Fictions
« A son image » de Jérôme Ferrari : Pavane pour une photographe défunte

« A son image » de Jérôme Ferrari : Pavane pour une photographe défunte

28 August 2018 | PAR Julien Coquet

Réflexion sur la photographie, le dernier livre du prix Goncourt 2012 est aussi un portrait de la Corse nationaliste et d’une photographe habitée par un sentiment d’échec.

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Dès les premières pages du roman, le personnage principal du roman, Antonia, meurt à la suite d’un accident de voiture. Jérôme Ferrari livre d’ailleurs l’une des morts les plus inattendues et les plus « belles » de cette rentrée littéraire : « Sur la route de l’Ostriconi, au détour d’un virage, alors que la mer en contrebas demeurait dans l’ombre de la nuit, le soleil qui éclairait vaguement le ciel derrière les montages en franchit brusquement les crêtes et ses premiers rayons vinrent illuminer le visage d’Antonia. Elle se laissa éblouir un instant et ferma les yeux. Ses parents et son frère, Marc-Aurèle, l’attendirent longtemps. » A partir de cet événement tragique, l’écrivain déroule la messe célébrant la mort de la photographe entrecoupée par les épisodes marquants de la vie de la défunte.

Impressionnée par les grands noms de la photographie, Antonia n’a cessé de capturer les moments fatidiques et marquants de l’Histoire car la photographie a ceci de particulier, comme l’explique Mathieu Riboulet : « La mort est passée. La photo arrive après qui, contrairement à la peinture, ne suspend pas le temps mais le fixe ». La jeune femme ne peut supporter de couvrir les événements insignifiants que sa direction du journal local pour lequel elle travaille lui demande de couvrir. Elle part, sans aller loin puisque l’Europe est minée par la guerre en Yougoslavie. Bouleversée par ce qu’elle a vu, il est difficile pour Antonia de reprendre une vie normale. Jérôme Ferrari, afin de mettre en avant la position difficile du photographe, témoin mais pas acteur, propose deux portraits de photographes inspirés des vies de Gaston Chéreau, qui couvrit la guerre italo-turque entre 1911 et 1912 en Libye, et Rista Marjanovic, dont le travail s’étend sur les deux premiers tiers du XXème siècle.

A son image est une réflexion sur le sentiment d’échec que porte constamment en elle Antonia. C’est celui d’être loin de l’Histoire, et donc d’être insignifiant. C’est celui d’être amoureuse d’un homme qui préfère son île à une véritable passion. C’est aussi celui du mouvement nationaliste corse qui représente pour Antonia un vulgaire jeu pour de grands enfants. C’est enfin le sentiment d’échec, ou plutôt le regret, qui habite l’oncle d’Antonia, prêtre qui officie la messe, puisqu’il lui avait offert, pour ses quatorze ans, son premier appareil photo.

« Dès cet instant, elle fut convaincue que les choses iraient de travers et ne pouvaient encore, une fois de plus, que tourner mal, très mal, sans qu’elle pût deviner comment, et, pour la première fois, elle considérait l’avenir de son île avec une terreur vierge de toute condescendance parce que d’un lieu où l’on applaudit les revendications d’assassinats, on ne peut attendre que le pire. »

A son image, Jérôme Ferrari, Actes Sud, 224 pages, 19 €

Visuel : Couverture du livre

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Julien Coquet

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