de la jeune fille qui s’éloigne de ses amis pour choisir une Première S et un parcours couronné de succès. Après Sciences-po, elle a commencé par lire des contes à la télé, avant de commencer une émission psychologique « Ô nuit », sorte de talk-show psychologique à mi-chemin « Ca se discute » et « Bas les masques ». Quand son amant, qui travaille avec elle à la rédaction, lui suggère de réaliser une émission sur les « rêves d’adolescence », son année de seconde lui revient en mémoire et elle se met à rechercher ses deux amis du collège Louis Le Grand pour les faire parler sur son plateau.

Personnage volontaire, dur, et un peu vide parfois, Shéhérazade est une narratrice difficile à suivre avec empathie tout au long du roman. Pour l’auteure aussi, « Sha » semble difficile à suivre d’une seule voix. Tour à tour femme fatale, amoureuse, puis plus, petite fille pleine de vie, adolescente en deuil, et jeune-fille envieuse, elle change de caractère – et donc de style comme un ciel nuageux-. Oscillant entre la fierté légitime d’être parvenue sur la couv’ des magazines français, et l’impression d’avoir poursuivi une chimère, elle est déroutante et dérangeante. Stéphanie Janicot a eu la bonne idée d’ « inventer » une classe internationale de langue arabe à Louis Le Grand pour son héroïne. Ce qui explique habilement l’irrésistible ascension de Shéhérazade Halshani. Mais a-t-elle vraiment moins de chances de réussir parce qu’elle s’appelle Shéhérazade, alors que son père tient un commerce coquet près du Panthéon, la couve d’amour et d’attention, et refuse de la marier comme ses cousines à un vieil homme d’affaires marocain ? Toute adolescente de famille de culture moyenne, quelle que soit son origine, se serait probablement confrontée aux mêmes problèmes que Shéhérazade. Finalement sa fameuse « différence » n’est peut-être qu’un prétexte, une excuse pour avoir choisi de convoiter ce qui brille : la célébrité. Le roman ne serait pas alors une fable sur l’identité beur et l’ascenseur social mais plutôt l’histoire d’une fille intelligente qui ne sait plus ce qu’elle veut à l’orée de la trentaine. Et qui sort de la pose hiératique qu’elle avait prise pour retrouver le goût d’une vie vraie, mouvementée, et surtout hors champ. Que « Sha » ait grandi dans un foyer monoparental, de petite bourgeoisie française, avec un père immigré, la rend finalement proche de tout à chacun(e). Ses désirs de gloire et ses histoires d’amitiés au collège sont aussi les nôtres.

Stéphanie Janicot, « Dans la tête de Shéhérazade », Albin Michel, 19,50 euros.

« J’accomplis, je réalise, je parais, j’écoute. N’ai-je jamais fait autre chose dans cette vie qu’écouter […] J’acquièce, je vous fais parler, c’est mon métier. Vous écouter. Vous me faites confiance, je vous accueille sans porter de jugement. Comment pouvez-vous oublier les caméras braquées sur vous, guettant vos expressions, vos larmes, cet œil multiforme qui pénéètre au fond de votre âme ? Moi je ne l’oublie jamais. Je suis un corps en représentation ». p. 14-15.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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