Poésie
Burroughs a 100ans

Burroughs a 100ans

21 March 2014 | PAR Eugenie Belier

Le 5 février dernier l’écrivain beatnik et icône William S. Burroughs aurait soufflé sa centième bougie, l’occasion de revenir sur son oeuvre révolutionnaire et sur son influence dans les différents domaines de l’art contemporain.

Dinosaurs   by William S. Burroughs   YouTube

William S. Burroughsune plume géniale et novatrice mais aussi une figure mythique de la culture (populaire) underground. A la tête de la beat generation avec ses compères de débauche et d’expérience les prodigieux Ginsberg et Kerouac, il s’imposera comme un véritable emblème de l’underground toute la seconde partie du XXe siècle.

Burroughs est un personnage fascinant et influent sur plusieurs facettes. Tout d’abord il incarne, avec ses amis, les prémisses de la liberté sexuelle, par son mode de vie, mais aussi et surtout dans ses écrits où il illustre sans tabou ses ébats homosexuels. Bien avant la génération soixante-huitarde en effet, les beatniks vivaient librement et ouvertement l’homosexualité, la bisexualité ou encore le libertinage au sein d’une communauté.

Burroughs est avant tout un grand maître pour la littérature contemporaine américaine, révolutionnaire de l’écriture il mit au point des techniques de production qui firent évoluer radicalement la composition notamment en poésie : le cut-up et la routine.
Sa production bouleversa tant la structure logique du langage et la réflexion philosophico-esthétique qui l’en accompagne que la morale bienpensante américaine.

Mais William Burroughs est aussi à l’origine de “l’esthétique junkie”, qu’il incarne et préfigure dès la fin des années 40, et dont il deviendra l’emblème officiel dans les années 80. Son addiction destructrice hante l’ensemble de son œuvre et de sa production, elle est l’origine même de sa création. Il sera héroïnomane pendant plus de 30 ans avant d’entrer en cure et de se sevrer en 1980. Le rapport à la drogue, l’addiction, l’angoisse, l’hallucination et les effets psychotiques du drogué sont la base de tout son propos. Ses textes veulent illustrer les pensées et l’esprit sous narcotique, ils dépassent la frontière bornée du réel et enfoncent les portes de la perception.

William S. Burroughs est un mythe car s’il n’a pas marqué profondément sa génération comme le firent ses camarades, il  étala son influence bien plus loin dans le temps en exerçant une domination pendant toute la seconde partie du XXème siècle et une forte ascendance sur l’art actuel.

Tournant dramatique et créatif

En 1946 il épouse Joan Vollmer, figure féminine emblématique du mouvement, érudite et passionnée de littérature et de philosophie, mais aussi de drogues dures et d’hallucinogènes en tout genre. Ils vivent ensemble une relation houleuse et passionnelle, rythmée par de nombreux abus, les aventures extra conjugales homosexuelles de Burroughs, une vie sexuelle du couple mouvementée et intense, et une fuite constante pour vivre leur amour et leurs excès de consommation en tout genre à l’abri. C’est au Mexique en 1951 que Burroughs tue sa femme d’une balle dans la tête. Ivre, il voulu jouer à Guillaume Tell et viser un récipient d’eau placé sur son crâne, mais il manqua sa cible et tua son épouse.
On lui retire la garde de leurs enfants (un seul de lui), commence alors le début d’une longue errance entre l’Amérique Latine, Tanger, Paris et Londres. Vagabondage et vie de nomade qui dura jusqu’à sa désintoxication en 1980 qui signa son retour définitif aux Etats-Unis où il s’installa à Lawrence avec son compagnon et restera jusqu’à la fin de sa vie.

William S. Burroughs  A Man Within  Subtítulos Español   1 6    YouTube

Le meurtre accidentel de Joan lui révélera sa vocation d’écrivain. Il avait déjà coécrit un roman avec Kerouac en 45, suite au meurtre de  David Kammerer par leur ami et camarade beatnik Lucien Carr (bataille à coup de couteau ivre) : Et les Hippopotames ont bouilli vifs dans leurs piscines, qu’ils ne réussirent pas à publier à l’époque et qui ne sortit qu’en 2008 chez Penguin Books.

Queer fût le premier livre qu’entreprit Burroughs à l’époque bien qu’il ne le publia qu’en 1985 et qu’ainsi Junkie (1953) apparaît comme son premier roman. Il chargea avec le recul Queer d’une sombre confession :
I am forced to the appalling conclusion that I would never have become a writer but for Joan’s death, and to a realization of the extent to which this event has motivated and formulated my writing. I live with the constant threat of possession, and a constant need to escape from possession, from control. So the death of Joan brought me in contact with the invader, the Ugly Spirit, and maneuvered me into a life long struggle, in which I have had no choice except to write my way out” 

Le meurtre de sa femme comme élément déclencheur dans son écriture accentue le mythe de cet écrivain complexe et perturbé.

Une écriture innovante sous le joug de la drogue

Son écriture s’avéra tout aussi déroutante que lui, tant sur le fond que sur la forme. Toujours centré autour de l’addiction, du rapport à la drogue à l’état d’esprit et les psychoses du Junky, sa lecture est difficile et sinueuse mais d’une richesse incomparable.
Burroughs veut exploser les limites du langage, voilà pourquoi il invente et utilise le cut up, méthode qu’il utilisa pour recomposer et décomposer ses propres textes et créer Le Festin Nu son roman le plus célèbre. Véritable chef d’oeuvre de la littérature contemporaine. Le cut-up consiste, comme son nom l’indique, à utiliser des mots (les couper) ou des propositions d’un texte pré existant (articles de journaux, publicité, œuvres littéraires, qu’importe!) et les recoller. Le sens découle alors de la forme et s’impose à travers elle. Nous ne sommes pas pour autant dans du plagiat mais dans la réécriture sans réécrire, en transposant en découpant. Une méthode proche des contraintes surréalistes, et qui influença toute la poésie contemporaine qui suivit.
C’est à Paris, dans la chambre du 9 rue Git le coeur du quartier latin qu’il composa, décomposa, enfin qu’il créa l’oeuvre magistrale qu’est le festin nu. Sans queue ni tête, ce roman semble être la parfaite illustration de sa pensée riche, hallucinée et éparpillée de drogué confus et brillant qu’il était :
“There is only one thing a writer can write about: what is in front of his senses at the moment of writing… I am a recording instrument… I do not presume to impose “story” “plot” “continuity”… Insofar as I succeed in Direct recording of certain areas of psychic process I may have limited function… I am not an entertainer.”.

Publié en France (1959), il fut pendant plus de dix ans censuré aux Etats-Unis pour “obscénité” subissant le même sort que Tropique du Cancer de Henry Miller.

William S. Burroughs Commisioner of Sewers 1991  full documentary    YouTube

Une icône aux multiples ascendances 

L’influence de Burroughs est bien plus que littéraire, sa personnalité et sa marginalité ont fait de lui une véritable icône rock. Il prêta sa voix et ses textes pour de nombreuses collaborations dans la dernière partie de sa vie.

Pour n’en citer que quelques- unes (et d’après une sélection subjective): on peut déjà l’entendre à la fin du morceau Long Song For Zelda de l’album de rock hexagonal mythique, progressif et poétique, Obsolète de Dashiell Hedayat (aka Jacques Alain Léger, ou Melmoth pour les plus érudits). Il collabore aussi  avec Tom Waits et Bob Wilson pour The Black Rideron notera notamment le texte de la chanson Crossroads
The more of them magics you use, the more bad days you have without them
So it comes down finally to all your days being bad without the bullets
It’s magics or nothing”

Une super collaboration avec Iggy Pop  et un morceau magnifique et complètement déjanté avec Kurt Cobain (ces deux rockeurs ayant en commun d’être eux mêmes des junkies) : The Priest : They Called HimSur lequel Burroughs lit la courte histoire d’un héroïnomane le jour de Noêl, pendant que Kurt Cobain rythme ses paroles d’une guitare hurlante improvisant et traînant sur les notes de “Douce nuit”. Une performance unique en son genre, très intense et chargée poétiquement, remarquable, à écouter absolument si elle vous est inconnue.

Bref, pour conclure William Burroughs est un écrivain, un junkie, un génie, un artiste, un poète, un meurtrier, un vagabond, un fou peut-être et certainement, qui a révolutionné la littérature, l’esthétique, et a influencé la pensée underground, la société et les mœurs, la littérature, la poésie et la musique du XXe siècle. Un  grand homme qu’il semble difficile d’oublier.

Pour conclure regardons un extrait de Drugstore Cowboy de Gus Van Sant, dans lequel Burroughs joue un prêtre ex junkie. Peu surprenant mais efficace :

[Live report] Inauguration du 34ème Salon du Livre de Paris
“All power to the people !” de Mohamed Rouabhi
Eugenie Belier

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