Fictions
“10:04” de Ben Lerner : la vie bordélique d’un intellectuel à Brooklyn

“10:04” de Ben Lerner : la vie bordélique d’un intellectuel à Brooklyn

25 August 2016 | PAR Marine Stisi

Ben Lerner, auteur de Au départ d’Atocha qui avait été considéré lors de sa publication comme très prometteur, revient avec un deuxième roman, 10:04. Publié aux Editions de l’Olivier dans le cadre de la rentrée littéraire, 10:04 est un livre attachant, drôle et sincère, retraçant le quotidien d’un trentenaire de son temps, auteur d’un premier livre à succès et qui doit en écrire un second, sentimentalement instable et rêveur new-yorkais… Un délice. 

[rating=4]

“Quand on s’est désaccouplés, il m’a semblé voir l’haleine condensé d’Alena flotter au ralenti dans l’air, mais il faisait trop chaud dans l’appartement ; quoi qu’il en soit, on aurait dit que son corps avait retrouvé l’homéostasie bien plus vite que le mien. Elle a quitté le matelas, lissé la robe qu’elle n’avait pas enlevée, et j’ai repris mes esprits pour la suivre sur l’escalier de secours, admirer les lumières des gratte-ciel plus hauts qui se profilaient aux alentours, tous comme nimbés. Elle a pris une cigarette dans un paquet qui devait déjà se trouver sur un pot de peinture plein de sable et l’a allumée à l’aide d’une allumette-tempête – dont la provenance m’était incertaine -qu’elle a grattée contre le mur en brique.

– Oh, pitié, ai-je fait, tant son cool était exponentiel, impossible,  et elle a ri en renâclant légèrement, puis a toussé de la fumée, et elle est redevenue réelle.”

Un roman new-yorkais

New-York, New-York… Que reste-t-il à écrire sur elle ? Malgré tout, chaque nouvel ouvrage à son sujet apporte quelque chose en plus sur l’immensité tant contée. Et c’est le cas de 10:04, roman très énergique qui nous trimballe de questionnements en récits d’histoires, le long du pont de Brooklyn et des briques rouges des immeubles de la ville.

Ben, personnage central, vit ce qu’on aime à imaginer comme la vie new-yorkaise rêvée de tout intellectuel : il fréquente les galeries d’art, les librairies nichées, les restaurants cachés, son cercle d’amis est constitué de personnalités atypiques et déroutantes, il se promène dans la ville, s’inspire d’elle pour son art, et bien sûr, il vit à Brooklyn, qui, de Woody Allen à Paul Auster, a maintes fois été glorifiée comme temple de la vie artistique au large de l’île de Manhattan.

Brouiller les pistes

A quel moment la réalité fait-elle place à la fiction ? Quand, dans le processus d’écriture d’un roman, l’auteur décide de faire dire à son personnage sa propre vérité ? Le roman de Ben Lerner possède, incontestablement, une envie délibérée de brouiller les pistes, perdre le lecteur dans les méandres de la fiction/réalité. Comment pourrait-il en être autrement quand un auteur vivant à Brooklyn, la trentaine, publiant son deuxième roman, dessine son personnage principal sous ces mêmes traits ? “Ni de la fiction, ni de la non-fiction, mais un vacillement entre les deux”, écrit-il à l’intérieur même du roman.

Un auteur, qui écrit sur un auteur, qui fréquente des auteurs. Ce qui est certain, c’est que Ben Lerner est, dans tous les aspects de son écriture, un écrivain. Il est écrivain car il se décrit comme tel, se définit comme tel, et fait ce qu’on imagine qu’un auteur doit faire. Par exemple, il fréquente des cercles très privés organisés par des chercheurs émérites. Il s’enferme, loin de la ville, dans une résidence d’auteur afin d’écrire, finira par écrire de la poésie au milieu de la nuit et par fréquenter des soirées incroyablement bohèmes et romanesques. Difficile de ne pas y voir un désir évident de dépeindre un cliché, mais il est si plaisant que cela n’a aucune importance.

Un auteur à suivre

Au départ d’Atocha, le premier roman de Ben Lerner, avait remporté un véritable succès aussi bien public que critique. Lauréat du Believer Book Award, il figure dans la plupart des sélections des meilleurs livres publiés aux États-Unis de l’année 2011. Aujourd’hui, ce roman new-yorkais, qui ferait parfois penser à l’excellent roman de Paul Auster, The Brooklyn Follies, ajoute une nouvelle corde à l’arc de Ben Lerner, un arc prometteur qu’il est impératif de suivre.

Ben Lerner, 10:04, Editions de l’Olivier, 272 pages, 19,50€.

Date de parution : 25 août 2016

Visuel : (c) DR

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Marine Stisi
30% théâtre, 30% bouquins, 30% girl power et 10% petits chatons mignons qui tombent d'une table sans jamais se faire mal. Je n'aime pas faire la cuisine, mais j'aime bien manger.

One thought on ““10:04” de Ben Lerner : la vie bordélique d’un intellectuel à Brooklyn”

Commentaire(s)

  • Olivier Mannoni

    Traduit par Jakuta Alikavazovic, sans qui vous n’auriez pas pu le lire en français… L’information est certainement plus importante que le prix, non?

    Merci pour ce papier précis qui donne envie de lire le bouquin!

    August 29, 2016 at 13 h 01 min

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