Fictions
« Une chance folle » d’Anne Godard : s’accepter malgré un corps différent

« Une chance folle » d’Anne Godard : s’accepter malgré un corps différent

09 September 2017 | PAR Julien Coquet

Le deuxième roman d’Anne Godard est un enchantement tant par le style recherché que par la sensibilité de l’histoire, celle d’une jeune fille brûlée qui se demande comment accepter son corps.

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Magda ne se souvient pas de l’accident, pourtant, chaque jour, elle en voit les conséquences. Alors qu’elle n’avait quelques mois, l’attention de sa mère se relâche et le bébé qui ne peut s’empêcher de toucher à tout tire sur un fil, celui de la bouilloire : Magda est gravement brûlée. A partir de cet événement traumatisant, Anne Godard tisse un roman sur le rapport au corps : comment accepter ces larges brûlures et ces cicatrices ? Peut-on être aimé et désiré ? Les cures que Magda fait tous les ans servent-elles plus à réparer ses blessures ou à rassurer sa mère ?

Cette dernière interrogation est le second fil conducteur du récit. La culpabilité, l’auteur la met au centre, pour analyser de l’intérieur ce que pense Magda. A qui la faute ? Celle de sa mère, qui a relâché son attention pour ramasser des épingles ? Celle de son frère, qui avait fait tomber ses épingles ? Ou celle de son père, toujours absent de la vie familiale et qui préfère bien plus se consacrer à ses concerts d’orgue dans les églises que s’enquérir de la santé de sa fille ? La mère de Magda porte sur elle le fardeau de l’accident mais se trouve des excuses, comme le raconte sa fille : « D’ailleurs je n’étais pas seule en cause, c’était sa tante qui avait laissé pendre jusqu’au sol le fil trop long d’une bouilloire électrique et laissé sur une table basse un panier de couture, c’était mon frère qui avait renversé une boîte d’épingles par terre, mais pour toute la suite, c’était moi la fautive. »

La mère de Magda essayera donc au fil de ce court roman de racheter sa culpabilité, d’être une bonne mère, et, en cela, Magda aura vraiment une chance folle : « Ainsi en convenais-je, ma mère avait beaucoup souffert à me soigner et je devais lui savoir gré de tout ce temps passé auprès de moi ». C’est le microcosme familiale que scrute l’écrivain après une dizaine d’années d’absence de la scène littéraire : le père qui préfère ne pas se sentir concerné et le frère qui, face à père absent et à une mère obnubilée par sa fille, devient peut à peu jaloux. Une chance folle est un roman parfois douloureux mais profondément sensible dans le sujet qu’il explore.

A l’école, tant que mes pansements étaient visibles, on ne me permettait même pas d’aller m’asseoir sur un banc dehors, il y avait trop de bousculades, je restais dans la classe. Je pouvais lire, j’étais au chaud. J’avais encore de la chance, en somme. J’aurais dû être plus heureuse, me disais-je constamment, et je  m’en voulais de n’avoir pas d’entrain. Pourquoi vois-tu toujours le verre à moitié vide? me demandait ma mère. Mais je ne parvenais pas à voir quel avantage j’avais à être brûlée, sauf à me dire que j’aurais pu être encore plus abîmée. J’aurais pu être défigurée, j’aurais pû être clouée dans un fauteuil roulant avec un corps inerte comme celui d’une poupée. Cela aurait été plus simple, me disais-je quelquefois, et je rêvais cependant qu’un jour je rencontrerais quelqu’un pour qui rien de tout cela n’aurait compté. Mais qui pourrait jamais désirer ce corps brûlée?”

Une chance folle, Anne Godard, Les Editions de Minuit, 144 pages, 14 euros

Date de parution : 7 septembre 2017

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