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« Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante » de Mohsin Hamid : un manuel de développement personnel pas comme les autres

« Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante » de Mohsin Hamid : un manuel de développement personnel pas comme les autres

27 August 2014 | PAR Audrey Chaix

Dans un village perdu du fin fond d’un pays jamais nommé de l’Asie naît un jeune garçon qui n’a, au départ, rien pour lui dans la vie. Le parcours de ce jeune garçon sera, pour Mohsin Hamid, l’occasion de délivrer douze conseils, qui forment les douze étapes de la réussite du jeune homme, sous forme d’un manuel de développement personnel pour s’en mettre plein les poches en Asie mutante. Cette forme narrative, originale et ludique, est bien sûr la méthode choisie par Hamid pour raconter une histoire, celle du jeune héros de son livre, qui s’élève socialement et tombe amoureux d’une jolie fille qui lui échappe constamment. Sorte de Slumdog Millionnaire sans le conte de fées, Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante est jouissif d’humour et de légèreté. 

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Parce qu’il est conçu comme un manuel de développement personnel, Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante est raconté à la deuxième personne du singulier : l’auteur s’adresse directement au lecteur, qu’il assimile à son jeune héros. Celui-ci n’a pas de nom, puisqu’il est l’incarnation, finalement, du lecteur désireux de réussir malgré sa pauvreté initiale. Ce procédé narratif permet à Moshin Hamid de créer une véritable complicité avec le lecteur sur un mode à la fois cynique et bourré d’humour. En effet, le décalage entre l’histoire racontée et les adresses permanentes au lecteur est à l’origine de délicieux apartés, où le rire n’est jamais très loin.

Sous couvert de cet humour toujours présent, qui rend le ton du roman très léger, Hamid ne se prive pas d’une critique acerbe d’une société corrompue jusqu’à la moelle (on devine facilement que le pays jamais nommé où se déroule l’intrigue est le Pakistan natal de l’auteur), où pots de vin et bakchichs en tous genres permettent à chacun de s’enrichir, sans vraiment se soucier de la loi et de la santé publique. Le « tu » du roman, le jeune homme autour duquel tourne la trame narrative d’Hamid, accepte de devenir l’un des rouages de cette corruption ambiante parce qu’elle est son billet de sortie de la pauvreté, quel qu’en soit le prix.

Car le seul moteur qui fait tourner le « tu », la jolie fille dont il est épris, et tous ceux qui les entourent, c’est bien la volonté viscérale de sortir d’une pauvreté sordide, qu’Hamid décrit avec un réalisme frappant malgré son ton désinvolte. Tout au long des quatre-vingts années que couvre le roman, c’est une course effrénée vers la richesse qui anime les actions du personnage principal, jusqu’à la vieillesse où, débarrassé des besoins matériels, il finit par se laisser aller aux joies d’un amour simple et désintéressé.

Seul regret lorsque l’on referme Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante : que la forme choisie par Hamid ne lui permet pas de développer plus son intrigue. En effet, on aurait aimé avoir plus de temps pour suivre les gloires et les déboires picaresques du personnage principal, dont des pans entiers de vie sont parfois balayés en quelques lignes. Bien sûr, ça n’est pas l’objectif d’Hamid. S’il a divisé son roman en douze chapitres, comme autant de conseils pour s’en mettre plein les poches, c’est justement pour souligner la vitesse avec laquelle les destins se font et se défont dans un pays en constante évolution. Ces pages en sa compagnie sont cependant si plaisantes que l’on en demanderait volontiers plus…

Comment s’en mettre plein les poches en Asie mutante de Mohsin Hamid. Editions Grasset. Traduit de l’anglais (pakistanais) par Bernard Cohen. Parution : 27 août 2014. 256 p. Prix : 18 €.

L’Intégriste malgré lui 

9782253068341-TC’est justement cette occasion qui est donnée aux lecteurs puisque paraît également cette semaine, aux éditions Le Livre de Poche, la version poche du précédent roman de Mohsin Hamid, L’intégriste malgré lui. Et ne pas (re)découvrir ce petit bijou de littérature, qui se dévore d’une traite, serait bien dommage.

Sur une petite place animée de Lahore, un jeune Pakistanais engage un long monologue avec un citoyen américain, au cours duquel il raconte l’histoire qui le lie aux Etats-Unis. Jeune homme brillant, issu d’une famille pakistanaise autrefois riche et influante, Tchenguiz part faire ses études supérieures à Princeton, où il est repéré par un prestigieux cabinet de consulting new-yorkais qui l’embauche rapidement. En parallèle, il tombe amoureux d’une jeune femme issue de la haute société de Manhattan : bref, la vie parfaite, la success story dont rêvent tous les candidats à l’immigration aux Etats-Unis. Jusqu’à ce jour de septembre 2001 où deux avions de ligne percutent les tours jumelles du World Trade Center…

Tout vole alors en éclats pour Tchenguiz, qui s’étonne lui-même de sa propre réaction alors qu’il contemple le spectacle des deux tours qui s’effondrent. La perception qu’il avait jusqu’alors de son pays d’accueil s’en trouve radicalement transformée, comme si on lui avait arraché les lunettes roses avec lesquelles il voyait le monde d’avant. Cependant, il n’est jamais question de religion dans le conflit intérieur qui l’anime : ce qu’analyse Hamid, c’est la collision entre deux cultures antagonistes, celle qui a vu naître Tchenguiz et celle qui l’a accueilli parce qu’il est un élément brillant, quelle que soit son origine. A partir du 11-Septembre, Tchenguiz est tourmenté par la prise de conscience d’un irrémédiable fossé entre les deux cultures qui jusque là cohabitaient bien chez lui, entre deux manières d’être et de penser qui ne lui paraissent soudainement plus conciliables.

Hamid signe ici un court roman dont la chute est aussi surprenante que le jeune Tchenguiz est attachant alors qu’il relate, avec beaucoup de tendresse et de lucidité, l’histoire de son émigration des Etats-Unis vers son pays natal.

L’intégriste malgré lui de Mohsin Hamid. Editions Le Livre de Poche. Traduit de l’anglais (pakistanais) par Bernard Cohen. Parution le 27 août 2014. 192 p. Prix : 6,60 €.

Photos : couverture des livres

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Audrey Chaix
Professionnelle de la communication, Audrey a fait des études d'anglais et de communication à la Sorbonne et au CELSA avant de partir vivre à Lille. Passionnée par le spectacle vivant, en particulier le théâtre, mais aussi la danse ou l'opéra, elle écume les salles de spectacle de part et d'autre de la frontière franco-belgo-britannique. @audreyvchaix photo : maxime dufour photographies.

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