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Dieu qu’Apollinaire est obscène !

15 May 2009 | PAR Jeremy

La justice turque soulève une nouvelle polémique en poursuivant Irfan Sanci, de la Maison Sel, qui a fait traduire et publier Les exploits d’un jeune Dom Juan, du célèbre poète français. L’histoire du jeune Roger, qui ne rêve que de filles et de femmes, de séduction et d’étreintes amoureuses a été jugé contraire aux mœurs en vigueur dans l’État d’Atatürk. En effet, le Code Pénal turc se réserve le droit de saisir en justice des ouvrages portant atteinte à la bienséance commune, sauf s’il est établi que ces œuvres soient littéraires. Les fantasmes pervers du héros d’Apollinaire, ses désirs et son apprentissage sexuel, drôles mais provocants, n’entreraient pas dans cette catégorie. De fait, il ne bénéficie d’aucun traitement de faveur pourtant réservé aux œuvres littéraires (ou considérées comme telles.)

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Qui peut se poser en juge littéraire suprême, afin d’appliquer une censure contraire à la liberté d’expression ? Deux autres livres de la même édition, Le pendule magique et Correspondance d’une bourgeoise avertie de Ben Mila subissent la même épée de Damoclès. «Les poursuites ont été décidées après l’avis de soi-disant experts, consultés par le procureur, selon lesquels ces trois livres ne sont pas des œuvres littéraires», précise l’auteur, qui risque une peine lourde allant de six mois à dix ans de prison. Nedim Gürsel, écrivain turc naturalisé français est actuellement dans un cas similaire, entendu par la justice pour avoir osé faire de Mahomet un personnage de fiction dans son dernier roman, Les Filles d’Allah. La prochaine audience aura lieu le 26 mai. L’écrivain risque jusqu’à douze mois de prison.

apollinaire2La problématique essentielle est simple : la loi peut-elle décider du caractère littéraire ou non d’une œuvre (qui plus est étrangère, et donc considérée de manière différente dans son pays d’origine), et en refuser la publication sous prétexte qu’elle porte atteinte aux mœurs eux-mêmes décrétés par la loi ? Le cercle est vicieux, la censure tourne en rond et se légitime elle-même. Incroyable. L’histoire de la littérature est consubstantielle d’une pensée critique vis-à-vis de la réalité, du pouvoir et du conformisme. Sans liberté de transgresser, les artistes ne sont d’aucune utilité. La magie littéraire tient dans ce néant imaginé par les écrivains, nourri d’une réalité ainsi remise en question.

Ce n’est pas la première fois que le Code Pénal turc lance un débat sur la validité des lois qu’il impose. L’article 301 fut la cause de nombreux procès à l’encontre de journalistes et d’écrivains, tels Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature, Elif Safak, auteur du livre « La bâtarde d’Istanbul » ou Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal turco-arménien Agos, assassiné en 2007. En août 2008, le texte fut réformé afin que « l’expression d’une pensée à visée critique ne constitue pas un délit ». L’Europe avait salué cette avancée nette en faveur de la liberté d’expression et de la diffusion des oeuvres littéraires. Gageons que le relai de cette polémique engage une nouvelle réforme. Ce serait un geste fort de la part d’un pays qui réitère son désir d’entrer dans l’Union. Car « la littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est, au bout du compte, son visage », écrivait Louis Aragon.

Jérémy Collado

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