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Angoulême 2014 : palmarès torturé pour édition houleuse

Angoulême 2014 : palmarès torturé pour édition houleuse

03 February 2014 | PAR Geoffrey Nabavian

L’américain Bill Watterson, distingué par le Grand Prix, constitue, avec son humour à froid particulièrement absurde, la touche comique parmi les albums récompensés cette année. Année marquée par des secousses dans les cases de bande dessinée comme au sein du festival.

Calvin et HobbesIl ne pratique plus le neuvième art, n’accorde plus d’entretien, reste chez lui à peindre. Triste, Bill Watterson ? Assurément pas, si l’on en croit sa production, réalisée de 1985 à 1995. Production comptant une seule série : Calvin et Hobbes. Duel de philosophes ? Non, considérations philosophico-absurdes et épisodes débridés de la vie d’un gamin américain, accompagné d’un éternel tigre en peluche. En peluche pour les adultes : pour Calvin, Hobbes, est un copain, mais aussi un vrai tigre… Paléontologie, voyages spaciaux, enquêtes policières, références au cinéma… Calvin et Hobbes irritent ou séduisent. Parfois, au fil de l’un des vingt-quatre albums publiés, on se prend à éprouver les deux sentiments, d’une page à l’autre… La série a connu un succès phénoménal, relayé par… aucun produit dérivé. Aujourd’hui âgé de 55 ans, et irréductible vis-à-vis de ses principes, Bill Watterson s’est vu remettre le Grand Prix lors de l’édition 2014 du Festival d’Angoulême.

Mis à part cet hommage, le Prix Jeunesse attribué au second tome des Carnets de Cerise –aventures, signées Joris Chamblain et Aurélie Neyret, d’une petite fille aspirante romancière, mêlant bulles et extraits de journaux intimes- et le Prix du patrimoine qui a couronné la réédition des meilleurs gags de Cowboy Henk -héros belge créé en 1981 par Herr Seele et Kamagurka et publié dans Raw, la revue d’Art Spiegelman, puis dans Fluide glacial et Hara-Kiri– la noirceur a dominé le reste du palmarès. Alfred a reçu le Prix du meilleur album pour Come Prima (Delcourt), histoire des retrouvailles de deux frères en Italie, dont l’un a été « chemise noire ». Cette œuvre savait conserver l’influence du grand cinéma italien, s’autorisant donc des passages de comédie. Le Prix spécial du jury est allé à La Propriété (Actes Sud BD) de l’israélienne Rutu Modan. Retour d’une vieille femme en Pologne pour retrouver la propriété de sa famille, spoliée par les nazis, cette œuvre parle de mémoire d’une façon décrite comme « pas ordinaire », avec des incursions dans l’humour également.

En revanche, le ton se durcit avec le Prix du public, Mauvais genre (Delcourt), signé Chloé Cruchaudet. Une histoire vraie : pour fuir la Première Guerre mondiale en continuant à vivre tout de même, Paul, soldat déserteur, devient Suzanne, avec l’aide de sa compagne. Climat sombre et trait acéré pour ce récit. De même, les aventures de Fuzz et Pluck, de l’américain Ted Stearn, qui ont obtenu le Prix de la meilleure série, sont marquées, malgré les couleurs du dessin, par un climat triste : un ours en peluche mis aux ordures et un coq déplumé se trouvent confronté aux problèmes de notre époque… Rodguen et Wilfrid Lupano, eux, composent avec Ma révérence (Delcourt), Prix polar Sncf, un drame policier perdu d’avance. Mais la palme revient aux deux lauréats du Prix Révélation : l’américain Peter Blegvad met en scène, dans Le Livre de Léviathan (éditions L’Apocalypse), un bébé sans visage qui évolue dans un monde étrange en dialoguant avec un chat de grande taille, et Derf Backderf, originaire de l’Ohio, raconte, dans Mon ami Dahmer (éditions Ca et Là), son amitié de jeunesse avec Jeffrey Dahmer, futur tueur en série. Sinon, le Prix de la bd alternative a distingué le Fanzine carré, cube de 900 pages conçu par les éditions Hécatombe

Cette édition aura également été marquée par la controverse suscitée par le partenariat du Festival avec l’entreprise SodaStream, un des sponsors de la manifestation. L’entreprise israélienne, spécialisée dans les boissons gazeuses, possède une usine implantée dans la colonie de Maalé Adoumim, où se trouve la zone industrielle de Michor Adoumim. Dans une lettre ouverte à Franck Bondoux, délégué général de la direction du Festival, une quarantaine de « dessinatrices et dessinateurs, illustrateurs et auteurs de tous les pays », se sont dits étonnés et fâchés du rôle de « sponsor officiel » de cette entreprise, cible d’un « appel international au boycott », et ont demandé au Festival de « couper ses liens » avec SodaStream. Interrogé par Le Monde, Franck Bondoux a répondu qu’il jugeait que l’entreprise n’avait « jamais été condamnée en France », et qu’elle était implantée « dans une colonie ancienne, en zone C, née des accords d’Oslo entre Israël et l’OLP ». La question n’a pas été résolue.

Le Festival pourrait pour finir voir s’opérer des changements dans son organisation, dans la question du Président du jury notamment. Car le lauréat du Grand Prix, sensé occuper cette qualité l’année d’après son prix, laissera peut-être son fauteuil vide en 2015 : Bill Watterson, casanier, se déplace en effet très peu…

Visuel: couverture Calvin et Hobbes, 2005 © Delcourt

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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