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« L’oubli » de Philippe Forest,  partition en blanc mineur

« L’oubli » de Philippe Forest, partition en blanc mineur

05 January 2018 | PAR Jérôme Avenas

Un nouveau livre de Philippe Forest est toujours un événement. Ce nouvel opus ne déçoit pas. Double recherche d’un mot manquant et d’une image dissoute, le souvenir et sa transcription sont en jeu dans « L’oubli », publié par les Éditions Gallimard. Un roman bouleversant.

[rating=5]

Au commencement, donc, était l’oubli. Un matin, un homme se rend compte qu’un mot lui manque. « Mais lequel, je ne sais pas. » Englouti par la nuit ? Perdu dans les histoires des autres ?  Tout au long du roman, un chapitre sur deux (les chapitres impairs) le lecteur va suivre la recherche de ce mot, mais aussi l’exploration de cet oubli, sa forme, ses causes, ses conséquences. Dans les chapitres pairs se joue une autre recherche, une autre histoire. À moins qu’elle ne soit la même puisqu’une « histoire prend toujours la place d’une autre ». Un homme, pensionnaire d’une chambre d’hôte perdue sur une île, veut percer le mystère du tableau au-dessus de son lit, tableau qui semble se modifier de jour en jour, épouser dans un effet de miroir, le paysage au-delà de la fenêtre. Moins dédoublement que fragmentation – être qui parle/être qui regarde – tout le livre est une recherche d’unité, de fusion peut-être. La construction binaire du livre rythme et structure la lecture. On attend le moment où image (souvenir) et parole (la transcription du souvenir) vont se réunir, le moment où les deux « histoires » vont se fondre en une seule, dans la plénitude qui est le vide enfin comblé : « Afin que l’opération menée à son terme m’apparaisse enfin, parmi toutes celles que j’aurais retrouvées, marquée par le blanc éblouissant qui en signalerait l’absence, l’image manquante – et avec elle : le mot lui correspondant – dont, depuis le commencement, j’étais en quête. »

Elle est là, la véritable recherche. Moins celle d’un temps perdu puis retrouvé, que celle d’un souvenir devenu fable. Il y a beaucoup de blanc typographique dans « L’oubli », beaucoup de silence. Cette couleur, qui est à la fois l’image du vide et toutes les couleurs puisqu’elle « les contient toutes », teinte le livre, saupoudre sa lumière vive sur un fond ténébreux. La complexité du monde se joue toujours dans les antithèses et les paradoxes, jusqu’à l’ultime, le plus cruel qui est aussi le plus doux : « Seul l’oubli conservait sauf le souvenir, le mettait à l’abri des mensonges dont la mémoire le menace lorsqu’elle métamorphose le passé en toutes petites histoires ». À la fois pour et contre la littérature, philtre maléfique et antidote, le livre écrit est l’unique solution mais aussi la pire.

Avec « Le chat de Schrödinger » (2013), Philippe Forest amorçait déjà un tournant. S’il écrit toujours depuis ce lieu très noir de la tragédie intime, il cherche à en rendre compte d’une autre manière. Cette nouvelle façon de rendre compte d’une réalité n’est pas moins bouleversante. On ne perd rien au change. Philippe Forest devenu écrivain il y a un peu plus de vingt ans continue de nous toucher, de nous relier les uns aux autres, parce que « chacun a ses fantômes », parce qu’il « manque quelqu’un à chacun ».

Philippe Forest, L’Oubli, Éditions Gallimard, janvier 2018, 240 pages, 19 €

 

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