Fictions
Le Pouvoir : le roman coup de poing de Naomi Alderman

Le Pouvoir : le roman coup de poing de Naomi Alderman

31 January 2018 | PAR Marine Stisi

Difficile de faire plus à propos. Naomi Alderman, romancière et conceptrice de jeux vidéo londonienne, publiait en 2016 Le Pouvoir, un roman puissant aujourd’hui publié chez Calmann Levy qui imaginait la fin de notre société patriarcale et le passage à une ère matriarcale. Si l’autrice n’imaginait sans doute pas ce que l’année 2017 allait signifier en matière de féminisme et de libération de la parole, il n’en reste pas moins que le roman ne pouvait mieux tomber. Le Pouvoir est un roman brutal, parfois cruel, un roman qui laisse, littéralement, le souffle coupé.

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Au début, on se demande. Que peut-il bien se cacher derrière ce rouge sang, cette couverture à la frontière des super-héros et des affiches de propagande de l’URSS ? On imagine un roman aux frontières de la science-fiction. Ce n’était pas tout à fait faux mais c’est, en réalité, bien plus que cela.

Que se passerait-il si, un beau matin, des jeunes filles du monde entier découvraient qu’elles contenaient en elles une force insoupçonnée due à une mutation génétique ? Entre leurs doigts, de l’électricité capable de renverser l’ordre patriarcal établi. Un pouvoir inédit que les plus jeunes peuvent éveiller chez leurs ainés et bientôt, toute la population féminine mondiale le possède et le travaille. Il devient la norme. Les hommes, tout à coup, commencent à avoir peur, à ne plus sortir seul le soir, à craindre de rencontrer des groupes de femmes dans la pénombre de la nuit.

C’est une révolution. Le monde est en train de changer. Et pour décrire ce changement, Naomi Alderman a décidé de s’attacher à des récits de parcours individuels. Il y a Roxie, fille d’une mère assassinée et d’une tête couronnée de la mafia ; Tunde, journaliste qui parcourt les zones à risques pour montrer aux mondes la révolution en marche grâce à son smartphone et son compte Youtube ; Allie, jeune fille balancée de foyer en foyer devenue prêtresse ; Margot, femme politique désireuse de vengeance et mère de Jocelyn, dont le pouvoir lui joue parfois des tours ; Tatiana, veuve d’un ancien président et désormais à la tête du Bessapara, première nation de femmes.

Le lecteur, en suivant l’évolution des personnages, guidé par un chronométrage à l’envers, comprend peu à peu ce qui est en train de se passer : le monde tel que nous le connaissons n’est pas seulement entrain de changer, il court à sa perte. Quand on referme le livre, on comprend ce qui vient de nous arriver. On vient de lire un livre d’histoire, le récit d’un cataclysme, le récit d’un déluge. En tant que femme, pourtant, j’en avais les mains glacées.

Car force est de constater que tenter d’échanger la place des hommes sur le haut du podium avec celle des femmes ne change pas grand-chose à l’affaire : les hommes (pas tous, évidemment, une certaine catégorie, les plus bêtes, peut-être, ou les plus cupides), désemparés, menacés dans leur virilité, répondent avec agressivité et n’hésite pas à avoir recours à l’horreur pour reprendre ce qui leur a été pris : le pouvoir. Mais certaines femmes, devenues tout à coup les maîtresses du monde, n’hésitent pas à avoir elles-mêmes recourt aux mêmes atrocités dont usaient les hommes avant elles : terreur, viols, meurtres.

Faut-il en déduire que c’est le pouvoir qui corrompt ? Que quel que soit le genre à la tête du monde, il oppressera les plus faibles ? Encouragée par Margaret Atwood, la reine en la matière, autrice du largement loué La Servante écarlate, Naomi Alderman offre un roman coup de poing. Un roman immensément intelligent, parfois choquant, mais excellemment mené et dont il y aurait encore énormément à dire.

En tout cas, une chose est certaine et quelque part, c’est à espérer, que ce roman marquera son époque, aux heures où, en France et partout dans le monde, plus de femmes tombent encore sous les coups des hommes, et de leurs maris.

Le Pouvoir, Naomi Alderman, Calmann Levy, 400 pages, 21,50€

Visuel : © DR

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Marine Stisi
30% théâtre, 30% bouquins, 30% girl power et 10% petits chatons mignons qui tombent d'une table sans jamais se faire mal. Je n'aime pas faire la cuisine, mais j'aime bien manger.

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