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Entretien avec l’écrivain polonais Zygmunt Miloszewski, “occulter, c’est mentir”

Entretien avec l’écrivain polonais Zygmunt Miloszewski, “occulter, c’est mentir”

13 April 2017 | PAR Jérôme Avenas

Nous avons profité de la présence de Zygmunt Miloszewski au festival « Quais du polar » pour nous entretenir une heure avec l’écrivain polonais auteur de trois polars inoubliables. Les aventures du procureur Teodore Szacki ont très rapidement séduit un lectorat réputé exigeant et se sont imposées comme le meilleur du genre policier. Profitant de la noirceur d’histoires ficelées avec dextérité, Miloszewski n’hésite pas à explorer les bas-fonds de l’Histoire de son pays, ses zones d’ombre. Pas plus que la France, la Pologne n’échappe au débat sur un « roman national » qui tend à faire taire les voix discordantes.

Un beau soleil de printemps a fait son apparition. Il tape sur les vitres du café où je rencontre Zygmunt Miloszewski. « C’est la première fois que je vois le soleil cette année » dit-il en se tournant du côté de la rue. J’ai lu, comme tout le monde, l’article du Devoir où il évoque son désir de s’installer à Montréal. Il modère : « L’hiver est long, là-bas ». La grise Pologne lui a inspiré trois superbes polars. Le soleil n’est peut-être pas bon pour la création littéraire ?
Une heure avec Zygmunt Miloszewski et l’on reprend foi en l’avenir. Ici, les élections approchent, là-bas, une droite dure gouverne. Je ne peux pas commencer un entretien avec un auteur polonais sans évoquer mes grands-parents maternels, eux-mêmes polonais. Les générations, l’Histoire sont donc le point de départ de notre conversation. N’est-ce pas, finalement, le sujet de son premier livre « Les Impliqués » ?

Jérôme Avenas : Dans l’une des conférences de « Quais du polar », vous avez déclaré que « le rôle de chaque artiste est de mettre au jour les choses dérangeantes de l’histoire d’un pays ». Pensez-vous que le genre policier soit plus à même de dénoncer ?

Zygmunt Miloszewski : Sans aucun doute. J’ai toujours voulu écrire sur la question de la société. Quel que soit notre désir d’individualité, on fait toujours partie d’un groupe, ne serait-ce que celui de notre famille. Et le groupe auquel nous appartenons nous définit d’une certaine manière. On en vient fatalement à évoquer la question d’une identité nationale à travers la mémoire d’un pays et les préjugés que cette question entraîne. En ce sens, la littérature criminelle est idéale. La noirceur du genre peut mettre en lumière des zones d’ombre de la psychologie humaine ou du tissu social et c’est le rôle de l’artiste. Souvent, l’identité nationale est construite sur un mensonge: on ne sélectionne que des éléments positifs dans l’histoire d’un pays, les prix Nobel, les héros de guerre, les grands artistes et on choisit d’ignorer les points noirs de l’Histoire. En Pologne, par exemple, on choisit souvent de mettre en lumière le mouvement de résistance pendant la 2ème guerre mondiale et de passer sous silence ce que les polonais ont fait aux juifs pendant l’occupation nazie.

J.A : En France on parle beaucoup de « roman national », dans la conférence que nous évoquions, vous avez également dégagé une dialectique intéressante entre honte et fierté qui fonderait une définition du patriotisme. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Z.M : L’Europe est constituée de nations à l’histoire pluriséculaire. Au cours des siècles, tout n’a pas été idéal, des événements terribles se sont passés. Si on veut être patriote, si on veut être fier de son pays, il faut, en même temps, admettre les fautes des générations précédentes et se tenir prêt à en discuter. Honte et fierté peuvent tout à fait co-exister. Tout comme dans une famille : on peut continuer à s’aimer en acceptant des moments de désaccord. Il faut simplement être prêt à en parler, ne pas occulter les choses. Occulter, c’est mentir.

J.A : Avez-vous la « nostalgie de l’altérité » comme votre personnage le procureur Teodore Szacki ?

Z.M : Bien sûr. La vie est courte. On passe les 20 premières années dans l’ignorance, les 20 dernières à courir d’un médecin à l’autre. On a une quarantaine de bonnes années, en fait. Ce n’est pas grand chose. On se pose forcément, à un moment ou un autre la question de savoir comment les choses auraient pu être si … On peut appliquer ce sentiment personnel à tout un pays. L’histoire de la Pologne n’est pas une ligne droite. C’est un chemin accidenté. Pendant la 2ème guerre mondiale, la population a perdu 3 millions de ses voisins. Les séquelles de cette immense perte sont encore visibles aujourd’hui. Certains villages polonais étaient constitués jusqu’à 80% de personnes de confession juive. Qu’est-ce qui commémore maintenant cette perte ? Un monument. Parfois, même pas. Après avoir écrit « Un fond de vérité » (NDLR : son deuxième livre), j’ai fait des recherches sur le quartier où mon père avait passé son enfance après la guerre et je me suis rendu compte que ce lieu avait été un shtetl. J’ai réalisé que mon père et mes grands-parents s’étaient vus attribuer un appartement occupé avant la guerre par une famille juive. Encore une fois, il est important de regarder les choses en face.

J.A : Dans « Un fond de vérité » vous citez le film de Krzysztof Kieslowski « Amator » (L’Amateur, 1979), son scénariste, Krzysztof Piesiewicz, était issu du monde judiciaire, son cinéma a-t-il eu une influence sur vous ?

Z.M : Kieslowski est un pilier de la culture polonaise et d’une certaine manière, il m’a un peu influencé, mais je suis plus naturellement attiré par les films d’Andrzej Wajda.

J.A : N’avez-vous jamais été tenté par le documentaire ?

Z.M : Non. J’aime trop la fiction. Je dois reconnaître que le genre documentaire est très bien représenté en Pologne. De grands écrivains font des reportages de grande qualité. Je reste convaincu que la fiction est un bon moyen d’aborder des sujets qui pourraient l’être par le documentaire.

J.A : Quelle est votre méthode de travail ? Par quoi commencez-vous ?

Z.M : Je commence par faire des recherches, j’explore mon sujet à fond. En ce moment, par exemple, j’écris un roman qui se passe dans les années soixante à Varsovie. J’ai imaginé une Pologne qui serait de l’autre côté du rideau de fer en lien très étroit avec la France, une quasi colonisation culturelle. Pour commencer ce nouveau roman, j’ai déjà regardé une vingtaine de films français des années 60. J’ai découvert des trésors, notamment « Dernier domicile connu », un film tourné à la toute fin des années 60.

Visuel : DR

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