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Bobby Beausoleil et autres anges cruels

Bobby Beausoleil et autres anges cruels

11 July 2017 | PAR Antoine Couder

Dans son nouveau livre, Fabrice Gaignault poursuit son voyage américain en livrant une part  secrète de son enfance.

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On gardera longtemps en tête les images furtives de Bobby, son regard tragiquement ironique et sa jeunesse qui s’enfuit, emportée par sa malheureuse histoire. Celle d’un musicien un peu hâbleur suffisamment mêlé aux activités de la Manson Family pour commettre l’irréparable : le meurtre en juillet 1969 de Gary Hinman, revendeur de mescaline, mais également professeur de musique dont Charles Manson avait préalablement tranché l’oreille avant de presser son jeune comparse de «faire ce qu’il avait à faire». Un geste qui, en quelque sorte, met fin à la période du Flower Power et poussera Beausoleil jusqu’à la case prison où il demeure encore aujourd’hui. De cette légende de la pop culture, l’auteur français Fabrice Gaignault a tiré un récit tout en confessions et murmures à travers lequel on finit par percevoir le fantôme de son enfance. Rencontre.

Votre livre se fait l’écho de vos échanges électroniques avec le Bobby d’aujourd’hui, toujours musicien, mais également peintre… Comment va-t-il ?

Plutôt bien, avec affleurant au détour des phrases, un désespoir d’emmuré vivant. Il serait déjà sorti de prison si son crime n’était pas relié à la galaxie Manson, à ce registre à la fois nonchalant et luciférien qui continue de terrifier et de hanter l’Amérique…

Quel est votre lien avec ces évènements ?

Beausoleil, je dois le dire, est un prétexte pour raconter mon histoire personnelle, ma jeunesse et les étés passés à Guéthary au mitan des années 70. J’étais adolescent et j’ai découvert la musique, le mode de vie des surfeurs et la culture californienne. Et puis, bien sûr, la drogue, sa subversion riante et chaleureuse et puis, très vite sa face moins amusante.

Diriez-vous que vous vous confrontez ici à une sorte d’épilogue des Sixties ?

En quelque sorte, bien que selon moi tout était joué en 1967, avec la floraison du Summer of Love, portant en elle son dépérissement inévitable. C’est une loi organique vieille comme le monde : à l’extase de se sentir exister succède immédiatement la tristesse de savoir que tout cela a une fin. Et celle-ci fut lente et laborieusement déprimante.

Dans ce livre, vous croisez ceux et celles qui ont incarné cette parenthèse ténébreuse, le moment où la drogue génère une attitude subversive et délinquante dont le geste de Beausoleil témoigne.

Oui, j’ai retrouvé quelques spécimens intéressants tels Mirandi, la soeur de l’écrivaine Ève Babitz, qui se souvient d’absolument de tout sur cette époque bien qu’elle ait tiré un trait ferme et définitif sur ses années rock’n roll où rien ne lui fut épargné dans le registre des expériences limite et des rencontres improbables. Parmi les témoins retrouvés, certains évoquaient avec réticence cette époque qui, avec le recul leur paraissait sinistre. D’autres, en revanche, ne semblaient plus pouvoir s’arrêter. J’étais leur scribe ou quelque chose d’approchant. (rire).

Que s’est-il passé lorsque vous vous êtes retrouvé dans ce monde dont vous rêviez de Guéthary, des années plus tôt ?

J’ai été ému de rencontrer le bassiste de Janis Joplin, elle que j’avais tant de fois écoutée sur la côte basque. De la même façon, je me suis senti habité par quelque chose d’étrange la nuit où j’ai dormi dans le motel où Gram Parsons est mort. Impression que le lieu était hanté et il l’est, je peux vous l’assurer.

Vous avez rencontré Kenneth Anger, auteur de ce «Lucifer Rising» tellement emblématique de l’époque.

Même si ce film n’est constitué que de chutes du vrai film qui a disparu et qui aurait été enterré quelque part dans la Vallée de la mort, par Beausoleil lui-même ! J’ai rencontré Anger beaucoup plus tard à Paris. Il ressemble à Boris Karloff et il m’est apparu très raccord avec son chef-d’oeuvre livresque, «Hollywood Babylone», vipérin et fascinant…

Y a-t-il d’autres fantômes dont vous conservez le témoignage ?

Plusieurs… Une matinée amusante avec David Bailey… j’ai aussi une longue interview de Gérard Malanga (le bras droit d’Andy Warhol) réalisée un dimanche matin au Flore, que je n’ai jamais réécoutée. Elle est toujours dans mon I-Phone quand j’y pense… Je n’aimerais pas le perdre. Vraiment pas.

Pourquoi cette mélancolie qui imprègne votre récit ?

J’ai toujours eu ce fond mélancolique et toutes ces morts violentes qui ont parcouru notre période «californienne» de Guéthary n’ont fait qu’aggraver mon cas. La drogue a tout envahi, mes proches, ma famille… Le reste de l’année, j’étais en pension, protégé et en même temps, très affecté par ces drames lointains. Je devais partir aux États-Unis avec ma mère et puis ça ne s’est jamais fait. Peut-être qu’il y a ici un peu de cette tristesse.

Pensez-vous que ce voyage avorté a eu un impact sur votre désir d’écrire ?

Je ne m’étais jamais posé la question ainsi, mais d’une certaine façon, oui. Le projet d’un grand voyage est un livre ouvert sur la page de garde, toute blanche.

Quel a été le rôle de Laura Stevens qui vous a accompagné durant ce périple et dont les photos ponctuent le récit ?

Essentiel, d’autant plus que sa présence n’avait pas été prévue au départ. J’ai découvert le travail de cette extraordinaire photographe anglaise et peu à peu je me suis rendu à l’évidence que sa présence ajouterait quelque chose à mon récit. Je lui ai proposé d’illustrer à sa manière, sombre et inquiétante, «Bobby Beausoleil et autres anges cruels», ce qu’elle a réussi au-delà de mes espérances, en se rendant sur les lieux mêmes de mon périple.

Ce livre évoque largement votre jeunesse, mais ne vaut-il pas mieux parler d’une absence, de ce qui refuse à se mettre à nu ?

L’absence est constitutive de la présence. En d’autres termes, ce qui n’a pas été surgit tôt ou tard par filaments, de mots comme un déjà-vu sans cesse renouvelé. C’est ainsi que je procède et vis. Jusqu’à présent.

Pour conclure, vous écrivez «quelque chose m’arriva alors que je traversais l’adolescence, période où je lâchais la main pour avancer en tâtonnant entre le bien et le mal, soulevant mes paupières comme des persiennes donnant tour à tour sur des mondes opposés qui, si l’on n’y prenait garde, pouvaient être parallèlement attirants»

C’est toute l’histoire du livre, derrière Beausoleil, il y a d’autres anges cruels. Tapis au fond de moi-même, en moi-même, et que je devais expulser tôt ou tard.

(recueillis par Antoine Couder)

 

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Antoine Couder
Antoine Couder a publié « Fantômes de la renommée (Ghosts of Fame) », sélectionné pour le prix de la Brasserie Barbès 2018 et "Rock'n roll animal", un roman édité aux éditions de l'Harmattan en 2022. Auteur d'une biographie de Jacques Higelin ("Devenir autre", édition du Castor Astral), il est également producteur de documentaires pour la radio (France culture, RFI).

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