Fictions
“Go Set a Watchman” : le roman de Harper Lee entre succès d’édition et polémique

“Go Set a Watchman” : le roman de Harper Lee entre succès d’édition et polémique

23 July 2015 | PAR Audrey Chaix

Plus d’un million d’exemplaires vendus depuis sa sortie en anglais le 14 juillet dernier. Des avalanches de réactions dans la presse et sur les réseaux sociaux – et pas des plus tendres. La publication de Go Set A Watchman de Harper Lee, qui fait suite au célèbre et célébré Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (To Kill A Mockingbird, 1960) par HarperCollins, est un véritable phénomène dans le Landerneau de la littérature anglo-saxonne. L’histoire ? Jean Louise Finch, que l’on connaît mieux sous le nom de Scout, a maintenant 26 ans, elle vit et travaille à New York. Alors que le roman débute, elle est dans le train qui la ramène à Maycomb, la petite ville de son enfance, pour une quinzaine de jours de vacances. Séjour qui va tourner au vinaigre, puisqu’elle va faire d’étranges découvertes sur son père, Atticus Finch, qui vont ébranler les convictions qu’elle – et les lecteurs du monde entier – avaient jusqu’alors sur la personnalité du célèbre avocat.

go-set-a-watchmanC’est justement cette découverte sur la personnalité d’Atticus Finch qui a causé l’ire de milliers de lecteurs. Car, rappelons-le, dans le volume précédent, Atticus était présenté comme un parangon de justice et d’égalité en défendant Tom Robinson, un homme noir accusé (à tort) d’avoir violé une femme blanche. Tout comme Scout, les lecteurs ont grandi, pendant toutes ces années, en voyant en Atticus la figure d’un héros, d’un chevalier blanc toujours prêt à défendre la veuve et l’orphelin. Et tout comme Scout, les lecteurs sont tombés de haut en comprenant qu’Atticus était beaucoup plus faible – et beaucoup plus humain – que cela.

Sauf qu’il faut connaître un peu l’histoire de cette publication avant de vraiment comprendre le roman. Car si Go Set A Watchman a tout d’une suite – il a été publié après Mockingbird et l’histoire se passe presque 20 ans plus tard, il a pourtant été écrit avant son célèbre parent (qui est le mot utilisé par Lee elle-même pour décrire la relation entre les deux œuvres). C’est l’éditrice de Lee qui, à la fin des années 1950, a conseillé à l’auteur de reprendre son roman, Go Set A Watchman, en se concentrant sur l’enfance de Scout, qui apparaissait sous forme de flash back dans le premier roman. Et c’est probablement l’influence de cette éditrice progressiste, Tay Hohoff, qui a poussé Lee à faire de Atticus Finch la figure de justice qu’il est devenu. On remarque d’ailleurs, à la lecture de Go Set A Watchman (qui a été publié tel que Lee l’a présenté à son éditeur en 1957), des petites incohérences qui montrent bien que ce roman n’est pas qu’une simple suite, la plus notable étant que dans Go Set A Watchman, Atticus a gagné le procès de Tom Robinson, alors qu’il l’avait perdu dans Mockingbird.

Une fois cela posé, qu’en est-il de la qualité de Watchman ? Incontestablement, il est loin d’être de la même qualité que Mockingbird. Mérite-t-il cependant les volées de bois vert qu’il reçoit depuis une dizaine de jours ? Peut-être pas …

Go Set A Watchman est un roman qui n’a pas été corrigé par son auteur après la présentation à l’éditeur. C’est un roman brut, jeune encore, qui n’a pas pu être mûri et repensé avec un regard extérieur, au contraire de son célèbre grand frère. Et cela se sent : l’intrigue est longue à se mettre en place, et il ne se passe finalement pas grand chose. Ce n’est qu’au huitième chapitre, par exemple, que Jean Louise assiste à la réunion qui lui fait prendre conscience que son père est, en fait, un ségrégationniste. Les scènes de dialogue entre elle et son oncle (absent de Mockingbird, central dans Watchman) ou son père sont très écrites, et auraient mérité plus de spontanéité. C’est ainsi que l’on se rend compte – et c’est fascinant – que le travail d’un éditeur va bien au-delà de la publication et de la promotion d’un livre : la plupart des romans nécessitent un vrai travail d’échange entre auteur et éditeur.

Cependant, ce qui fait la beauté de Mockingbird est bien présent dans Watchman, surtout dans ces moments qui ont poussé Tay Hohoff à conseiller à Harper Lee de se concentrer sur l’enfance de Scout et de son frère : en effet, ce sont les souvenirs de Jean Louise qui font tout le sel de ce roman, le récit de son enfance et surtout de son adolescence, comme cette séquence, à la fois drôle et tendre, où la jeune fille à peine pubère se croit enceinte pendant des mois parce qu’un garçon l’a embrassée. C’est cet aspect du roman qui a attiré l’attention de l’éditeur en 1957, et l’on comprend pourquoi tellement elles sont touchantes et authentiques.

Ainsi, si Mockingbird est l’histoire de la naissance d’un héros, d’un de ces piliers de justice et de vertu qui ont façonné l’Amérique, Watchman est celle de sa chute, aux yeux de Jean Louise aussi bien qu’à ceux des lecteurs de Harper Lee. Et cela en fait une trame narrative passionnante, profondément œdipienne : pour devenir une femme indépendante et libre, Jean Louise doit tuer le père, elle doit affronter le regard de celui qu’elle a toujours placé sur un piédestal afin d’aiguiser son sens critique et son libre-arbitre. Même si cela doit passer par une violente déception, qui la rend physiquement malade.

On comprend ainsi la colère qui a ébranlé des générations de lecteurs de Mockingbird, surtout aux États-Unis où le roman est inscrit au programme des écoles, et où un film somptueux a été réalisé en 1962 par Robert Mulligan, avec Gregory Peck dans le rôle de Atticus Finch. Cependant, afin de vraiment saisir l’essence de Watchman, il faut tenter de le lire sans se référer sans cesse à son auguste grand frère, pour ce qu’il est, beaucoup plus modestement : la genèse d’un grand roman.

Pour se faire leur propre avis, les lecteurs francophones devront patienter jusqu’au 7 octobre, date de publication prévue de la traduction française chez Grasset, sous le titre Va et Poste une Sentinelle. Et en attendant, pourquoi ne pas relire Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur ?

Go Set A Watchman, de Harper Lee. Éditions HarperCollins Publishers. Paru le 14 juillet 2015. 288 p. Prix : 22 € (format Kindle : 8,99 €). Parution prévue en France le 7 octobre aux éditions Grasset.

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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