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« Marcher droit, tourner en rond » d’Emmanuel Venet, sociopathologie de la norme

« Marcher droit, tourner en rond » d’Emmanuel Venet, sociopathologie de la norme

18 August 2016 | PAR Jérôme Avenas

Obsédé par le Scrabble et les récits de catastrophe aérienne, le narrateur du dernier roman d’Emmanuel Venet aux éditions Verdier est atteint du syndrome d’Asperger, forme minime d’autisme qui le pousse à dire la vérité toute nue sur tout et surtout sa famille. Un roman drôle et grinçant, où le sociopathe n’est pas celui qu’on croit.

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Monologue d’une centaine de pages, le nouveau roman d’Emmanuel Venet est aussi cruel qu’il est comique : « quand j’ai fait part à ma tante de ma surprise à la voir fréquenter autant de mythomanes et de malades mentaux, elle m’a répondu qu’elle me fréquentait bien, moi : preuve qu’elle me prend pour un psychotique au mépris des explications fournies par le professeur Urs Weiss soi-même, qui définit le syndrome d’Asperger comme un variant humain non pathologique voir avantageux, puisqu’il garantit, au prix d’une asociognosie parfois invalidante, une rectitude morale plutôt bienvenue dans notre époque de voyous ».

Incapable de se « plier à l’arbitraire des conventions sociales et d’admettre le caractère foncièrement relatif de l’honnêteté », c’est pendant les obsèques de sa grand-mère Marguerite que le narrateur s’emploie à démystifier les uns après les autres les mensonges prononcés au cours de l’éloge funèbre de son aïeule dont on a enjolivé la personnalité. Tout le monde finit par passer à la moulinette de la franchise. Il y a, au-delà de l’art du portrait au vitriole, une profondeur qui se dégage d’un style maîtrisé et d’un grand sens du rythme. En parallèle à l’évocation des membres de sa famille, le narrateur nous parle de ses déboires amoureux avec Sophie Sylvestre, ancienne camarade de classe à qui il n’osera jamais révéler son amour sinon des années après. L’honnêteté va toujours de pair avec la naïveté. C’est la fatalité du « sujet Asperger ». Dans un monde où l’usage du mensonge, aussi diplomatique soit-il, est le standard, Emmanuel Venet nous invite à nous interroger sur la définition de la normalité. Un livre revigorant.

Emmanuel Venet, Marcher droit, tourner en rond, Verdier, août 2016, 128 pages, 13€

visuel : couverture du livre

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