La ligne de courtoisie, un Nicolas Fargues en demi-teinte
Après le bouleversant “Tu Verras” (P.O.L., 2011, prix France-culture- Télérama) où Nicolas Fargues entrait dans les douloureux questionnements d’un père qui vient de perdre son fils de onze ans, l’auteur revient à ses antihéros et leurs vieilles obsessions. Si les états d’âmes du narrateur-quadra sont toujours aussi bien décrits, “La ligne de courtoisie” manque de matière pour vraiment émouvoir. Sortie le 5 janvier chez P.O.L.
Avant de rendre les clés de son appartement parisien, et de partir au loin, en Inde, le narrateur décide de cuisiner un dernier repas de famille. Idée saugrenue pour un homme célibataire qui est auparavant une seule fois dans sa vie passé derrière les fourneaux afin d’impressionner une femme. Il invite donc son fils de 18 ans et son dictateur de petite amie, sa fille qui refuse de venir avec lui en Inde pour rester avec sa mère, son frère et sa petite amie cueillie à Mayotte, et la voisine de palier avec laquelle il s’envoie en l’air de temps en temps. Si le dîner se passe finalement assez calmement, il est l’occasion pour l’auteur d’ausculter chacune des répliques et de leurs intonations, chacun des regards, et chacun des non dits pour dresser le portrait juste mais détestable d’individus égoïstes qui ne savent même plus dialoguer.
Toujours très fin dans le déshabillage moral de personnages types, excellant bien sûr dans la mise à nu du quadragénaire un peu narcissique, mais pas très à l’aise dans cette guerre de chacun contre chacun qu’est la vie moderne, Nicolas Fargues a un don pour résumer certaines tensions banales en phrases-chocs Sur la belle-sœur du narrateur, qui aurait peut-être préféré séduire ce narrateur plutôt que son frère, Fargues écrit : “j’ai perçu dans le premier regard qu’elle a posé sur moi le choc, mettons du récent acquéreur d’un deux-pièces fonctionnel mais sans charme à qui l’on viendrait annoncer qu’à quelques rues de là, un atelier d’artiste deux fois plus vaste exposé plein ponant vient d’être proposé à la vente à prix d’ami”(p. 16-17). Question style, Fargues est donc au top de sa forme dans ce nouvel opus. C’est plutôt le sujet et la structure du livre qui posent problème, le fameux dîner de famille prenant à peu près la moitié de l’espace (ce qui est trop ou trop peu) et ouvrant ensuite vers les limbes d’une solitude indienne en pointillés. Pas d’angle précis, donc dans ce livre, qui demeure néanmoins fort plaisant à lire, pour sa franchise.
Nicolas Fargues, “La ligne de courtoisie”, P.O.L., 176 p. , 15 euros. Sortie le 5 janvier 2011.