Fictions
Julian Barnes, Quand tout est déjà arrivé :  Une bulle de chagrin dans les airs

Julian Barnes, Quand tout est déjà arrivé : Une bulle de chagrin dans les airs

13 November 2017 | PAR Eloise Bouchet

Suite au décès de sa femme, le célèbre romancier anglais Julian Barnes prend la plume et publie, en 2014, « Quand tout est déjà arrivé ». Dans un style délié, l’écrivain offre un livre de chagrin, léger et profond, humoristique et douloureux, qui raconte les hauts et les bas de l’existence..

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Par Eloïse BOUCHET

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Graphein, c’est écrire mais aussi graver, « faire des entailles ». C’est creuser la chair du papier, et sa propre chair ; c’est retenir entre les mots l’être cher. Pendant trente ans, Julian Barnes a entretenu avec sa femme, Pat Kavanagh, une relation symbiotique. Quand il la rencontre, « le monde est changé. Vous réunissez deux êtres qui n’ont jamais été mis ensemble […]. Puis à un moment ou à un autre, tôt ou tard, pour telle ou telle raison, l’un des deux est emporté. Et ce qui est retiré est plus grand que la somme de ce qui était réuni. Ce n’est peut-être pas mathématiquement possible, mais ça l’est en terme de sentiment et d’émotion ».

Les trois récits qui composent le livre s’articulent autour d’une thématique commune : l’élévation et son possible corollaire… La chute. Dans le « Le pêché d’élévation » et « A hauteur d’homme », l’auteur s’intéresse à l’aspiration des hommes à effleurer le monde des dieux par l’art puis l’amour. On y rencontre le photographe Félix Tournachon, alias Nadar, qui réalisa les premiers clichés aérostatiques en 1858 : « l’aéronaute pouvait visiter l’espace de Dieu –sans recourir à la magie- et le coloniser. Et il découvrait alors une paix qui ne dépassait pas l’entendement : l’élévation était aussi morale, spirituelle ». Mais aussi Sarah Bernhardt et le colonel Fred Burnaby, tous deux pris en photo par le même Nadar, lors d’un tour en Montgolfière. De leur vertigineuse histoire d’amour, l’auteur conclut : « Chaque histoire d’amour porte en elle un chagrin potentiel ».

C’est seulement dans « La perte de profondeur » que l’écrivain entre dans le cœur de son sujet, « le cœur de ma vie, la vie de mon cœur »: le décès de Pat et « la tâche de l’endeuillé » qu’il compare non sans humour à celle d’un « travailleur indépendant ». Amputé de son elle, Barnes se pose la question d’un « bonheur solitaire » qui, pour lui, « semble être une contradiction dans les termes, un bidule improbable qui ne décollera jamais du sol ». Avec une sincérité touchante et un humour très british, il partage ses premiers pas dans ce monde ré-agencé « en termes de logique et de structure » où la texture du temps et l’espace sont reconfigurés, mais aussi sa déréliction, sa colère, ses ressentiments, ses questionnements métaphysiques.

Quand tout est déjà arrivé, quand on s’est écrasé sur la terre ferme, à hauteur d’homme, qu’on a enterré l’être le plus cher, peut-on s’élever à nouveau ? Si le vent ne balayera pas le chagrin, peut-être le déplacera-t-il et remettra-t-il en mouvement les affligés.

Pour retrouver tous les articles du dossier Relève, c’est ici.

Bibliothèque étrangère Mercure de France
Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Aoustin
Parution de la traduction française : 2014
Nombre de pages : 128
15, 50 euros

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