Fictions
« A ce point de folie » de Franzobel : Mangez-vous les uns les autres

« A ce point de folie » de Franzobel : Mangez-vous les uns les autres

26 August 2018 | PAR Julien Coquet

Un des écrivains les plus populaires et les plus controversés de l’Autriche livre un roman historique passionnant sur le naufrage de La Méduse.

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Au Louvre, c’est sûrement l’une des toiles les plus célèbres du musée : Le Radeau de la Méduse de Géricaut, peint entre 1818 et 1819, qui fit grand bruit lors de son exposition au salon de 1819. Pourtant, qui connaît vraiment l’histoire derrière le tableau ? Franzobel, sur plus de 500 pages, propose un récit complet des événements, du départ du bateau le 17 juin 1816 de Rochefort à l’arrivée des survivants à Saint-Louis au Sénégal. Entre-temps, ce sont la tempête, le naufrage sur un banc de sable, les désirs de mutinerie, la construction du fameux radeau et la folie, la faim et la déshydratation que connaîtront les malheureux voyageurs.

La force de ce roman réside dans la diversité des personnages : vrai roman-choral, A ce point de folie propose des personnages-types pour mieux représenter la société française du début du XIXème siècle. On suit souvent un jeune apprenti cuisinier, Victor, qui nous présente l’ambiance qui règne dans les cuisines, mais aussi les autres passagers du navire : les soldats, les mousses, les officiers et capitaines, la famille du gouverneur, etc. Toute cette population hétéroclite ne peut que créer des conflits et les débats ne manquent pas sur la direction à prendre ou encore sur le véritable apport de la Révolution. Franzobel s’est énormément renseigné (il manque cependant une bibliographie en fin d’ouvrage qui appuierait les propos de l’auteur) pour restituer l’ambiance sur un navire et sur ce qui conduisit La Méduse à un tel fiasco.

Mais l’aurions-nous fait ? Car c’est la question qui anime le roman dans son dernier tiers : aurions-nous été capables de manger de la chair humaine ? Tranquillement assis dans nos fauteuils, ce sont les descriptions qui nous font froid dans le dos. La folie s’empare des 147 passagers du radeau livrés à eux-mêmes, le soleil tape, les vivres diminuent et le bleu du ciel se confond à celui de la mer. En treize jours, seuls 15 passagers survivront… S’il n’est pas aussi horrible et glauque que la quatrième de couverture veut nous le faire croire, A ce point de folie est un bon roman historique où l’humour noir côtoie une restitution précise des conditions de vie sur un navire.

« Mais tous, recouvrant peu à peu leurs sens, constatèrent qu’ils étaient toujours sur le radeau. Le cauchemar était réalité – la faim, les corps inanimés, l’eau à perte de vue. A la lumière du jour, ils découvraient le champ de bataille flottant, les bâtards en haillons, et leurs visages ivres de sommeil se transformèrent en grimaces d’épouvante. Partout des corps dont les tripes sortaient du ventre, des crânes fendus, des membres transpercés. Quelle macédoine ! Une barque dérivante, un radeau du Styx. Mais ces morts pouvaient-ils encore inspirer quelque compassion ? Non, les naufragés étaient déjà bien trop loin de ce qui est l’essence même de l’être humain. Des mots comme beauté, bonheur ou amour leur semblaient appartenir à la langue étrangère d’un univers inaccessible. Tout ce qu’ils avaient sous les yeux, c’étaient désormais l’agonie et l’appel muet à la vie – ou à une mort rapide. »

A ce point de folie, Franzobel, Flammarion, 528 pages, 22,90 €

Visuel : Couverture du livre

La Brèche de Naomi Wallace lors de la Mousson d’été 2018
Hémilogue, spectacle de rue du Collectif Akalmie Celsius pour La Mousson d’Été.
Julien Coquet

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