Polars
“Les Ombres de Katyn”, de Philip Kerr : heures sombres pour le capitaine Gunther

“Les Ombres de Katyn”, de Philip Kerr : heures sombres pour le capitaine Gunther

10 May 2015 | PAR Audrey Chaix

En mars 1943, juste après la défaite de Stalingrad, le régime nazi est sur la défensive : le moral du pays est au plus bas, il faut regagner sa confiance et son engagement à la cause hitlérienne. C’est à ce moment-là qu’un immense charnier est découvert dans la forêt de Katyn, un trou paumé du côté de Smolensk, en Pologne, près de la frontière biélorusse. Une fosse commune contenant pas moins de 4 000 corps, que l’on soupçonne être ceux d’officiers polonais. Ont-ils été assassinés par l’Armée rouge ? Une occasion en or pour Joseph Goebbels et le IIIe Reich, qui voient là un moyen idéal pour discréditer encore plus l’ennemi soviétique et remonter le moral des troupes. Il envoie donc le capitaine Bernard Gunther, réputé pour sa neutralité, enquêter sur place. Sauf qu’évidemment, Gunther va déterrer de bien plus sales secrets dans l’ombre de la forêt de Katyn …

les-ombres-de-katynLes Ombres de Katyn est la neuvième enquête de Bernhard Gunther proposée par l’écrivain écossais Philip Kerr, et son intrigue se déroule en pleine Seconde guerre mondiale. On retrouve avec plaisir le capitaine Bernie Gunther, toujours aussi anti-nazi, mais toujours aussi pragmatique : ne pas approuver le système est sa ligne de conduite, et surtout, ne pas se le mettre à dos, car il en connaît les conséquences. Envoyé en Pologne par Goebbels en personne pour résoudre l’énigme du massacre de la forêt de Katyn, Gunther ne s’est entre temps pas départi de son sens de l’humour et de ses reparties dignes d’un inspecteur de l’Amérique des années 1930. Seulement, les piques incisives de Gunther le sont moins qu’avant, le personnage a mûri, s’est assombri alors que la guerre ravage peu à peu l’Allemagne.

Kerr a ici la bonne idée de partir d’un fait historique avéré : le massacre de Katyn a bien eu lieu pendant la guerre, perpétré par l’Armée rouge. Les bons historiens sauront donc déjà, en commençant le roman, que l’enquête de Gunther le mènera à cette conclusion. Et c’est bien le chemin pour y arriver, plus que le résultat de l’enquête, qui occupe ici Kerr et son lecteur : l’atmosphère irréelle de Smolensk sous occupation allemande, la puanteur des corps déterrés un à un dans la forêt alors que le printemps amorce le début du dégel et que les odeurs nauséabondes remontent des profondeurs du sol… Les cadavres ne trichent pas, et Kerr non plus : c’est avec beaucoup de réalisme qu’il recrée l’ambiance de cette opération peu ragoûtante.

L’autre aspect très intéressant des Ombres de Katyn, c’est la multiplication des tentatives d’attentat contre Hitler. En 1943, après la débâcle de Stalingrad, les opposants au régime nazi commencent à trouver le temps long sur la coupe hitlérienne, et certains, notamment les nobles allemands issus de grandes familles prussiennes, réfléchissent à débarrasser le pays du petit caporal. Face à la propagande de Goebbels, cet aspect du roman offre un contrepoint intéressant, notamment parce que les motivations des comploteurs n’ont pas grand chose à voir avec les raisons que l’on aurait, aujourd’hui, de vouloir tuer Hitler…

Seul bémol à ces Ombres de Katyn : une intrigue et des personnages foisonnants la rendent parfois difficile à suivre. Le travail de documentation et de recherche historique de Philip Kerr est remarquable, et il faut lui rendre justice. Cependant, un lecteur peu au fait des spécificités de cette période précise, et de ces aspects de la Seconde guerre mondiale, aura sans doute un peu de mal à se plonger dans l’intrigue. Qu’il persiste, car le jeu en vaut la chandelle.

Les Ombres de Katyn, de Philip Kerr. Traduit de l’anglais par Philippe Bonnet. Éditions JC Lattès Le Masque. Paru en mars 2015. 450 p. Prix : 22,90 €.

“La Partie de chasse” d’Isabel Colegate : so british !
“La Vérité à propos d’Alice” : Katherine Webb joue avec les codes du roman victorien chez Belfond
Avatar photo
Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration