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« Oublier mon père », émouvant roman de Manu Causse

« Oublier mon père », émouvant roman de Manu Causse

29 August 2018 | PAR Jérôme Avenas

Publié par les Éditions Denoël, « Oublier mon père » de Manu Causse aborde avec beaucoup de délicatesse le sujet de l’identité masculine à travers l’histoire d’Alexandre Alary, photographe à la recherche de son père.

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Il faut le dire d’emblée, le livre de Manu Causse, même s’il se situe volontiers dans la veine du roman psychologique, n’est pas un essai de psychanalyse qui traiterait de l’image du père dans « le développement de la psyché masculine ». Il n’y a aucun effort de démonstration, pas de dogmatisme, pas de programme bien heureusement. Pour aborder cette question, l’écrivain utilise les outils du romancier. Une petite phrase sur la quatrième de couverture insiste même sur le caractère fictionnel du livre  : « [Manu Causse] s’entend très bien avec sa mère ».
Dès les premières pages, on comprend l’importance de l’avertissement : la mère d’Alexandre Alary, le personnage du roman, est tout sauf le modèle de douceur que les stéréotypes sur le genre véhiculent depuis des milliers d’années. C’est là, également, tout l’intérêt du livre : montrer un autre possible, ouvrir une voie. Le personnage de la mère maltraitante n’est pas une nouveauté en soi, bien entendu et Folcoche n’est jamais loin, mais la dynamique toxique entre le père et la mère, la radicalité de l’effacement de l’un des deux parents est absolument originale.
C’est finalement à travers l’idée d’une enfance privée d’amour, que Manu Causse examine ce qui fait un jour d’un garçon, un homme. Le roman alterne des chapitres entre aujourd’hui en Suède, et hier en France. Aujourd’hui, Alexandre est à Dramsvik, il détaille avec soin un fonds d’archives photographiques. Hier, en France, il était un enfant maltraité par une mère qui a pris la décision d’effacer toutes les traces du père de son enfant après l’annonce de sa mort. Comment se construire auprès d’une mère hystérique, ordurière, violente, humiliante ?

« Ton père est mort, Alexandre. C’est triste, mais c’est comme ça. Pas la peine de chialotter. » L’injonction de ne pas pleurer, et donc de se comporter en homme, vient de sa mère, à plusieurs reprises dans le roman. Le père lui, sera respectueux de la personnalité de son fils avant de disparaître. C’est lorsque des stéréotypes sur le genre sont véhiculés qu’un trouble s’installe dans l’esprit de l’enfant et plus tard, de l’homme. Et peu importe que ces stéréotypes soient portés ou incarnés par le père ou la mère, le résultat est le même. C’est cela que raconte Manu Causse, avec beaucoup de délicatesse. Invité à une boum, Alexandre est séduit par la voix d’une chanteuse : « Dans un encadrement marqué d’éclairs orange, la photo d’une femme aux yeux bleus. Pour la première fois de ma vie, je tombe amoureux – radicalement, d’un seul coup. » C’est Boy George, c’est Culture Club. Alexandre devient le pédé aux yeux des autres. Toute sa vie, racontée sur plusieurs années dans les chapitres « français », le personnage sera aux prises avec ce qu’il est et ce qu’on attend de lui. À cet égard, la scène de son dépucelage fait froid dans le dos.
Les chapitres suédois sont l’antidote. C’est loin de la France que le père d’Alexandre avait choisi de vivre avant de mourir, c’est loin de la France de son enfance qu’Alexandre va se reconstruire.  Un autre environnement, une autre langue, une autre lumière. Cette lumière est fondamentale dans le livre. Captée sur le papier, Alexandre cherche avant tout l’image de son père à travers la lumière. Il devient photographe par loyauté au père absent mais aussi pour voir et donner à voir la vie et le monde à sa manière. Un très beau livre, émouvant sans jamais tomber dans le pathétique et très bien construit.

Manu Causse, Oublier mon père, Éditions Denoël, août 2018, 304 pages, 20€

Visuel :©Editions Denoël

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